Lorsqu’ils se lèveront elle sentira l’espace d’un court instant si oui ou non les choses vont prendre tournure.
C’est assez étrange d’être là ainsi, prête à tout. Prête à attendre le moment où il lui faudra agir. Sans aucun regret.
Elle a pourtant toujours été peureuse. Inquiète de tout et finalement, elle est là prête à foncer, sereine, excitée presque.
Elle croit entendre un bruit. Réalise qu’elle n’a même tenté de se voir dans un miroir. Son visage doit être gonflé, marqué par cette nuit trop courte, et par ces années trop longues. Elle prend de moins en moins de temps pour se maquiller. Et finalement c’est un peu comme si elle se retrouvait. Parfois il lui semble que de rester naturelle ainsi la ramène en arrière. Les traits ont changé, des poches lourdes ont pris leur place sous les yeux. Quelques rides profondes sillonnent à présent son visage, mais, lorsqu’il lui arrive de le croiser dans un miroir, elle croit y voir une flamme qui avait depuis longtemps disparu. Elle se regarde d’un peu plus loin aussi.
Le bruit se précise.
Quelqu’un est levé.
Si c’est Arnaud pense-t-elle… et la coquetterie la reprend. Puis elle se ressaisit, réalise qu’elle n’a au fond plus assez d’énergie pour tous ces enfantillages. Surtout aujourd’hui, maintenant qu’elle est embarquée dans cette aventure. Alors la facilité la gagne. Comme elle l’a souvent fait depuis plusieurs années, alors qu’elle se sentait laide, vieillie, elle emprunte l’habit que semble lui tendre le regard de l’autre. Elle n’est plus dans la course. C’est ainsi. C’est reposant.
- tu veux du café ? lance-t-elle à l’homme qui s’avance vers elle.
- Tu en as fait ?
Elle croit remarquer que le regard qui lui est tendu n’est pas aussi innocent qu’elle aimerait qu’il le soit.
- non mais je vais en faire. Répond-elle en se redressant.
- Ne bouge surtout pas. Je vais le faire, ça me réveillera dit-il en s’éloignant vers la cuisine.
Il va nous falloir des cigarettes pense-t-elle alors. Beaucoup de cigarettes si on veut arriver au bout de ce petit jeu….
jeudi, décembre 18, 2008
jeudi, septembre 04, 2008
Another galaxy (2)
Le jour se lève.
Il ne fait plus nuit.
C’est un moment merveilleux qui signifie que le temps a passé sans trop créer de troubles.
L’horizon se devine un peu, après la ville que l’on domine de la grande baie.
Ce ne sera pas une belle journée, au sens où on l’entend souvent. Une brume grisâtre, semble bien décidée à se répandre un peu partout, à moins qu’il ne s’agisse simplement de ce moment où les ombres vespérales laissent place. Qui sait ?
Peut-être aura-t-on du soleil.
Ce n’est pas très important c’est sûr. La pollution répandra sa lourdeur enchanteresse quoi qu’il en soit et puis, de toute façon, il est probable qu’ils ne sortiront pas.
Sur la table reposent trois tasses, et un pot de café froid, ainsi qu’un cendrier qui n’est pas aussi plein qu’on pourrait l’imaginer, simplement à cause des kilomètres qu’il faut parfois faire pour se procurer des cigarettes.
L’odeur est malgré tout là lorsqu’elle pénètre dans le salon et elle se souvient, et elle regrette cette époque bénie des nuits passées à parler et à fumer dans l’insouciance de ses vingt ans. Avec un avenir et une géographie qu’elle croyait liés et assurés.
Elle avance et observe l’aube. Cela produit toujours un effet bizarre sur les gens. Il est toujours trop tôt pour se lever. Trop tôt pour se quitter. Trop tôt pour mourir.
D’autant plus étrange qu’au fond de soi on a toujours vingt ans, ou moins. L’époque où l’on pouvait parler et fumer sans fin est encore inscrite en elle. Elle relève ses cheveux et les noue en une queue de cheval éphémère qui se défait aussitôt et les cheveux retombent en une masse épaisse et lourde, à l’image de ce qu’elle imagine de son visage en ce matin, après cette nuit trop courte.
Elle ramasse la cafetière. Et les tasses et se dirige vers le coin cuisine, derrière le bar. Pose le tout dans l’évier puis retourne chercher le cendrier en regardant la ville au loin. Ce qu’ils ont perdu, ce qu’ils ont enfin perdu à jamais.
Au moment où elle ouvre la poubelle pour y vider le contenu du cendrier elle se ravise en apercevant un mégot qui est en réalité une cigarette presque entière. Elle sourit à ce qui lui passe par la tête.
Non bien sûr, ce ne serait pas raisonnable.
Mais à quoi bon être raisonnable, pour quoi faire enfin ?
Elle souffle un peu sur le mégot puis le malaxe légèrement afin de le redresser avant de repartir dans le salon et de prendre le briquet sur la table basse en plexi.
Elle se l’allume.
N’avale pas la première bouffée comme on lui a appris jadis qu’il était préférable de le faire puis aspire à nouveau et sent enfin la violence qui lui claque dans la gorge à ce moment précis où le monde se décompose. Une partie du monde qui explose.
Satisfaite, elle retourne dans la cuisine, puis en revient avec le cendrier encore sale des cendres de la veille, le pose sur la table. Elle referme son peignoir puis s’installe les genoux pliés sur le canapé orange.
Il ne fait plus nuit.
C’est un moment merveilleux qui signifie que le temps a passé sans trop créer de troubles.
L’horizon se devine un peu, après la ville que l’on domine de la grande baie.
Ce ne sera pas une belle journée, au sens où on l’entend souvent. Une brume grisâtre, semble bien décidée à se répandre un peu partout, à moins qu’il ne s’agisse simplement de ce moment où les ombres vespérales laissent place. Qui sait ?
Peut-être aura-t-on du soleil.
Ce n’est pas très important c’est sûr. La pollution répandra sa lourdeur enchanteresse quoi qu’il en soit et puis, de toute façon, il est probable qu’ils ne sortiront pas.
Sur la table reposent trois tasses, et un pot de café froid, ainsi qu’un cendrier qui n’est pas aussi plein qu’on pourrait l’imaginer, simplement à cause des kilomètres qu’il faut parfois faire pour se procurer des cigarettes.
L’odeur est malgré tout là lorsqu’elle pénètre dans le salon et elle se souvient, et elle regrette cette époque bénie des nuits passées à parler et à fumer dans l’insouciance de ses vingt ans. Avec un avenir et une géographie qu’elle croyait liés et assurés.
Elle avance et observe l’aube. Cela produit toujours un effet bizarre sur les gens. Il est toujours trop tôt pour se lever. Trop tôt pour se quitter. Trop tôt pour mourir.
D’autant plus étrange qu’au fond de soi on a toujours vingt ans, ou moins. L’époque où l’on pouvait parler et fumer sans fin est encore inscrite en elle. Elle relève ses cheveux et les noue en une queue de cheval éphémère qui se défait aussitôt et les cheveux retombent en une masse épaisse et lourde, à l’image de ce qu’elle imagine de son visage en ce matin, après cette nuit trop courte.
Elle ramasse la cafetière. Et les tasses et se dirige vers le coin cuisine, derrière le bar. Pose le tout dans l’évier puis retourne chercher le cendrier en regardant la ville au loin. Ce qu’ils ont perdu, ce qu’ils ont enfin perdu à jamais.
Au moment où elle ouvre la poubelle pour y vider le contenu du cendrier elle se ravise en apercevant un mégot qui est en réalité une cigarette presque entière. Elle sourit à ce qui lui passe par la tête.
Non bien sûr, ce ne serait pas raisonnable.
Mais à quoi bon être raisonnable, pour quoi faire enfin ?
Elle souffle un peu sur le mégot puis le malaxe légèrement afin de le redresser avant de repartir dans le salon et de prendre le briquet sur la table basse en plexi.
Elle se l’allume.
N’avale pas la première bouffée comme on lui a appris jadis qu’il était préférable de le faire puis aspire à nouveau et sent enfin la violence qui lui claque dans la gorge à ce moment précis où le monde se décompose. Une partie du monde qui explose.
Satisfaite, elle retourne dans la cuisine, puis en revient avec le cendrier encore sale des cendres de la veille, le pose sur la table. Elle referme son peignoir puis s’installe les genoux pliés sur le canapé orange.
lundi, mars 10, 2008
Another galaxy
Nous avons voulu croire que c’était possible. Nous avons voulu penser qu’on allait gagner, et en fait on a perdu.
Et ça je ne peux me l’expliquer.
Je ne comprends pas pourquoi, pourquoi l’homme a besoin de lutter pour continuer à exister. Pourquoi dans notre cas, nos sociétés ont commencé à se dématérialiser avec l’avènement de la facilité.
Je ne sais pas non plus. Mais il est vrai que nos progrès ont comme été concomitants du retour de l’obscurantisme.
Je ne sais pas si c’est un retour.
Moi non plus au fond.
Non c’est vrai, ce n’est sans doute pas un retour, mais plutôt une re-plongée. C’est-à-dire qu’on en sortait et que maintenant on y retourne. Mais comme tout le reste c’est faux bien sûr, car ces enragés, ces chiens enragés comme les appellent certains utilisent nos progrès, notre facilité à leurs fins obscures.
C’est certain, et il est vrai que c’est étrange.
Ce n’est pas le seul de leurs paradoxes, mais ce n’est pas le moindre.
C’est sûr. Mais c’est vrai que dès le début, dès que l’on a vu fleurir ou plutôt comment pourrais-je dire, dès que l’on a vu se multiplier les femmes masquées un peu partout dans les rues, les autobus, on a aussi compris qu’elles avaient une vie similaire à la nôtre. Prisonnières de leurs choix elles étaient sans doute, ainsi que de leur concubins, car en réalité ils ne sont souvent pas mariés selon nos règles, mais pas pour autant enfermées à la maison. Il fallait malgré tout qu’on les voit au Mac Do, ainsi que dans les parcs pour enfants, chez Ikea, enfin bref dans tous les lieux, voire les temples de la consommation. Même les plus infidèles, même les plus sataniques selon leur conception.
Eh bien oui, bien sûr. C’était une nécessaire adaptation.
Pour prendre place en profondeur dans un système il faut l’habiter, l’entrer de l’intérieur, sinon la force du groupe joue contre soi. Mais dès lors qu’on a le nombre et en plus la visibilité, alors les choses se font presque d’elles-mêmes.
Silence.
C’est amusant au fond, car cela va à l’encontre de toutes les théories du complot. C’est une démonstration par l’absurde de leur incohérence. Les desseins les plus nuisibles, les pires plans se font au grand jour, et il semble que c’est ainsi qu’ils prospèrent le mieux, qu’on leur fait place nette. Ceux-là même qui ont décidé de nous asservir le proclament haut et fort depuis des lustres. Mais les gens n’ont jamais semblé s’en inquiéter. Dans le même temps, ils ont réveillé des vieux mythes, vieux plus ou moins oubliés pour leur donner une seconde jeunesse à laquelle le plus grand nombre a vite semblé adhérer, alors qu’eux même faisaient sans se cacher, ce qu’ils reprochaient aux autres, mieux donc ils s’en vantaient et personne ne semblait relever l’ironie de cette situation. On préfère prêter aux autres ces velléités dominatrices tandis qu’un plan semblable s’exerce sous nos yeux.
Il y a là un mystère étonnant. C’est sûr, mais qui n’intéressera personne. Qui n’a intéressé personne surtout dans nos contrées.
Ben oui, surtout en France, il faut admettre que le terreau était prêt. Cela faisait quelques décennies maintenant que notre République était dissoute et que seules quelques traces d’une mythologie passée survivaient. Notre beau pays vivait d’une légende sur les traces d’une autre. Tout y était faux, inauthentique, plus un seul être humain capable de raisonner normalement. A croire que la raison justement avait déserté. Que le mensonge, que dis-je, la propagande avait fini par vaincre. Pas comme on aurait cru qu’elle le fît, pas immédiatement, mais en délayant ses fils invisibles dans les années à venir.
Je crois que j’ai perdu le fil justement. Je ne suis plus sûre de comprendre. On parle toujours de la même chose ?
Oui à peu près, mais ce que je veux expliquer c’est que c’était facile. La réalité comme les illusions avaient disparu, pour petit à petit laisser place à la facilité et aux restes de légende. Une légende partout ailleurs décriée, montrée au grand jour comme l’immonde totalitarisme criminel qu’elle avait été sauf ici.
Ici on faisait semblant d’être sur une autre planète.
Ailleurs, cet ailleurs merveilleux de la lutte des classes, transformée en 35 h00 et puis vite on ne comprit plus en quoi d’autre, mais en un autre avatar, tous issus du même paradigme, de la même illusion, du même mensonge, de la même propagande.
Sauf que.
Sauf que, lorsque la propagande se dissémine sur plusieurs générations, elle perd l’aspect de ce qu’elle est vraiment, elle devient la réalité.
C’est ce qui s’est passé.
C’est ce qui a permis la suite.
M.G ou...
Et ça je ne peux me l’expliquer.
Je ne comprends pas pourquoi, pourquoi l’homme a besoin de lutter pour continuer à exister. Pourquoi dans notre cas, nos sociétés ont commencé à se dématérialiser avec l’avènement de la facilité.
Je ne sais pas non plus. Mais il est vrai que nos progrès ont comme été concomitants du retour de l’obscurantisme.
Je ne sais pas si c’est un retour.
Moi non plus au fond.
Non c’est vrai, ce n’est sans doute pas un retour, mais plutôt une re-plongée. C’est-à-dire qu’on en sortait et que maintenant on y retourne. Mais comme tout le reste c’est faux bien sûr, car ces enragés, ces chiens enragés comme les appellent certains utilisent nos progrès, notre facilité à leurs fins obscures.
C’est certain, et il est vrai que c’est étrange.
Ce n’est pas le seul de leurs paradoxes, mais ce n’est pas le moindre.
C’est sûr. Mais c’est vrai que dès le début, dès que l’on a vu fleurir ou plutôt comment pourrais-je dire, dès que l’on a vu se multiplier les femmes masquées un peu partout dans les rues, les autobus, on a aussi compris qu’elles avaient une vie similaire à la nôtre. Prisonnières de leurs choix elles étaient sans doute, ainsi que de leur concubins, car en réalité ils ne sont souvent pas mariés selon nos règles, mais pas pour autant enfermées à la maison. Il fallait malgré tout qu’on les voit au Mac Do, ainsi que dans les parcs pour enfants, chez Ikea, enfin bref dans tous les lieux, voire les temples de la consommation. Même les plus infidèles, même les plus sataniques selon leur conception.
Eh bien oui, bien sûr. C’était une nécessaire adaptation.
Pour prendre place en profondeur dans un système il faut l’habiter, l’entrer de l’intérieur, sinon la force du groupe joue contre soi. Mais dès lors qu’on a le nombre et en plus la visibilité, alors les choses se font presque d’elles-mêmes.
Silence.
C’est amusant au fond, car cela va à l’encontre de toutes les théories du complot. C’est une démonstration par l’absurde de leur incohérence. Les desseins les plus nuisibles, les pires plans se font au grand jour, et il semble que c’est ainsi qu’ils prospèrent le mieux, qu’on leur fait place nette. Ceux-là même qui ont décidé de nous asservir le proclament haut et fort depuis des lustres. Mais les gens n’ont jamais semblé s’en inquiéter. Dans le même temps, ils ont réveillé des vieux mythes, vieux plus ou moins oubliés pour leur donner une seconde jeunesse à laquelle le plus grand nombre a vite semblé adhérer, alors qu’eux même faisaient sans se cacher, ce qu’ils reprochaient aux autres, mieux donc ils s’en vantaient et personne ne semblait relever l’ironie de cette situation. On préfère prêter aux autres ces velléités dominatrices tandis qu’un plan semblable s’exerce sous nos yeux.
Il y a là un mystère étonnant. C’est sûr, mais qui n’intéressera personne. Qui n’a intéressé personne surtout dans nos contrées.
Ben oui, surtout en France, il faut admettre que le terreau était prêt. Cela faisait quelques décennies maintenant que notre République était dissoute et que seules quelques traces d’une mythologie passée survivaient. Notre beau pays vivait d’une légende sur les traces d’une autre. Tout y était faux, inauthentique, plus un seul être humain capable de raisonner normalement. A croire que la raison justement avait déserté. Que le mensonge, que dis-je, la propagande avait fini par vaincre. Pas comme on aurait cru qu’elle le fît, pas immédiatement, mais en délayant ses fils invisibles dans les années à venir.
Je crois que j’ai perdu le fil justement. Je ne suis plus sûre de comprendre. On parle toujours de la même chose ?
Oui à peu près, mais ce que je veux expliquer c’est que c’était facile. La réalité comme les illusions avaient disparu, pour petit à petit laisser place à la facilité et aux restes de légende. Une légende partout ailleurs décriée, montrée au grand jour comme l’immonde totalitarisme criminel qu’elle avait été sauf ici.
Ici on faisait semblant d’être sur une autre planète.
Ailleurs, cet ailleurs merveilleux de la lutte des classes, transformée en 35 h00 et puis vite on ne comprit plus en quoi d’autre, mais en un autre avatar, tous issus du même paradigme, de la même illusion, du même mensonge, de la même propagande.
Sauf que.
Sauf que, lorsque la propagande se dissémine sur plusieurs générations, elle perd l’aspect de ce qu’elle est vraiment, elle devient la réalité.
C’est ce qui s’est passé.
C’est ce qui a permis la suite.
M.G ou...
jeudi, décembre 13, 2007
Pour un monde meilleur ? (38)
Mon ventre s’arrondit. Oui c’est ça. C’est enfin cela. Il s’arrondit et la vie prend forme je crois. C’est un enfant qui n’aurait pas de père. C’est un enfant qui n’aurait pas de pays. C’est un enfant qui n’aurait que moi. Je serais sa seule chose au monde, il serait ma seule chose au monde. Lui pour moi et moi pour lui.
Nous vivrons à la campagne. Nous nous cacherons, le temps qu’il faudra. Il en faudra peut-être beaucoup. Mais je sais que ce sera bien. Pour lui et pour moi, mais pour lui surtout. En attendant, il faut juste que je le protège encore. Que je mange bien. Que je me soigne. Et que je sois docile.
A la boutique ils vont tiquer un peu, c’est sûr. J’ai déjà pris quatre kilos. Oh, au fond, ça ne fait qu’un kilo par mois, un peu plus peut-être, mais je m’en fiche à un point. La seule chose que je regrette sans doute est cette vision, cette idée qui me trotte sans cesse dans la tête, jamais un homme ne me dira que je suis belle enceinte. Que la maternité me va bien. Aucun homme ne posera ce regard attendri sur moi, ni plus tard sur mon enfant. Sur notre enfant.
Moi je me trouve belle. Pour la première fois de ma vie, je me trouve belle. Je prends des photos de moi, régulièrement.
J’ai déjà acheté tout un tas de vêtements parce que je ne rentrais plus dans les miens, et aussi parce que je voulais être belle comme ça. Belle pour ça.
La solitude n’existe plus vraiment.
De toute façon, cela fait longtemps que l’on a tué la solitude pour un enfer technologique.
Je sais les angoisses qui bientôt m’accompagneront, à chacun de ses pas, à chacun de ses moments loin de moi. Mais il vivra, il sera fort j’en suis certaine, parce que c’est de ma force qu’il sera né. De la force que j’aurai eue de conjurer mon destin.
Partir ensemble et retrouver un peu d’une vie réelle nous donnera de cette liberté qui vient à tant nous manquer.
M.G
Nous vivrons à la campagne. Nous nous cacherons, le temps qu’il faudra. Il en faudra peut-être beaucoup. Mais je sais que ce sera bien. Pour lui et pour moi, mais pour lui surtout. En attendant, il faut juste que je le protège encore. Que je mange bien. Que je me soigne. Et que je sois docile.
A la boutique ils vont tiquer un peu, c’est sûr. J’ai déjà pris quatre kilos. Oh, au fond, ça ne fait qu’un kilo par mois, un peu plus peut-être, mais je m’en fiche à un point. La seule chose que je regrette sans doute est cette vision, cette idée qui me trotte sans cesse dans la tête, jamais un homme ne me dira que je suis belle enceinte. Que la maternité me va bien. Aucun homme ne posera ce regard attendri sur moi, ni plus tard sur mon enfant. Sur notre enfant.
Moi je me trouve belle. Pour la première fois de ma vie, je me trouve belle. Je prends des photos de moi, régulièrement.
J’ai déjà acheté tout un tas de vêtements parce que je ne rentrais plus dans les miens, et aussi parce que je voulais être belle comme ça. Belle pour ça.
La solitude n’existe plus vraiment.
De toute façon, cela fait longtemps que l’on a tué la solitude pour un enfer technologique.
Je sais les angoisses qui bientôt m’accompagneront, à chacun de ses pas, à chacun de ses moments loin de moi. Mais il vivra, il sera fort j’en suis certaine, parce que c’est de ma force qu’il sera né. De la force que j’aurai eue de conjurer mon destin.
Partir ensemble et retrouver un peu d’une vie réelle nous donnera de cette liberté qui vient à tant nous manquer.
M.G
jeudi, octobre 18, 2007
Pour un monde meilleur (37)
Attendre.
Attendre devant un écran d’ordinateur qu’un son illumine la nuit de solitude, attendre son petit cellulaire à la main, qu’une vibration éveille ce secret espoir tout en craignant vivement la déception qui pourrait en découler… le message ne viendrait pas du bon destinataire. Non juste une invitation à choisir une autre religion que celle dont quelques signes nous ont été donnés par notre simple ascendance. Un de ces nombreux short message qui désormais encombrent notre quotidien, au point qu’est souvent évoquée l’idée de se débarrasser purement et simplement du petit mobile. Or qui le pourrait ? Il est encore tôt. Le moment viendra sans doute, mais ce n’est pas maintenant.
Ainsi grâce à notre addiction, à notre prothétique besoin d’être liés sans cesse, pour être mieux rassurés sans doute, pour toujours savoir, jouir encore, ils ont gagné. Même dans notre technologie, rare et meilleure représentation de notre société perdue à leurs yeux, ils parviennent à nous dominer, à nous pourrir l’existence. Toute leur perfidie réside dans cette contradiction sans cesse révélée, exposée, proclamée presque comme pour nous montrer à quel point nous sommes stupides de nous laisser berner ainsi. Le Moyen Age ne leur suffisait pas, il leur fallait aussi nous prendre nos technologies pour mieux espérer nous posséder. Et bien sûr, en profiter pour nous faire passer pour des cons que nous étions.
Parfois le bon sens est désarmé devant les plus vils et imbéciles instincts. Surtout pour les agneaux que nous sommes devenus.
Il fait nuit. Martha est seule dans son bureau éclairée par la seule lumière de l’écran… elle écoute des airs de sa jeunesse, regarde des clips et pense ce soir qu’il est possible d’avoir quatorze ans à nouveau, qu’il est possible de vivre sans conséquences, puisqu’il est aussi possible de mourir sans raison, de souffrir pour rien, de voir le monde se lever en un tourbillon de fumée.
Martha regarde la chanteuse des Cocteau Twins et ne comprend pas comment il se fait qu’elle soit à ce point habitée par ses jeunes années, comme si ce soir encore elle partait pour une soirée, tandis que son mari dort à quelques mètres de là. Martha regarde encore le petit objet posé près d’elle, qu’elle se fera bientôt greffer sur le cœur. Il ne sonne pas, n’indique rien. Il l’a oubliée. Elle cherche maintenant les Thomson Twins… au fond la musique des années 80 n’a de bon réellement que ce qu’elle imprime parfaitement le son de sa décennie, comme toutes les musiques de chaque décennie avant elle, et peut-être pas après, puisque après on est passé dans l’infini du temps qui s’étire aujourd’hui à loisir et pour toujours. Ce soir Martha part pour une fête où elle retrouvera les gens de son lycée, son petit lycée de banlieue. Ce soir elle se fera belle, simplement belle sans apparat car elle n’a pas l’âge. On se pose moins de questions alors, alors que le temps n’a pas entamé notre peau, notre visage, n’a pas mordu notre naturel de cette injuste et incroyable dégradation qui nous fait bien comprendre que nous ne sommes nous-mêmes que pendant une dizaine d’années à peine. Ensuite nous devenons l’ombre d’un nous-même qui a trop peu vécu pour être, nous sommes en quelques sortes l’ombre de la déception que nous laissons sur le monde. Mais ce soir, elle est là, belle, pleine, confiante. Jeune et donc vivante.
Ce soir, dans le gymnase d’une école pour sourds-muets elle dansera, il fera chaud, humide et dehors, à l’extérieur, elle sortira, son gobelet d’une quelconque boisson sera dans sa main. Elle rira, peu car elle restera elle-même il ne faut pas rêver, mais elle le cherchera du regard. Tournera un peu sur elle-même au son de la musique du lieu où l’eau coule sur les vitres, où les jeunes dansent et se dépensent, ce que les vieux ont du mal à faire ensuite. Ses copines ne seront pas loin sans doute. Elle le verra, là bas, un peu plus loin près de la grille. Il fait frais dehors, il est bientôt onze heure. Dans une heure son père viendra la chercher. Dans une heure il sera trop tard. Il lui sourit.
Ce soir il est plus âgé qu’elle. Ce soir il est celui qui vient vers elle. Il s’approche, il sourit. Ça y est il lui parle, il se moque d’elle. Il l’imite, il la reprend. Puis il lui demande ce qu’elle boit et s’allume une cigarette. Elle dit : tu veux goûter ?
Il attrape le gobelet et trempe ses lèvres dans la boisson inconnue… elle lui demande une taffe de la cigarette, il la lui tend, la place dans sa bouche. Elle se concentre et aspire….
Il lui sourit. Il dit : tu trouves pas que la musique est trop forte ?
Déjà il est original.
Il dit tu veux pas aller plus loin et déjà Martha sent les battements de son cœur investir sa trachée, bientôt elle claquera peut-être des dents, pas le froid mais l’émotion, cette émotion si forte dont sont capables les jeunes personnes…
Ils marchent maintenant à la recherche d’un coin un peu plus tranquille isolé. Il lui demande si elle a commencé à réviser pour le Bac Français, elle répond timidement qu’elle n’est qu’en seconde, et le grillage noir s’éloigne, la lumière s’atténue, on sent la présence de quelques corps fondus de ci de là, sans les voir. La nuit embaume l’espace de toute sa virginité.
Il s’approche d’elle au fur et à mesure qu’ils s’enfoncent sans savoir où, vers le lieu qui accueillera leur intimité bientôt, et le cœur bat trop fort, et ils avancent, il la touche à présent. Il lui demande si elle veut une autre taffe, elle dit oui. Il sourit. Passe la main dans ses cheveux.
Alors t’es qu’en seconde ?
Mais j’étais persuadé que t’étais dans la classe de Caroline…
Ben non. C’est ma cousine, mais je suis en seconde.
Je fais du détournement de mineurs alors ?
Ben oui, sans doute.
Il pose ses lèvres sur les siennes.
M.G
Attendre devant un écran d’ordinateur qu’un son illumine la nuit de solitude, attendre son petit cellulaire à la main, qu’une vibration éveille ce secret espoir tout en craignant vivement la déception qui pourrait en découler… le message ne viendrait pas du bon destinataire. Non juste une invitation à choisir une autre religion que celle dont quelques signes nous ont été donnés par notre simple ascendance. Un de ces nombreux short message qui désormais encombrent notre quotidien, au point qu’est souvent évoquée l’idée de se débarrasser purement et simplement du petit mobile. Or qui le pourrait ? Il est encore tôt. Le moment viendra sans doute, mais ce n’est pas maintenant.
Ainsi grâce à notre addiction, à notre prothétique besoin d’être liés sans cesse, pour être mieux rassurés sans doute, pour toujours savoir, jouir encore, ils ont gagné. Même dans notre technologie, rare et meilleure représentation de notre société perdue à leurs yeux, ils parviennent à nous dominer, à nous pourrir l’existence. Toute leur perfidie réside dans cette contradiction sans cesse révélée, exposée, proclamée presque comme pour nous montrer à quel point nous sommes stupides de nous laisser berner ainsi. Le Moyen Age ne leur suffisait pas, il leur fallait aussi nous prendre nos technologies pour mieux espérer nous posséder. Et bien sûr, en profiter pour nous faire passer pour des cons que nous étions.
Parfois le bon sens est désarmé devant les plus vils et imbéciles instincts. Surtout pour les agneaux que nous sommes devenus.
Il fait nuit. Martha est seule dans son bureau éclairée par la seule lumière de l’écran… elle écoute des airs de sa jeunesse, regarde des clips et pense ce soir qu’il est possible d’avoir quatorze ans à nouveau, qu’il est possible de vivre sans conséquences, puisqu’il est aussi possible de mourir sans raison, de souffrir pour rien, de voir le monde se lever en un tourbillon de fumée.
Martha regarde la chanteuse des Cocteau Twins et ne comprend pas comment il se fait qu’elle soit à ce point habitée par ses jeunes années, comme si ce soir encore elle partait pour une soirée, tandis que son mari dort à quelques mètres de là. Martha regarde encore le petit objet posé près d’elle, qu’elle se fera bientôt greffer sur le cœur. Il ne sonne pas, n’indique rien. Il l’a oubliée. Elle cherche maintenant les Thomson Twins… au fond la musique des années 80 n’a de bon réellement que ce qu’elle imprime parfaitement le son de sa décennie, comme toutes les musiques de chaque décennie avant elle, et peut-être pas après, puisque après on est passé dans l’infini du temps qui s’étire aujourd’hui à loisir et pour toujours. Ce soir Martha part pour une fête où elle retrouvera les gens de son lycée, son petit lycée de banlieue. Ce soir elle se fera belle, simplement belle sans apparat car elle n’a pas l’âge. On se pose moins de questions alors, alors que le temps n’a pas entamé notre peau, notre visage, n’a pas mordu notre naturel de cette injuste et incroyable dégradation qui nous fait bien comprendre que nous ne sommes nous-mêmes que pendant une dizaine d’années à peine. Ensuite nous devenons l’ombre d’un nous-même qui a trop peu vécu pour être, nous sommes en quelques sortes l’ombre de la déception que nous laissons sur le monde. Mais ce soir, elle est là, belle, pleine, confiante. Jeune et donc vivante.
Ce soir, dans le gymnase d’une école pour sourds-muets elle dansera, il fera chaud, humide et dehors, à l’extérieur, elle sortira, son gobelet d’une quelconque boisson sera dans sa main. Elle rira, peu car elle restera elle-même il ne faut pas rêver, mais elle le cherchera du regard. Tournera un peu sur elle-même au son de la musique du lieu où l’eau coule sur les vitres, où les jeunes dansent et se dépensent, ce que les vieux ont du mal à faire ensuite. Ses copines ne seront pas loin sans doute. Elle le verra, là bas, un peu plus loin près de la grille. Il fait frais dehors, il est bientôt onze heure. Dans une heure son père viendra la chercher. Dans une heure il sera trop tard. Il lui sourit.
Ce soir il est plus âgé qu’elle. Ce soir il est celui qui vient vers elle. Il s’approche, il sourit. Ça y est il lui parle, il se moque d’elle. Il l’imite, il la reprend. Puis il lui demande ce qu’elle boit et s’allume une cigarette. Elle dit : tu veux goûter ?
Il attrape le gobelet et trempe ses lèvres dans la boisson inconnue… elle lui demande une taffe de la cigarette, il la lui tend, la place dans sa bouche. Elle se concentre et aspire….
Il lui sourit. Il dit : tu trouves pas que la musique est trop forte ?
Déjà il est original.
Il dit tu veux pas aller plus loin et déjà Martha sent les battements de son cœur investir sa trachée, bientôt elle claquera peut-être des dents, pas le froid mais l’émotion, cette émotion si forte dont sont capables les jeunes personnes…
Ils marchent maintenant à la recherche d’un coin un peu plus tranquille isolé. Il lui demande si elle a commencé à réviser pour le Bac Français, elle répond timidement qu’elle n’est qu’en seconde, et le grillage noir s’éloigne, la lumière s’atténue, on sent la présence de quelques corps fondus de ci de là, sans les voir. La nuit embaume l’espace de toute sa virginité.
Il s’approche d’elle au fur et à mesure qu’ils s’enfoncent sans savoir où, vers le lieu qui accueillera leur intimité bientôt, et le cœur bat trop fort, et ils avancent, il la touche à présent. Il lui demande si elle veut une autre taffe, elle dit oui. Il sourit. Passe la main dans ses cheveux.
Alors t’es qu’en seconde ?
Mais j’étais persuadé que t’étais dans la classe de Caroline…
Ben non. C’est ma cousine, mais je suis en seconde.
Je fais du détournement de mineurs alors ?
Ben oui, sans doute.
Il pose ses lèvres sur les siennes.
M.G
mardi, octobre 02, 2007
Pour un monde meilleur (36)

Soudain, sans qu’elle n’en perçoive la raison l’ivresse s’envole. Devant ce ruban de métal qu’elle devine s’étirant à perte de vue dans la nuit vague et il y a une seconde encore magnifique, ses esprits lui reviennent comme s’ils ne l’avaient jamais quittée. Elle ne sait pas très bien ce qu’elle fait là, mais une chose comme un pressentiment lui indique que la romance est terminée.
Nous ne sommes pas là pour ça.
Elle comprend alors qu’il est nécessaire qu’elle redevienne l’aînée, la femme qu’elle pensait être la première fois qu’elle a croisé Yohan. Une femme à peu près sûre d’elle en apparence, dont il ne reste de la libido qu’un vague souvenir, une trace un peu épaisse dans la chair et dans la tête, comme une chose dont on a aimé savoir l’existence tout en sentant que le jour où cela se calmerait, cela ne ferait pas de mal, au contraire.
Un petit regret cependant semble vouloir la retenir encore faiblement dans la perspective de la rencontre, l’instant où enfin se précise l’aura de sensations qui nous habite depuis des semaines voire des mois, la minute où l’autre confirme tout ce que l’on a cru, sans pouvoir en être vraiment assuré. Si la raison l’appelle à reprendre son habit de personnage humain, peut-être son cœur ou une chose proche semble ne pas pouvoir s’y résoudre, comme s’il ou elle sentait qu’après cela, les choses seraient différentes, impossibles même.
Mais nous sommes là, ensemble face à cette frontière en métal.
Elle l’interroge du regard. Il répond par un sourire, puis dit à voix basse : tu vas voir. Il avance lentement puis se baisse légèrement tout en tâtonnant sur le métal avec sa main gauche. Il l’appelle.
Martha.
Elle trésaille à l’entente de son prénom. Puis avance doucement pour le rejoindre.
- tu vas passer d’abord, lui dit-il en soulevant un pan de tôle, laissant apparaître un passage minuscule.
Martha pense à son manteau neuf acheté exprès pour la rencontre de ce soir, un moment tant attendu. Une essence de temps dont on fait un diamant brut à regarder, à sentir contre soi, comme ultime but avant l’abandon.
Nous ne sommes pas là pour ça.
Elle comprend alors qu’il est nécessaire qu’elle redevienne l’aînée, la femme qu’elle pensait être la première fois qu’elle a croisé Yohan. Une femme à peu près sûre d’elle en apparence, dont il ne reste de la libido qu’un vague souvenir, une trace un peu épaisse dans la chair et dans la tête, comme une chose dont on a aimé savoir l’existence tout en sentant que le jour où cela se calmerait, cela ne ferait pas de mal, au contraire.
Un petit regret cependant semble vouloir la retenir encore faiblement dans la perspective de la rencontre, l’instant où enfin se précise l’aura de sensations qui nous habite depuis des semaines voire des mois, la minute où l’autre confirme tout ce que l’on a cru, sans pouvoir en être vraiment assuré. Si la raison l’appelle à reprendre son habit de personnage humain, peut-être son cœur ou une chose proche semble ne pas pouvoir s’y résoudre, comme s’il ou elle sentait qu’après cela, les choses seraient différentes, impossibles même.
Mais nous sommes là, ensemble face à cette frontière en métal.
Elle l’interroge du regard. Il répond par un sourire, puis dit à voix basse : tu vas voir. Il avance lentement puis se baisse légèrement tout en tâtonnant sur le métal avec sa main gauche. Il l’appelle.
Martha.
Elle trésaille à l’entente de son prénom. Puis avance doucement pour le rejoindre.
- tu vas passer d’abord, lui dit-il en soulevant un pan de tôle, laissant apparaître un passage minuscule.
Martha pense à son manteau neuf acheté exprès pour la rencontre de ce soir, un moment tant attendu. Une essence de temps dont on fait un diamant brut à regarder, à sentir contre soi, comme ultime but avant l’abandon.
M.G
lundi, septembre 10, 2007
Pour un monde meilleur (35)
- Viens je voudrais te montrer quelque chose…
Yohan a peur de se trahir mais ne peut résister à cette attraction comme une trop évidente confiance.
Martha est un peu saoule de fatigue mais tellement intriguée de la brèche qui s’ouvre devant elle, comme un infini trompeur… Il est très tard, la nuit est profonde et fraîche, emplit ses poumons d’une odeur qu’elle n’a pas sentie depuis des années. Depuis des siècles peut-être. Il marche devant, son grand corps longiligne se fond dans la nuit, vibre à peine devant elle. Les trottoirs étroits ne leur offrent pas la possibilité d’être côte à côte. Elle se dit que c’est bien, c’est mieux ainsi. Avant de quitter le café tout à l’heure elle a acheté un paquet de cigarettes.
C’était bon de fumer à 15 ans, de se croire tout permis. Allumer une cigarette à quatre heures du matin et se déchirer la gorge alors qu’on devrait sans doute dormir car au retour de ce séjour en Angleterre il y a une interro de maths. Elle s’en souvient comme si c’était hier. C’est pareil à présent. Cette liberté factice elle la prend, elle la vole et s’en empare comme d’un objet, une chose que l’on garde et qui bien souvent vous survit.
- hé Yohan, tu veux une cigarette ? Comme c’est drôle de se lâcher…
Il se retourne et lui sourit..
- non je te remercie. J’en ai de toute façon. D’ailleurs tu as été ridicule d’en acheter.
Elle ne l’écoute plus et s’applique à ouvrir le paquet, enlève d’abord le film plastique sur la partie haute comme le lui a appris son mari à une époque où il n’était que son copain, puis enlève la papier métallisé et enfin attrape le petit cylindre blanc et beige, doux et si léger.
- Hé Yohan c’est encore moi, en fait j’ai pas de feu.
Il s’arrête, prêt à rire carrément semblant dire : je le savais…. Il la laisse s’approcher et allume sa cigarette tout en maintenant ce sourire délicieux, d’une douceur à nulle autre pareille. Elle inspire, l’adolescente inspire puis recrache la fumée vers l’homme qui ce soir a son âge sans doute.
- Dis-moi demande-t-elle cette fois tout bas, d’un ton très posé…
- Oui…
- On va où ?
- On est presque arrivé…
- Oui, mais on va où ?…
- Sois patiente, tu ne seras pas déçu.
Cela fait maintenant un bon quart d’heure qu’ils marchent ainsi, elle croit reconnaître au loin le quartier de la Très Grande Bibliothèque, nommée plus tard bibliothèque François Mitterrand, en France on a la furieuse manie de s’accrocher à ses mythes…
- nous arrivons lui glisse-t-il à voix basse.
La cigarette est terminée, l’adolescence s’enfuit s’il est possible qu’elle le fasse, et l’angoisse semble prête à reprendre ses droits… une angoisse jouissive qui la renvoie une fois encore à des heures révolues. Mais que fera-t-elle réellement s’il l’approche, mon dieu, non, elle se laissera enlacer et ce sera tout.
Pour le moment tout au moins… et puis s’il, enfin s’il s’approche…
Soudain la voici face à une paroi en tôle, bac acier d’une couleur qu’elle ne perçoit pas dans la pénombre. Une clôture qui semble abriter un chantier.
M.G
Yohan a peur de se trahir mais ne peut résister à cette attraction comme une trop évidente confiance.
Martha est un peu saoule de fatigue mais tellement intriguée de la brèche qui s’ouvre devant elle, comme un infini trompeur… Il est très tard, la nuit est profonde et fraîche, emplit ses poumons d’une odeur qu’elle n’a pas sentie depuis des années. Depuis des siècles peut-être. Il marche devant, son grand corps longiligne se fond dans la nuit, vibre à peine devant elle. Les trottoirs étroits ne leur offrent pas la possibilité d’être côte à côte. Elle se dit que c’est bien, c’est mieux ainsi. Avant de quitter le café tout à l’heure elle a acheté un paquet de cigarettes.
C’était bon de fumer à 15 ans, de se croire tout permis. Allumer une cigarette à quatre heures du matin et se déchirer la gorge alors qu’on devrait sans doute dormir car au retour de ce séjour en Angleterre il y a une interro de maths. Elle s’en souvient comme si c’était hier. C’est pareil à présent. Cette liberté factice elle la prend, elle la vole et s’en empare comme d’un objet, une chose que l’on garde et qui bien souvent vous survit.
- hé Yohan, tu veux une cigarette ? Comme c’est drôle de se lâcher…
Il se retourne et lui sourit..
- non je te remercie. J’en ai de toute façon. D’ailleurs tu as été ridicule d’en acheter.
Elle ne l’écoute plus et s’applique à ouvrir le paquet, enlève d’abord le film plastique sur la partie haute comme le lui a appris son mari à une époque où il n’était que son copain, puis enlève la papier métallisé et enfin attrape le petit cylindre blanc et beige, doux et si léger.
- Hé Yohan c’est encore moi, en fait j’ai pas de feu.
Il s’arrête, prêt à rire carrément semblant dire : je le savais…. Il la laisse s’approcher et allume sa cigarette tout en maintenant ce sourire délicieux, d’une douceur à nulle autre pareille. Elle inspire, l’adolescente inspire puis recrache la fumée vers l’homme qui ce soir a son âge sans doute.
- Dis-moi demande-t-elle cette fois tout bas, d’un ton très posé…
- Oui…
- On va où ?
- On est presque arrivé…
- Oui, mais on va où ?…
- Sois patiente, tu ne seras pas déçu.
Cela fait maintenant un bon quart d’heure qu’ils marchent ainsi, elle croit reconnaître au loin le quartier de la Très Grande Bibliothèque, nommée plus tard bibliothèque François Mitterrand, en France on a la furieuse manie de s’accrocher à ses mythes…
- nous arrivons lui glisse-t-il à voix basse.
La cigarette est terminée, l’adolescence s’enfuit s’il est possible qu’elle le fasse, et l’angoisse semble prête à reprendre ses droits… une angoisse jouissive qui la renvoie une fois encore à des heures révolues. Mais que fera-t-elle réellement s’il l’approche, mon dieu, non, elle se laissera enlacer et ce sera tout.
Pour le moment tout au moins… et puis s’il, enfin s’il s’approche…
Soudain la voici face à une paroi en tôle, bac acier d’une couleur qu’elle ne perçoit pas dans la pénombre. Une clôture qui semble abriter un chantier.
M.G
jeudi, septembre 06, 2007
Pour un monde meilleur (34)
- Les choses, c’était vivre, bouffer de la vie, pas juste être enfermé derrière mon écran d’ordinateur… c’est bizarre non, quand on pense que souvent on a besoin d’écrire aussi pour laisser quelque chose, une trace, ça nous semble plus important, et finalement ensuite ça se retourne, on veut écrire mais on veut aussi vivre. Si ça c’est pas se sentir vieillir…
- mais enfin tu avais quel âge ?
- j’avais vingt huit ans je crois.
- Ah oui ? remarque moi aussi je me suis sentie vieillir assez jeune, mais en toute honnêteté après ce n’est pas pareil. Plus tu avances en âge plus tu as l’impression de te diluer dans l’existence, avec un grand E. tu te fonds dans la masse de tes semblables et de leur destin. Tu réalises que tu n’es pas du tout unique, tu fais de plus en plus de compromis.
- Mais qu’est-ce que tu racontes ?
Le ton est sec, violent presque. Elle se sent faible soudain, déstabilisée. Impressionnée peut-être. Oui en fait depuis le début c’est ça. Elle ravale sa salive pour lui répondre… hésite.
- euh, ben quoi. Elle tire sur la cigarette et cherche son regard, son sourire qui la réconforterait, la pousserait à croire qu’elle ne s’est pas trompée, que l’homme ici présent ce soir, face à elle, le plus jeune homme l’aime. De ce sentiment qu’elle croit connaître tout en n’y croyant pas vraiment, de ce sentiment qui pousse deux être à se faire confiance, un temps au moins.
Il ne sourit pas. Lance un regard sombre et péremptoire qu’elle soutient sans trop faiblir, enfin elle l’espère.
- comment peux-tu parler de compromis ? Tu n’as pas cédé, tu te bats, à ta manière tu agis. Alors pourquoi cette fausse modestie, je ne supporte pas qu’on ne reconnaisse pas ses actes et leur portée, surtout lorsqu’elle est positive.
- Mais toi même tu m’as reproché de ne pas me battre.
- Non ce n’était pas un reproche. Plutôt un regret confie-t-il doucement.
Il doit être tard pense-t-elle. Et après ? ensuite que va-t-il se passer ? la violence qu’elle sent en lui l’effraie un peu. Elle a connu un homme violent une fois, il y a très longtemps. Enfin les hommes sont tous plus ou moins violents… ses mains sont fines, il cache sans doute une grande sensibilité, comme un autre homme, celui avec lequel elle a fait sa vie. Elle lève ses yeux vers lui et croise un regard trouble, à la fois rieur et inquiet, qui semble l’interroger, l’appeler. Il lui sourit à présent.
- je peux te prendre une autre cigarette ? demande-t-elle très bas, et sa voix se casse. A ce moment elle se sent adulte, l’adulte, la mère. Celle qui en tous temps aurait dû savoir protéger, mais les femmes n’ont jamais le pouvoir, jamais ne le prennent.
- Bien sûr répond-il, et il lui fait un clin d’œil en ouvrant délicatement le paquet.
M.G
- mais enfin tu avais quel âge ?
- j’avais vingt huit ans je crois.
- Ah oui ? remarque moi aussi je me suis sentie vieillir assez jeune, mais en toute honnêteté après ce n’est pas pareil. Plus tu avances en âge plus tu as l’impression de te diluer dans l’existence, avec un grand E. tu te fonds dans la masse de tes semblables et de leur destin. Tu réalises que tu n’es pas du tout unique, tu fais de plus en plus de compromis.
- Mais qu’est-ce que tu racontes ?
Le ton est sec, violent presque. Elle se sent faible soudain, déstabilisée. Impressionnée peut-être. Oui en fait depuis le début c’est ça. Elle ravale sa salive pour lui répondre… hésite.
- euh, ben quoi. Elle tire sur la cigarette et cherche son regard, son sourire qui la réconforterait, la pousserait à croire qu’elle ne s’est pas trompée, que l’homme ici présent ce soir, face à elle, le plus jeune homme l’aime. De ce sentiment qu’elle croit connaître tout en n’y croyant pas vraiment, de ce sentiment qui pousse deux être à se faire confiance, un temps au moins.
Il ne sourit pas. Lance un regard sombre et péremptoire qu’elle soutient sans trop faiblir, enfin elle l’espère.
- comment peux-tu parler de compromis ? Tu n’as pas cédé, tu te bats, à ta manière tu agis. Alors pourquoi cette fausse modestie, je ne supporte pas qu’on ne reconnaisse pas ses actes et leur portée, surtout lorsqu’elle est positive.
- Mais toi même tu m’as reproché de ne pas me battre.
- Non ce n’était pas un reproche. Plutôt un regret confie-t-il doucement.
Il doit être tard pense-t-elle. Et après ? ensuite que va-t-il se passer ? la violence qu’elle sent en lui l’effraie un peu. Elle a connu un homme violent une fois, il y a très longtemps. Enfin les hommes sont tous plus ou moins violents… ses mains sont fines, il cache sans doute une grande sensibilité, comme un autre homme, celui avec lequel elle a fait sa vie. Elle lève ses yeux vers lui et croise un regard trouble, à la fois rieur et inquiet, qui semble l’interroger, l’appeler. Il lui sourit à présent.
- je peux te prendre une autre cigarette ? demande-t-elle très bas, et sa voix se casse. A ce moment elle se sent adulte, l’adulte, la mère. Celle qui en tous temps aurait dû savoir protéger, mais les femmes n’ont jamais le pouvoir, jamais ne le prennent.
- Bien sûr répond-il, et il lui fait un clin d’œil en ouvrant délicatement le paquet.
M.G
vendredi, août 31, 2007
Pour un monde meilleur (33)
- Vieillir, tu vois c’est comme être happé par l’irrémédiable. On a un peu le sentiment que la mort pèse de plus en plus et que le temps s’accélère, comme si son échelle, ou non plutôt notre façon de le percevoir, notre échelle en somme était exponentielle. Ce n’est pas le temps qui passe plus vite, c’est les possibilités qui s’amenuisent. Je dis n’importe quoi sans doute…
- Non pas du tout, je crois que je comprends… j’en suis un peu là aussi tu sais.
- Non, je suis sûre que non.
- Pourquoi ?
- Je n’ai pas la prétention de te connaître, mais j’ai le sentiment que tu en es encore à ce moment où tu penses avoir du temps. Au fond c’est un peu comme une montagne. On monte, on monte et ensuite on redescend. Moi j’ai commencé à redescendre, alors que toi tu continues de monter… enfin l’image est un peu nulle…
- Non elle n’est pas nulle. Elle a le mérite d’être claire et surtout, enfin, comment dire, elle te ressemble. C’est simple, c’est carré, et en même temps ça peut être plein d’autres choses en même temps… ça peut être bucolique ou romantique…
- Ou alcoolique… l’interrompt Martha.
Il la regarde intrigué.
- je plaisante explique-t-elle. C’est pas drôle, en fait, c’est juste que j’ai envie d’un autre verre.
- Très bien très chère, répond-il en lui lançant un regard qui la transperce au point qu’elle ne peut plus s’en détacher, commençant même sans s’en rendre compte à l’étudier pour voir s’il est vrai, s’il n’est pas au fond destiné à tout le monde et à personne, ce regard qui l’a conduite à penser qu’il la veut sans doute de manière pas très innocente. Yohan appelle un serveur et sort un autre paquet de cigarettes.
- Enfin sincèrement, je me sens aussi un peu sur le retour, pour dire ça élégamment, et encore… sauf que moi je n’ai rien construit.
- Tu as tes livres.
- Mes livres ne sont rien. En plus ils sont nuls. Il tapote avec son briquet sur le nouveau paquet de cigarettes. Tu les as lus ?
- Euh, j’en ai commencé un, mais à vrai dire, j’ai eu un peu de mal, je pense que c’était le plus abrupt.
- Ah ? lequel ?
- Le premier je crois.
Martha ment. Elle connaît presque par cœur la bibliographie de celui qui lui fait face à défaut de sa biographique qui semble assez confidentielle… elle sait quel livre elle a commencé, parce que si elle ne l’a pas lu, elle s’est en revanche longuement renseignée sur l’homme, non par curiosité malsaine, juste par intérêt, pour se rapprocher de lui, dans ces moments où elle pensait à lui et n’avait que ce biais à la prodigalité est malheureusement époustouflante : Internet, pour le rejoindre. Elle s’était donc plongée dans le premier opuscule publié par cet homme incroyablement présent ce soir, alors qu’il lui avait semblé plusieurs fois qu’au fond il n’existait pas, qu’elle l’avait inventé.
Martha n’avait jamais auparavant rencontré de personnage public. Yohan n’était pas très connu, mais il avait un public, et quelques années auparavant, elle se souvient de l’avoir vu à plusieurs reprises dans des émissions dites littéraires ou culturelles à la télévision. Cet homme donc, qu’elle avait vu sur le petit écran, avant de le croiser dans la vie réelle, était là à lui révéler ses failles, cela l’étonnait. Elle était naïve…
- Ah oui. « Vie réelle». tu parles d’un titre, c’est l’éditeur qui avait insisté. Enfin, celui-ci est pas mal. J’étais plus libre. Je n’avais rien publié, j’étais mon seul maître sur celui-là… ensuite ça s’est gâté.
- Ah bon ?
- Oui, enfin, soyons honnête, c’est moi qui me suis mis la pression tout seul. Ça avait bien marché pour moi au premier… j’ai fait tous les plateaux télé possible et imaginables, j’ai rencontré des gens, que je méprisais d’ailleurs, mais je me suis malgré tout laissé griser. Je n’en ai pas vendu beaucoup, mais je n’avais pas besoin d’argent. Je donnais mes cours, et mon père venait de mourir, j’avais hérité… enfin,…
Il se tait et lui sourit.
Cet homme n’est pas là par hasard, elle le sent, ou veut s’en convaincre, mais non… non, il y a une chose, comme s’il avait été placé là pour quelque raison. Elle répond timidement à ce sourire, pense soudain qu’elle n’a plus l’âge de ce signe qu’elle lui tend, se sent un peu honteuse, comme ces femmes qui refusent de vieillir. Alors, se reprenant peut-être elle ouvre la bouche, pour l’inviter à continuer, sentant qu’il en a besoin. Elle en a besoin.
- quoi ? demande-t-elle tout bas.
- Rien, je crois qu’ensuite j’ai voulu recréer cela. Mon but n’était plus d’écrire mais de publier, de répondre à leurs questions car j’avais des choses à leur dire, ça j’en étais sûr, je le suis encore d’ailleurs… et puis, j’avais toujours détesté les gens, et là, je les fréquentais et les rapports étaient bizarrement plus simples… enfin, je me suis mis à écrire de la philosophie commerciale. J’étais comme mû par le besoin de me mélanger à tous ces autres, cela se produisait en même temps que le pays commençait à sombrer et que je le savais… mais, tu vois, moi aussi à cette époque, je me sentais vieillir, et je ne voulais pas que les choses m’échappent.
Il ouvre son paquet de cigarettes et lui en tend une qu’elle accepte, légèrement émue, perdue ce soir plus encore, et ensuite, elle attend, tout à fait consciente qu’une chose à laquelle elle ne croit pas, est en train de se nouer entre eux.
M.G
- Non pas du tout, je crois que je comprends… j’en suis un peu là aussi tu sais.
- Non, je suis sûre que non.
- Pourquoi ?
- Je n’ai pas la prétention de te connaître, mais j’ai le sentiment que tu en es encore à ce moment où tu penses avoir du temps. Au fond c’est un peu comme une montagne. On monte, on monte et ensuite on redescend. Moi j’ai commencé à redescendre, alors que toi tu continues de monter… enfin l’image est un peu nulle…
- Non elle n’est pas nulle. Elle a le mérite d’être claire et surtout, enfin, comment dire, elle te ressemble. C’est simple, c’est carré, et en même temps ça peut être plein d’autres choses en même temps… ça peut être bucolique ou romantique…
- Ou alcoolique… l’interrompt Martha.
Il la regarde intrigué.
- je plaisante explique-t-elle. C’est pas drôle, en fait, c’est juste que j’ai envie d’un autre verre.
- Très bien très chère, répond-il en lui lançant un regard qui la transperce au point qu’elle ne peut plus s’en détacher, commençant même sans s’en rendre compte à l’étudier pour voir s’il est vrai, s’il n’est pas au fond destiné à tout le monde et à personne, ce regard qui l’a conduite à penser qu’il la veut sans doute de manière pas très innocente. Yohan appelle un serveur et sort un autre paquet de cigarettes.
- Enfin sincèrement, je me sens aussi un peu sur le retour, pour dire ça élégamment, et encore… sauf que moi je n’ai rien construit.
- Tu as tes livres.
- Mes livres ne sont rien. En plus ils sont nuls. Il tapote avec son briquet sur le nouveau paquet de cigarettes. Tu les as lus ?
- Euh, j’en ai commencé un, mais à vrai dire, j’ai eu un peu de mal, je pense que c’était le plus abrupt.
- Ah ? lequel ?
- Le premier je crois.
Martha ment. Elle connaît presque par cœur la bibliographie de celui qui lui fait face à défaut de sa biographique qui semble assez confidentielle… elle sait quel livre elle a commencé, parce que si elle ne l’a pas lu, elle s’est en revanche longuement renseignée sur l’homme, non par curiosité malsaine, juste par intérêt, pour se rapprocher de lui, dans ces moments où elle pensait à lui et n’avait que ce biais à la prodigalité est malheureusement époustouflante : Internet, pour le rejoindre. Elle s’était donc plongée dans le premier opuscule publié par cet homme incroyablement présent ce soir, alors qu’il lui avait semblé plusieurs fois qu’au fond il n’existait pas, qu’elle l’avait inventé.
Martha n’avait jamais auparavant rencontré de personnage public. Yohan n’était pas très connu, mais il avait un public, et quelques années auparavant, elle se souvient de l’avoir vu à plusieurs reprises dans des émissions dites littéraires ou culturelles à la télévision. Cet homme donc, qu’elle avait vu sur le petit écran, avant de le croiser dans la vie réelle, était là à lui révéler ses failles, cela l’étonnait. Elle était naïve…
- Ah oui. « Vie réelle». tu parles d’un titre, c’est l’éditeur qui avait insisté. Enfin, celui-ci est pas mal. J’étais plus libre. Je n’avais rien publié, j’étais mon seul maître sur celui-là… ensuite ça s’est gâté.
- Ah bon ?
- Oui, enfin, soyons honnête, c’est moi qui me suis mis la pression tout seul. Ça avait bien marché pour moi au premier… j’ai fait tous les plateaux télé possible et imaginables, j’ai rencontré des gens, que je méprisais d’ailleurs, mais je me suis malgré tout laissé griser. Je n’en ai pas vendu beaucoup, mais je n’avais pas besoin d’argent. Je donnais mes cours, et mon père venait de mourir, j’avais hérité… enfin,…
Il se tait et lui sourit.
Cet homme n’est pas là par hasard, elle le sent, ou veut s’en convaincre, mais non… non, il y a une chose, comme s’il avait été placé là pour quelque raison. Elle répond timidement à ce sourire, pense soudain qu’elle n’a plus l’âge de ce signe qu’elle lui tend, se sent un peu honteuse, comme ces femmes qui refusent de vieillir. Alors, se reprenant peut-être elle ouvre la bouche, pour l’inviter à continuer, sentant qu’il en a besoin. Elle en a besoin.
- quoi ? demande-t-elle tout bas.
- Rien, je crois qu’ensuite j’ai voulu recréer cela. Mon but n’était plus d’écrire mais de publier, de répondre à leurs questions car j’avais des choses à leur dire, ça j’en étais sûr, je le suis encore d’ailleurs… et puis, j’avais toujours détesté les gens, et là, je les fréquentais et les rapports étaient bizarrement plus simples… enfin, je me suis mis à écrire de la philosophie commerciale. J’étais comme mû par le besoin de me mélanger à tous ces autres, cela se produisait en même temps que le pays commençait à sombrer et que je le savais… mais, tu vois, moi aussi à cette époque, je me sentais vieillir, et je ne voulais pas que les choses m’échappent.
Il ouvre son paquet de cigarettes et lui en tend une qu’elle accepte, légèrement émue, perdue ce soir plus encore, et ensuite, elle attend, tout à fait consciente qu’une chose à laquelle elle ne croit pas, est en train de se nouer entre eux.
M.G
vendredi, août 03, 2007
Pour un monde meilleur ? (32)
Dans certains romans, et même dans certains films l’arme scintille dans le noir. Ici, elle pèse simplement. Semble n’exister que par ce poids qui n’est pas vraiment un fardeau, plutôt comme un aimant que tout semble destiner à rejoindre. Posséder contre soi un point central vers lequel l’humanité converge. L’arme est Le Trou Noir.
Il avance et sent sa présence de plus en plus incontournable, l’œuvre est dans sa poche, elle se colle à lui, entaille ses cuisses de toute son évidence, de cette lourdeur du moment, du point d’achoppement.
Cela fait plusieurs soirs maintenant qu’il s’amuse ainsi à marcher dans Paris avec le gun dans la poche. Il se fait peur, il se teste et surtout il tente d’exister.
Deux choix pour vivre : aimer ou se préparer à tuer.
Il marche donc dans les quartiers de sa jeunesse avec un objet que rien ne le prédestinait à porter, à sentir contre lui, comme élément de jouissance autant que le fait de sentir cette vieille vigueur l’investir à nouveau…
***
Tout s’emballe dans l’esprit de Martha. Elle cherche, elle cherche une issue. Il lui faut une solution. Soudain cela devient très clair, les choses ont un sens. Les cellules vont servir au combat et non pas à la fuite. Peu importe ce qu’en diront les autres. De toute façon on n’a jamais le droit d’abandonner ainsi. Avec un instrument tel que celui-ci, ils auront leurs chances.
Le métal est de composition tout à fait ordinaire, mais grâce à la courbure très particulière qu’ils ont su lui donner, la cellule peut éviter l’impact de la plupart des balles. Elle peut aussi se fondre dans la nature et passer presque inaperçue.
La cellule est évidemment la solution. Elle va appeler Yohan et lui en parler. Ce sera si simple. Ainsi, ils seront ensemble, ils oeuvreront ensemble à la survie de l’humanité. De leur humanité.
***
Myriam regarde le ciel. De la fenêtre étroite qui éclaire son séjour elle contemple l’infini depuis un long moment.
Oublie de respirer en souhaitant simplement que le ciel l’entraîne à lui, qu’il l’aspire et la dissolve un peu partout, elle pénètrerait la vie des gens sans plus jamais peser, n’être que particule, légère, inodore et indolore…
***
L’heure avance et les minutes ne sont pas douces… chacun de nos protagonistes sent monter en lui l’urgence.
Chacun a sa mesure.
Son étalon de malheur ou d’angoisse.
Yohan s’apprête à ôter la vie, et il craint d’aimer cela.
Myriam s’attend à ne pas avoir ses règles, et elle espère du plus profond de ses entrailles qu’il en sera ainsi.
Martha se prépare à plonger dans la félicité pour quelques heures de jeunesse retrouvée auxquelles succéderont des heures plus longues encore de remords…
Elle n’a jamais cru en dieu mais s’interroge sur la consistance du péché. Il y aurait comme une incidence sur la progéniture, partager le lieu duquel est né la vie, l’offrir à un autre…
M.G
Il avance et sent sa présence de plus en plus incontournable, l’œuvre est dans sa poche, elle se colle à lui, entaille ses cuisses de toute son évidence, de cette lourdeur du moment, du point d’achoppement.
Cela fait plusieurs soirs maintenant qu’il s’amuse ainsi à marcher dans Paris avec le gun dans la poche. Il se fait peur, il se teste et surtout il tente d’exister.
Deux choix pour vivre : aimer ou se préparer à tuer.
Il marche donc dans les quartiers de sa jeunesse avec un objet que rien ne le prédestinait à porter, à sentir contre lui, comme élément de jouissance autant que le fait de sentir cette vieille vigueur l’investir à nouveau…
***
Tout s’emballe dans l’esprit de Martha. Elle cherche, elle cherche une issue. Il lui faut une solution. Soudain cela devient très clair, les choses ont un sens. Les cellules vont servir au combat et non pas à la fuite. Peu importe ce qu’en diront les autres. De toute façon on n’a jamais le droit d’abandonner ainsi. Avec un instrument tel que celui-ci, ils auront leurs chances.
Le métal est de composition tout à fait ordinaire, mais grâce à la courbure très particulière qu’ils ont su lui donner, la cellule peut éviter l’impact de la plupart des balles. Elle peut aussi se fondre dans la nature et passer presque inaperçue.
La cellule est évidemment la solution. Elle va appeler Yohan et lui en parler. Ce sera si simple. Ainsi, ils seront ensemble, ils oeuvreront ensemble à la survie de l’humanité. De leur humanité.
***
Myriam regarde le ciel. De la fenêtre étroite qui éclaire son séjour elle contemple l’infini depuis un long moment.
Oublie de respirer en souhaitant simplement que le ciel l’entraîne à lui, qu’il l’aspire et la dissolve un peu partout, elle pénètrerait la vie des gens sans plus jamais peser, n’être que particule, légère, inodore et indolore…
***
L’heure avance et les minutes ne sont pas douces… chacun de nos protagonistes sent monter en lui l’urgence.
Chacun a sa mesure.
Son étalon de malheur ou d’angoisse.
Yohan s’apprête à ôter la vie, et il craint d’aimer cela.
Myriam s’attend à ne pas avoir ses règles, et elle espère du plus profond de ses entrailles qu’il en sera ainsi.
Martha se prépare à plonger dans la félicité pour quelques heures de jeunesse retrouvée auxquelles succéderont des heures plus longues encore de remords…
Elle n’a jamais cru en dieu mais s’interroge sur la consistance du péché. Il y aurait comme une incidence sur la progéniture, partager le lieu duquel est né la vie, l’offrir à un autre…
M.G
jeudi, juillet 05, 2007
Pour un monde meilleur (31)
Martha s’apprête elle aussi à commettre un acte significatif et irrémédiable. Les jours passent et elle est à la torture. Doit-elle ou non gâcher toutes ces années pour quelques simples moments de bonheur…, non pas de bonheur de flamboyance.
Et si elle les méritait à présent ces quelques moments de jeunesse retrouvée. Elle ne serait pas la première bien sûr. D’autres avant elle, nombreuses, ont commis cet acte de trahison. Penser à lui n’est-ce pas déjà trahir ?
Trahir…
Mais au fond n’appelle-t-on pas cela trahison lorsque l’on bafoue ce qui reste un idéal, or cela fait bien longtemps que cet idéal là est défroqué. Qu’elle a compris que ce dans quoi elle avait depuis l’enfance mis tant d’espoir n’était qu’un leurre, une approche de perfection illusoire, bien qu'éminemment indispensable par ailleurs.
Si l’Homme est une merde comme l’a toujours dit avec beaucoup de clairvoyance son père, pourquoi ne le serait-il pas aussi dans l’amour ? Alors il faut se contenter de cet équilibre précaire mais rassurant, souvent éponge contre le malheur. Un des malheurs.
L’esseulement…
Il ne mérite pas cela. Malgré tout non.
Mais Martha sait qu’elle va mourir. Peut-être pas tout de suite, mais de toute façon la fin est proche, peut-être mourra-t-elle seulement de lassitude d’ailleurs. Et elle aimerait avant ce dénouement qui au fond ne l’inquiète même pas se sentir exister encore un peu. Quelques gouttes de sueur sur sa peau, un œil humide et rieur qui lui parle et l’appelle à lui. Elle le voit, le devine, celui qui ne l’a pas appelée depuis un mois maintenant, il lui fait signe de s’approcher en lui offrant un sourire rare… Il flotte dans l’air comme une odeur de débauche naïve, délicate, et aigre bien sûr, de ces plaisirs que l’on désire parce qu’un sentiment, comme une attache nous les réclame.
Ce jeune homme a pris place en elle. Il s’y tient au chaud et attend son heure.
Elle seule peut décider d’aboutir ou non à cet instant fatidique…
Tic toc, tic toc…
M.G
Et si elle les méritait à présent ces quelques moments de jeunesse retrouvée. Elle ne serait pas la première bien sûr. D’autres avant elle, nombreuses, ont commis cet acte de trahison. Penser à lui n’est-ce pas déjà trahir ?
Trahir…
Mais au fond n’appelle-t-on pas cela trahison lorsque l’on bafoue ce qui reste un idéal, or cela fait bien longtemps que cet idéal là est défroqué. Qu’elle a compris que ce dans quoi elle avait depuis l’enfance mis tant d’espoir n’était qu’un leurre, une approche de perfection illusoire, bien qu'éminemment indispensable par ailleurs.
Si l’Homme est une merde comme l’a toujours dit avec beaucoup de clairvoyance son père, pourquoi ne le serait-il pas aussi dans l’amour ? Alors il faut se contenter de cet équilibre précaire mais rassurant, souvent éponge contre le malheur. Un des malheurs.
L’esseulement…
Il ne mérite pas cela. Malgré tout non.
Mais Martha sait qu’elle va mourir. Peut-être pas tout de suite, mais de toute façon la fin est proche, peut-être mourra-t-elle seulement de lassitude d’ailleurs. Et elle aimerait avant ce dénouement qui au fond ne l’inquiète même pas se sentir exister encore un peu. Quelques gouttes de sueur sur sa peau, un œil humide et rieur qui lui parle et l’appelle à lui. Elle le voit, le devine, celui qui ne l’a pas appelée depuis un mois maintenant, il lui fait signe de s’approcher en lui offrant un sourire rare… Il flotte dans l’air comme une odeur de débauche naïve, délicate, et aigre bien sûr, de ces plaisirs que l’on désire parce qu’un sentiment, comme une attache nous les réclame.
Ce jeune homme a pris place en elle. Il s’y tient au chaud et attend son heure.
Elle seule peut décider d’aboutir ou non à cet instant fatidique…
Tic toc, tic toc…
M.G
mardi, juillet 03, 2007
Pour un monde meilleur ? (30)
Chaque matin c’est à présent le même rituel. Elle reste au lit et se contient en elle-même le plus longtemps possible. Patiente inlassablement en tentant de savoir si aujourd’hui encore ce sera bon…cherche à sentir, à percevoir entre le visible et l’invisible, le sensible et le désiré…
L’aube est terne, comme elle l’est toujours enfin depuis quelques temps maintenant. Une faible lueur de peu d’espoir pénètre par le store.
Hier au café à côté de la boutique ils ont annoncé aux clients médusés qu’ils ne serviraient désormais plus d’alcool.
Les voisins de palier sont partis depuis une semaine sans laisser d’adresse, sans laisser de trace.
Les derniers magazines non « officiels » arrêtent les uns après les autres d’imprimer…
Un été sombre et gris semble vouloir s’imposer comme ultime et perpétuel destin.
Pourtant Myriam espère.
L’odeur du café commence à se répandre comme chaque jour, grâce à la minuterie qui se révèle être une belle invention. Elle s’en emplit d’illusions. Imagine des couleurs douces et joyeuses, tout en nuances de ce à quoi elle n’avait plus osé espérer depuis au moins dix ans… bientôt elle entendra crier dans cet appartement. Bientôt elle aura peut-être une raison de se lever le matin… bientôt…
Le réveille bip.
Bip bip bip bip bip bip bip bipbipbipbipbipbipbipbiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip.
Sans réfléchir elle se lève, ouvre le store et aperçoit un rayon au loin puis se dirige vers les toilettes, d’où elle revient avec un sourire béat accroché à son visage.
Elle se sert ensuite une énorme tasse de café dans laquelle elle jette deux gros sucres. Puis sort la confiture du frigo et en tartine généreusement deux grandes tranches de pain.
Elle sera grosse, et alors ?
Ils la vireront ?
Et alors.
Elle les emmerde.
Bientôt elle ira vivre à la campagne avec sa tante. Rien de précis encore, mais elle le sent, elle le sait. Bientôt ce seront les plus beaux moments de son existence.
M.G
L’aube est terne, comme elle l’est toujours enfin depuis quelques temps maintenant. Une faible lueur de peu d’espoir pénètre par le store.
Hier au café à côté de la boutique ils ont annoncé aux clients médusés qu’ils ne serviraient désormais plus d’alcool.
Les voisins de palier sont partis depuis une semaine sans laisser d’adresse, sans laisser de trace.
Les derniers magazines non « officiels » arrêtent les uns après les autres d’imprimer…
Un été sombre et gris semble vouloir s’imposer comme ultime et perpétuel destin.
Pourtant Myriam espère.
L’odeur du café commence à se répandre comme chaque jour, grâce à la minuterie qui se révèle être une belle invention. Elle s’en emplit d’illusions. Imagine des couleurs douces et joyeuses, tout en nuances de ce à quoi elle n’avait plus osé espérer depuis au moins dix ans… bientôt elle entendra crier dans cet appartement. Bientôt elle aura peut-être une raison de se lever le matin… bientôt…
Le réveille bip.
Bip bip bip bip bip bip bip bipbipbipbipbipbipbipbiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip.
Sans réfléchir elle se lève, ouvre le store et aperçoit un rayon au loin puis se dirige vers les toilettes, d’où elle revient avec un sourire béat accroché à son visage.
Elle se sert ensuite une énorme tasse de café dans laquelle elle jette deux gros sucres. Puis sort la confiture du frigo et en tartine généreusement deux grandes tranches de pain.
Elle sera grosse, et alors ?
Ils la vireront ?
Et alors.
Elle les emmerde.
Bientôt elle ira vivre à la campagne avec sa tante. Rien de précis encore, mais elle le sent, elle le sait. Bientôt ce seront les plus beaux moments de son existence.
M.G
mercredi, juin 20, 2007
lundi, juin 18, 2007
Pour un monde meilleur ? (28)

Yohan était malheureusement pour elle dévoué à des tâches autrement plus pragmatiques et précises. Sans doute une des raisons pour lesquelles il ne l’avait pas recontactée était qu’en plus de son emploi du temps très serré et de la nécessité de discrétion entourant l’acte qu’il préparait, il ne voulait pas l’impliquer malgré elle à ce qui représentait quoiqu’on en dise, il en avait plus que conscience un meurtre.
Il pense à sa mère.
Chaque jour, chaque instant il pense à elle. C’est interdit pourtant. Mais s’il ne pense pas à elle, il sait que l’autre femme viendra le distraire, et cela est impossible. Alors il pense à sa mère et tente de se convaincre qu’elle approuverait d’une certaine manière.
Cela fait des années maintenant qu’il a compris qu’ôter la vie était malheureusement parfois une nécessité, une obligation même. Mais au moment de le faire, il semble qu’une choses épouvantable fasse son apparition.
Soudain, cette chose qui grossit dans son ventre, ce malaise chaque jour plus important, envie de gerber continuellement, à n’en plus pouvoir boire et fumer, cette chose qui semble vouloir se nommer conscience tente de le détourner de ce qui pourtant s’impose de plus en plus à lui comme un impératif incontournable.
Il faut détruire le mal à sa source sans plus jamais chercher à l’expliquer, à lui trouver des raisons, il faut l’éliminer. L’éliminer cela signifie faire des dommages collatéraux, cela signifie ôter la vie à ceux qui veulent vous détruire, même si parfois on perd pied, on ne sait plus vraiment si on a raison ou tort, si un relativisme absolument rongeur s’empare de vous…
Je vais avoir trente cinq ans.
Je n’ai presque rien construit. Publié trois livres, donné des cours de ci de là… rencontré une femme, il y a dix ans…
Tous mes amis sont partis, enfin ceux à qui il restait un peu d’intelligence. Moi je suis resté, par une lâcheté imbécile déguisée en bravoure, en combat. J’ai décidé de croire en mon pays ou au moins de l’aimer. J’ai décidé de me donner une chance sans doute. Ou peut-être ne voulais-je simplement pas m’éloigner d’Elodie…
Sa mère lui a toujours raconté que son grand-père disait qu’Hiroshima avait permis d’éviter la mort de millions de personnes. Comment choisit-on ceux que l’on va éliminer afin de sauver les autres, ceux qui suivent… ?
Là n’est vraisemblablement pas la question. Quelque part ceux qu’il s’apprête à détruire méritent de mourir. Mais, enfin, n’a-t-il pas toujours été contre la peine de mort ?
Comment est-il possible qu’à présent il se prépare à tuer.
Pourquoi se sent-il soudain si seul ? Lui qui n’a jamais pensé à ce genre de choses auparavant… soudain la vie semble achopper…
Tuer et puis ensuite plus rien…
Il pense à sa mère.
Chaque jour, chaque instant il pense à elle. C’est interdit pourtant. Mais s’il ne pense pas à elle, il sait que l’autre femme viendra le distraire, et cela est impossible. Alors il pense à sa mère et tente de se convaincre qu’elle approuverait d’une certaine manière.
Cela fait des années maintenant qu’il a compris qu’ôter la vie était malheureusement parfois une nécessité, une obligation même. Mais au moment de le faire, il semble qu’une choses épouvantable fasse son apparition.
Soudain, cette chose qui grossit dans son ventre, ce malaise chaque jour plus important, envie de gerber continuellement, à n’en plus pouvoir boire et fumer, cette chose qui semble vouloir se nommer conscience tente de le détourner de ce qui pourtant s’impose de plus en plus à lui comme un impératif incontournable.
Il faut détruire le mal à sa source sans plus jamais chercher à l’expliquer, à lui trouver des raisons, il faut l’éliminer. L’éliminer cela signifie faire des dommages collatéraux, cela signifie ôter la vie à ceux qui veulent vous détruire, même si parfois on perd pied, on ne sait plus vraiment si on a raison ou tort, si un relativisme absolument rongeur s’empare de vous…
Je vais avoir trente cinq ans.
Je n’ai presque rien construit. Publié trois livres, donné des cours de ci de là… rencontré une femme, il y a dix ans…
Tous mes amis sont partis, enfin ceux à qui il restait un peu d’intelligence. Moi je suis resté, par une lâcheté imbécile déguisée en bravoure, en combat. J’ai décidé de croire en mon pays ou au moins de l’aimer. J’ai décidé de me donner une chance sans doute. Ou peut-être ne voulais-je simplement pas m’éloigner d’Elodie…
Sa mère lui a toujours raconté que son grand-père disait qu’Hiroshima avait permis d’éviter la mort de millions de personnes. Comment choisit-on ceux que l’on va éliminer afin de sauver les autres, ceux qui suivent… ?
Là n’est vraisemblablement pas la question. Quelque part ceux qu’il s’apprête à détruire méritent de mourir. Mais, enfin, n’a-t-il pas toujours été contre la peine de mort ?
Comment est-il possible qu’à présent il se prépare à tuer.
Pourquoi se sent-il soudain si seul ? Lui qui n’a jamais pensé à ce genre de choses auparavant… soudain la vie semble achopper…
Tuer et puis ensuite plus rien…
M.G
jeudi, juin 14, 2007
Pour un monde meilleur ? (27)

La Cellule signait la fin des illusions et de la mauvaise foi. Dans cet espace réduit à sa plus stricte nécessité résidait au fond toute la trivialité parfois magnifique de l’homme. La boite de conserve qui s’échappe pour dire merde à tous ceux qui vous ont pourri la vie, et ont ôté à l’art toute possibilité d’existence, puisqu’il ne peut plus avoir aucune utilité… Qui vous propose de partir, de regarder l’extérieur depuis un lieu nouveau, en profitant d’un temps incertain mais infini, tout en pensant à une consommation finalement tellement humaine…
Le moment où toute communauté de destin devient impossible, où tout groupement sédentaire semble voué à l’explosion car il n’y a plus de valeur digne d’être partagée… est le moment où il faut tirer sa révérence.
Plusieurs renoncements ou retraites sont évidemment possibles, plus ou moins mystiques ou spirituels… partir en restant connecté semblait être une bonne solution, la technologie n’avait pas tout gâché… enfin pas tout à fait.
La cellule devenait l’avenir de l’Homme, puisque seuls les derniers hommes avaient décidé de l’emprunter… il fallait s’échapper, échapper à toutes les hypocrisies et aux missions impossibles et enfin se résoudre à ne pas sauver une humanité indigne : sauver sa peau.
Elle avait soudain envie de dire tout cela à Yohan. Soudain, une transparente sérénité l’envahit, soudain les choses vont prendre place. Elle va partir, mais un autre avenir la concerne, c’est indéniable, soudain… Yohan est là, pas loin. Il la regarde, il lui sourit, comme il a su le faire auparavant. Elle marche dans les rues de la vieille capitale pourrie, et son ombre avance vers elle, pénètre en elle et la nourrit jusqu’à l’asphyxier. Peu importe le nom que l’on donnera à ces sentiments, peu importe si tout cela est vrai ou non. Il semble qu’elle y ait droit. Comme une sorte de récompense à la possibilité qu’elle donnera à certains, et qu’ils lui rendront en retour certes, de rêver encore, de rêver à autre chose qu’à l’évidence qu’aucune philosophie, qu’aucune intelligence plus jamais ne viendra contredire.
M.G
Le moment où toute communauté de destin devient impossible, où tout groupement sédentaire semble voué à l’explosion car il n’y a plus de valeur digne d’être partagée… est le moment où il faut tirer sa révérence.
Plusieurs renoncements ou retraites sont évidemment possibles, plus ou moins mystiques ou spirituels… partir en restant connecté semblait être une bonne solution, la technologie n’avait pas tout gâché… enfin pas tout à fait.
La cellule devenait l’avenir de l’Homme, puisque seuls les derniers hommes avaient décidé de l’emprunter… il fallait s’échapper, échapper à toutes les hypocrisies et aux missions impossibles et enfin se résoudre à ne pas sauver une humanité indigne : sauver sa peau.
Elle avait soudain envie de dire tout cela à Yohan. Soudain, une transparente sérénité l’envahit, soudain les choses vont prendre place. Elle va partir, mais un autre avenir la concerne, c’est indéniable, soudain… Yohan est là, pas loin. Il la regarde, il lui sourit, comme il a su le faire auparavant. Elle marche dans les rues de la vieille capitale pourrie, et son ombre avance vers elle, pénètre en elle et la nourrit jusqu’à l’asphyxier. Peu importe le nom que l’on donnera à ces sentiments, peu importe si tout cela est vrai ou non. Il semble qu’elle y ait droit. Comme une sorte de récompense à la possibilité qu’elle donnera à certains, et qu’ils lui rendront en retour certes, de rêver encore, de rêver à autre chose qu’à l’évidence qu’aucune philosophie, qu’aucune intelligence plus jamais ne viendra contredire.
M.G
lundi, juin 04, 2007
Pour un monde meilleur ? (26)
La volonté de produire des choses en vue d’un but bien précis relevait sans doute de la même vanité que celle qui consiste à se chercher un charme dans un miroir jour après jour, et de constater que ce charme disparaît, ou est remplacé par autre chose, jusqu’à ce qu’il n’en reste rien bien sûr. Rien que de quoi susciter de la pitié ou de l’agacement ou les deux, ce qui nous pousse parfois à penser que les vieux seraient mieux sous terre qu’à nous faire chier ici avec leurs problèmes alors que nous en avons tant nous-mêmes.
Pourquoi sommes-nous dévorés par notre ego, alors même que nous croyons en avoir si peu…Quelle est cette recherche de reconnaissance partout où l’on peut la dénicher, qui se fait de plus en plus tenace, de plus en plus envahissante ? bien sûr…
Nous ne voulons pas mourir, tout simplement, ou en tout cas pas trop vite, pas avant d’avoir « accompli » certaines choses, ce qui revient à dire que plus on avance en âge, plus on ressent le besoin d’exister, suivant des formes différentes.
Bien sûr qu’elle était fière de ce projet, et qu’elle aurait aimé le voir s’étaler sur des doubles pages de revues plus ou moins confidentielles, plus ou moins prétentieuse, assez en tout cas pour conférer à ce qui y est montré un caractère d’honorabilité non discutable. Elle qui n’avait jamais eu goût ni pour la compétition, ni pour la publicité réalisait finalement qu’un tourbillon parfaitement humain, et sans doute pour cela dégradant l’y avait conduite avec une facilité désolante. Plus elle était avancée dans les années, plus elle avait voulu tout cela, à défaut d’autre chose peut-être, mais il lui fallait avoir la satisfaction de montrer, d’exposer son travail, comme si ainsi réellement il prenait vie. Ce n’était pas à l’usage qu’il acquérrait son permis d’être, non c’était à l’image. Cet espère d’ombre inutile qu’il projetait sur le monde. Au moins l’impact en était-il parfaitement anodin, enfin sur le paysage, et sur les esprits aussi sans doute, soyons raisonnables. Le métier était devenu tellement stupide, tellement impraticable au pays de l’ « exception culturelle » qu’il fallait trouver une maigre compensation à ces heures perdues à se battre contre le rien de moulins à vents qui n’existaient que par leur pouvoir de nuisance.
Elle avait produit une chose remarquable cette fois. Elle en avait la certitude profonde. Ce petit objet. Ce petit véhicule roulant ou mouvant qui se fondrait bien vite dans un paysage en décomposition tandis que ses habitants se laisseraient aller à une vie nouvelle possédait une beauté quasi-indéfinissable.
Il consacrait la fin du monde.
M.G
Pourquoi sommes-nous dévorés par notre ego, alors même que nous croyons en avoir si peu…Quelle est cette recherche de reconnaissance partout où l’on peut la dénicher, qui se fait de plus en plus tenace, de plus en plus envahissante ? bien sûr…
Nous ne voulons pas mourir, tout simplement, ou en tout cas pas trop vite, pas avant d’avoir « accompli » certaines choses, ce qui revient à dire que plus on avance en âge, plus on ressent le besoin d’exister, suivant des formes différentes.
Bien sûr qu’elle était fière de ce projet, et qu’elle aurait aimé le voir s’étaler sur des doubles pages de revues plus ou moins confidentielles, plus ou moins prétentieuse, assez en tout cas pour conférer à ce qui y est montré un caractère d’honorabilité non discutable. Elle qui n’avait jamais eu goût ni pour la compétition, ni pour la publicité réalisait finalement qu’un tourbillon parfaitement humain, et sans doute pour cela dégradant l’y avait conduite avec une facilité désolante. Plus elle était avancée dans les années, plus elle avait voulu tout cela, à défaut d’autre chose peut-être, mais il lui fallait avoir la satisfaction de montrer, d’exposer son travail, comme si ainsi réellement il prenait vie. Ce n’était pas à l’usage qu’il acquérrait son permis d’être, non c’était à l’image. Cet espère d’ombre inutile qu’il projetait sur le monde. Au moins l’impact en était-il parfaitement anodin, enfin sur le paysage, et sur les esprits aussi sans doute, soyons raisonnables. Le métier était devenu tellement stupide, tellement impraticable au pays de l’ « exception culturelle » qu’il fallait trouver une maigre compensation à ces heures perdues à se battre contre le rien de moulins à vents qui n’existaient que par leur pouvoir de nuisance.
Elle avait produit une chose remarquable cette fois. Elle en avait la certitude profonde. Ce petit objet. Ce petit véhicule roulant ou mouvant qui se fondrait bien vite dans un paysage en décomposition tandis que ses habitants se laisseraient aller à une vie nouvelle possédait une beauté quasi-indéfinissable.
Il consacrait la fin du monde.
M.G
jeudi, mai 31, 2007
Pour un monde meilleur ? (25)
Nouvelle réunion où l’on voit réapparaître la jeune femme blonde. Martha n’est de toute façon pas concentrée. Sans qu’elle ne sache s’il s’agit d’une obsession réelle ou d’un sentiment qu’elle aime à entretenir, alors qu’elle n’a plus aucune nouvelle de lui depuis une dizaine de jours le jeune ange brun ne la quitte plus. Bien qu’il semblait vouloir l’intégrer à ses projets et qu’il aurait dû, qu’il aurait pu en tout cas la contacter au moins pour cela, c’est silence radio et silence écran. Pourtant patiemment, douloureusement elle le garde en elle, elle le sent. Il devient comme un enfant que l’on porte, quelque part en soi, envers lequel, parce que l’on ressent quelques douceurs pour lui, on s’invente des obligations, des devoirs de protection. Des inquiétudes.
Voir cette jeune fille trop belle et fade pour être vraie ne la secoue pas vraiment au premier abord. Peut-être devrait-elle… Mais non, elle se sentirait presque au contraire disposée à la laisser parler pendant des heures. D’ailleurs comme toujours il semble que la plupart des rares participants qui ont persévéré sont dans le même état, l’atmosphère est calme et détendue. Comme si tous n’attendaient que de l’entendre.
« Eva ? tu es donc revenue.
Heureusement que sa mémoire ne lui fait pas toujours défaut et que le prénom est réapparu, s'imprimant comme par magie sur ses lèvres.
L’autre sourit.
De toute évidence, elle est bien plus forte qu’elle. Bien plus forte qu’eux tous réunis.
- oui, je suis revenue. Enfin si on peut dire. je n’ai manqué que deux séances.
- Ah ? seulement. J’aurais dit plus. Et donc, tu es venue parce que tu as pris la décision de partir avec nous ?
Soudain elle imagine l’enfer que peut représenter une telle présence dans un périple sans fin comme celui qu’ils s’apprêtent à faire. Une multitude de déchaînements lubriques donnant raison à tous ceux qui voulaient nous faire rentrer dans le droit chemin ne serait que juste châtiment. Ils nous auraient fait fuir, partir sans autre but que de ne pas leur céder, alors forcément, les cadres évaporés, les obligations quotidiennes envolées pourraient laisser la place à un déferlement immaîtrisable de pulsions. Celles-ci et d’autres… qui sait ? Pire encore…
Dieu comme l’entreprise lui semble de plus en plus hasardeuse, de plus en plus insensée. Si les enfants sont sauvés, que ne devrait-elle pas se laisser aller à mourir pour une cause, s’offrir ainsi une fin digne.
Périr parce qu’on ne saura plus vivre…
Mais ses oreilles bourdonnent encore. Elle pense à son homme aussi… il n’aura plus qu’elle ensuite.
- je pense peut-être partir avec vous. Mais j’aimerais préciser certaines choses d’abord…
- je suis à toi ma chère.
Le ton de la jeune femme lui rappelle étrangement celui qu’avaient certains clients à l’époque où elle les côtoyait de près, cet espèce de certitude d’avoir des droits sur les autres, de les dominer parce qu’on les paie. Ce qui quoiqu’on en dise ou pense ramenait toujours l’argent à sa juste valeur, à sa place centrale, qui dépassait tous les talents ou toutes les aspirations. Le plus célèbre des architectes devenait soudain une sombre merde face à un client puissant et riche.
Ici c’était un peu pareil. Depuis le début la gênait l’idée de profiter aussi de ce projet qu’elle vendait aux gens comme une issue de secours, un espoir de survie, ou surtout d’une autre vie, mais qui était aussi pour elle un moyen de gagner de l’argent, en plus de s’assurer un départ avec quelques personnes non pas amies, mais au moins du même côté du monde à présent. Un côté que l’on choisit par défaut, après que l’autre nous a définitivement montré son vrai visage. Un côté qui ne ressemble pas vraiment à ce dont on a rêvé lorsque l’on croyait vivre sur la terre, et non pas dans l’enfer d’un autre monde dont les portes nous seraient évidemment interdites…
Elle n’a d’autre choix que d’écouter puis d’expliquer, laisser parler la trop belle jeune femme dont elle aimerait posséder encore un peu de la fraîcheur.
La blonde sourit, semble un peu gênée.
- en fait, je voudrais savoir… elle tortille ses lèvres… enfin j’aimerais, je, … vous pensez revenir ?
La stupeur combat l’énervement. Mais M. décide de rester calme, de reprendre le dessus, l’ascendant sur tous les médiocres qu’elle est obligée de côtoyer depuis toutes ses années. Cela fait un moment maintenant qu’elle a compris qu’elle n’avait pas le choix, un peu d’alcool, d’espièglerie, c’est la vie qu’elle a choisie. Les images se mélangent…
- euh, écoute, franchement, si on part ce n’est à priori pas pour revenir… on voudrait sans doute quitter les terres françaises ou simplement se cacher, le temps qu’il faudra. Si un jour les choses s’arrangent alors oui, certaines personnes reviendront sans doute. Je n’en sais rien… de toute façon, nous espérons rejoindre d’autres groupes, et ensemble, nous verrons vers quel destin ou quelle destination nous irons.
- Non, mais enfin, ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi nous n’agissons pas… moi je veux bien partir, mais je pense que si l’on part c’est pour agir d’ailleurs, en prenant moins de risques mais avec plus d’espoirs de réussite. Tu me suis ?
Elle me tutoie maintenant ? Décidément…
M. est soudain vraiment embarrassée, une seule idée, un seul nom lui vient à l’esprit Yohan. C’est décidé après la réunion elle l’appelle, et elle lui demandera. Il l’aidera lui c’est sûr. Elle repense soudain à un lieu où elle, où ils allaient lorsqu’ils étaient étudiants. Une pizzeria pas très loin des Beaux-Arts, à Mabillon. Plusieurs fois, ils y ont dîné dans la salle normale, mais un jours, grâce à d’autres étudiants ils ont découvert qu’une autre salle en sous sol permettait aux jeunes désargentés de manger la même nourriture à moindre prix, à condition d’être étudiant bien sûr…
Curieusement, elle s’imagine donner rendez-vous au jeune homme dans cette cave étrange, sans un instant penser qu’on ne voudra plus d’elle, qu’elle n’a plus vingt ans. Ni lui non plus d’ailleurs…
M.G
Voir cette jeune fille trop belle et fade pour être vraie ne la secoue pas vraiment au premier abord. Peut-être devrait-elle… Mais non, elle se sentirait presque au contraire disposée à la laisser parler pendant des heures. D’ailleurs comme toujours il semble que la plupart des rares participants qui ont persévéré sont dans le même état, l’atmosphère est calme et détendue. Comme si tous n’attendaient que de l’entendre.
« Eva ? tu es donc revenue.
Heureusement que sa mémoire ne lui fait pas toujours défaut et que le prénom est réapparu, s'imprimant comme par magie sur ses lèvres.
L’autre sourit.
De toute évidence, elle est bien plus forte qu’elle. Bien plus forte qu’eux tous réunis.
- oui, je suis revenue. Enfin si on peut dire. je n’ai manqué que deux séances.
- Ah ? seulement. J’aurais dit plus. Et donc, tu es venue parce que tu as pris la décision de partir avec nous ?
Soudain elle imagine l’enfer que peut représenter une telle présence dans un périple sans fin comme celui qu’ils s’apprêtent à faire. Une multitude de déchaînements lubriques donnant raison à tous ceux qui voulaient nous faire rentrer dans le droit chemin ne serait que juste châtiment. Ils nous auraient fait fuir, partir sans autre but que de ne pas leur céder, alors forcément, les cadres évaporés, les obligations quotidiennes envolées pourraient laisser la place à un déferlement immaîtrisable de pulsions. Celles-ci et d’autres… qui sait ? Pire encore…
Dieu comme l’entreprise lui semble de plus en plus hasardeuse, de plus en plus insensée. Si les enfants sont sauvés, que ne devrait-elle pas se laisser aller à mourir pour une cause, s’offrir ainsi une fin digne.
Périr parce qu’on ne saura plus vivre…
Mais ses oreilles bourdonnent encore. Elle pense à son homme aussi… il n’aura plus qu’elle ensuite.
- je pense peut-être partir avec vous. Mais j’aimerais préciser certaines choses d’abord…
- je suis à toi ma chère.
Le ton de la jeune femme lui rappelle étrangement celui qu’avaient certains clients à l’époque où elle les côtoyait de près, cet espèce de certitude d’avoir des droits sur les autres, de les dominer parce qu’on les paie. Ce qui quoiqu’on en dise ou pense ramenait toujours l’argent à sa juste valeur, à sa place centrale, qui dépassait tous les talents ou toutes les aspirations. Le plus célèbre des architectes devenait soudain une sombre merde face à un client puissant et riche.
Ici c’était un peu pareil. Depuis le début la gênait l’idée de profiter aussi de ce projet qu’elle vendait aux gens comme une issue de secours, un espoir de survie, ou surtout d’une autre vie, mais qui était aussi pour elle un moyen de gagner de l’argent, en plus de s’assurer un départ avec quelques personnes non pas amies, mais au moins du même côté du monde à présent. Un côté que l’on choisit par défaut, après que l’autre nous a définitivement montré son vrai visage. Un côté qui ne ressemble pas vraiment à ce dont on a rêvé lorsque l’on croyait vivre sur la terre, et non pas dans l’enfer d’un autre monde dont les portes nous seraient évidemment interdites…
Elle n’a d’autre choix que d’écouter puis d’expliquer, laisser parler la trop belle jeune femme dont elle aimerait posséder encore un peu de la fraîcheur.
La blonde sourit, semble un peu gênée.
- en fait, je voudrais savoir… elle tortille ses lèvres… enfin j’aimerais, je, … vous pensez revenir ?
La stupeur combat l’énervement. Mais M. décide de rester calme, de reprendre le dessus, l’ascendant sur tous les médiocres qu’elle est obligée de côtoyer depuis toutes ses années. Cela fait un moment maintenant qu’elle a compris qu’elle n’avait pas le choix, un peu d’alcool, d’espièglerie, c’est la vie qu’elle a choisie. Les images se mélangent…
- euh, écoute, franchement, si on part ce n’est à priori pas pour revenir… on voudrait sans doute quitter les terres françaises ou simplement se cacher, le temps qu’il faudra. Si un jour les choses s’arrangent alors oui, certaines personnes reviendront sans doute. Je n’en sais rien… de toute façon, nous espérons rejoindre d’autres groupes, et ensemble, nous verrons vers quel destin ou quelle destination nous irons.
- Non, mais enfin, ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi nous n’agissons pas… moi je veux bien partir, mais je pense que si l’on part c’est pour agir d’ailleurs, en prenant moins de risques mais avec plus d’espoirs de réussite. Tu me suis ?
Elle me tutoie maintenant ? Décidément…
M. est soudain vraiment embarrassée, une seule idée, un seul nom lui vient à l’esprit Yohan. C’est décidé après la réunion elle l’appelle, et elle lui demandera. Il l’aidera lui c’est sûr. Elle repense soudain à un lieu où elle, où ils allaient lorsqu’ils étaient étudiants. Une pizzeria pas très loin des Beaux-Arts, à Mabillon. Plusieurs fois, ils y ont dîné dans la salle normale, mais un jours, grâce à d’autres étudiants ils ont découvert qu’une autre salle en sous sol permettait aux jeunes désargentés de manger la même nourriture à moindre prix, à condition d’être étudiant bien sûr…
Curieusement, elle s’imagine donner rendez-vous au jeune homme dans cette cave étrange, sans un instant penser qu’on ne voudra plus d’elle, qu’elle n’a plus vingt ans. Ni lui non plus d’ailleurs…
M.G
lundi, mai 14, 2007
Pour un monde meilleur ? (24)
Tel un œdème qui s’étend dans sa gorge remplaçant le souffle naturel par une abondance d’air inquiète mais délicieuse, l’absence s’empare d’elle.
Présence lointaine, effacée mais efficace.
Qu’aimerait-elle vraiment prendre de cet autre ? Elle n’en a aucune idée.
Se surprend simplement à découvrir qu’une angoisse sourde et douloureuse peut se révéler agréable, parce qu’elle vous emplit jusqu’à vous anesthésier. Parce qu’elle a la certitude qu’où qu’il soit à cet instant précis, il pense à elle.
Comment peut-elle en être sûre ?
Là est l’étrange… après la lucide hypothèse concluant à une erreur d’appréciation, à la pauvre vieille femme qui se croit encore jeune et imagine que des gamins trentenaires peuvent encore la voir (qui sait si elle les désirerait d’ailleurs ?), elle est soudain convaincue d’une ligne de transcendance qui les rejoint, dans plus qu’une attirance, plus qu’une cause, plus qu’il n’est possible de le dire. Ce qu’elle a en elle, cette tâche d’encre sympathique qui l’envahit depuis l’œsophage jusqu’aux poumons n’est sans doute que de petits éclats de cendres qu’il envoie à son intention, qu’il contient longtemps, puis lâche lorsqu’il ne parvient pas à avancer sans lui réserver une petite pensée, qui bloque et inonde sa gorge à lui, avant d’exploser en cette infinitésimale attention qu’il lui porte peut-être.
Qui est-il ?
N’est-il pas simplement le signe que l’existence n’est pas toujours aussi sereine qu’elle en a l’air. Que même lorsque certaines conditions idéales semblent réunies, certaines anicroches peuvent entamer de manière irréversible le long chemin qui nous mène à la déchéance que l’on croit inévitable et donc acceptable…
N’est-il pas pure invention du sort, destinée à la pousser vers un vide qui pourrait en libérer d’autres ?
Non arrête. Tu ne fais que te chercher des excuses. T’as juste envie de te payer quelques dernières heures de plaisir, rattraper ce temps qui n’existe que dans les fictions que l’on invente ou que l’on lit. Cette jeunesse qui n’a de délicieuse que le faible nombre de ses années.
Arrête.
Et puis, s’il pensait vraiment à toi, il serait là ce soir, dans cette usine abandonnée. Il t’aurait appelée. Vous vous seriez donné rendez-vous. Ç’aurait été si simple. Peut-être romantique ou carrément torride. Peu importe. Vous vous seriez croisés ailleurs que dans ces sphères étranges d’un monde sur le point de finir…
M.G
Présence lointaine, effacée mais efficace.
Qu’aimerait-elle vraiment prendre de cet autre ? Elle n’en a aucune idée.
Se surprend simplement à découvrir qu’une angoisse sourde et douloureuse peut se révéler agréable, parce qu’elle vous emplit jusqu’à vous anesthésier. Parce qu’elle a la certitude qu’où qu’il soit à cet instant précis, il pense à elle.
Comment peut-elle en être sûre ?
Là est l’étrange… après la lucide hypothèse concluant à une erreur d’appréciation, à la pauvre vieille femme qui se croit encore jeune et imagine que des gamins trentenaires peuvent encore la voir (qui sait si elle les désirerait d’ailleurs ?), elle est soudain convaincue d’une ligne de transcendance qui les rejoint, dans plus qu’une attirance, plus qu’une cause, plus qu’il n’est possible de le dire. Ce qu’elle a en elle, cette tâche d’encre sympathique qui l’envahit depuis l’œsophage jusqu’aux poumons n’est sans doute que de petits éclats de cendres qu’il envoie à son intention, qu’il contient longtemps, puis lâche lorsqu’il ne parvient pas à avancer sans lui réserver une petite pensée, qui bloque et inonde sa gorge à lui, avant d’exploser en cette infinitésimale attention qu’il lui porte peut-être.
Qui est-il ?
N’est-il pas simplement le signe que l’existence n’est pas toujours aussi sereine qu’elle en a l’air. Que même lorsque certaines conditions idéales semblent réunies, certaines anicroches peuvent entamer de manière irréversible le long chemin qui nous mène à la déchéance que l’on croit inévitable et donc acceptable…
N’est-il pas pure invention du sort, destinée à la pousser vers un vide qui pourrait en libérer d’autres ?
Non arrête. Tu ne fais que te chercher des excuses. T’as juste envie de te payer quelques dernières heures de plaisir, rattraper ce temps qui n’existe que dans les fictions que l’on invente ou que l’on lit. Cette jeunesse qui n’a de délicieuse que le faible nombre de ses années.
Arrête.
Et puis, s’il pensait vraiment à toi, il serait là ce soir, dans cette usine abandonnée. Il t’aurait appelée. Vous vous seriez donné rendez-vous. Ç’aurait été si simple. Peut-être romantique ou carrément torride. Peu importe. Vous vous seriez croisés ailleurs que dans ces sphères étranges d’un monde sur le point de finir…
M.G
vendredi, avril 27, 2007
Pour un monde meilleur ? (23)
Pour la première fois peut-être il ressent un malaise dont il sait qu’il ne durera pas, mais qui malgré tout l’indispose un peu. Cette femme a la chevelure rousse, presque rouge a indéniablement un effet négatif sur lui. Il en a conscience, mais ne parvient pas à imaginer même s'en détacher. Il ne le veut pas sans doute. Il pense à sa mère. Si elle avait su.
Tout a joué dans le bon ordre c’est évident. Il jette son mégot derrière lui tout en avançant et ne peut se détacher de l’image et de l’odeur abstraite qui l’emplit à chaque pas. Non. Il n’a pas le droit, il ne peut surtout pas se permettre la moindre distraction. Seul le sexe sans engagement lui est permis… au moins jusqu’à la première action. Mais au fond n’est-ce pas ce qu’il pourrait avoir avec cette femme, troublante et pourtant beaucoup trop banale, si transparente…
Il ne comprend pas ce qui lui arrive.
Mais putain qu’est-ce qui m’arrive. Martha…
Non c’est impossible bien sûr.
Peut-être devrait-il rentrer chez lui ce soir. Terminer de corriger les épreuves de son prochain opuscule. Ou se déchirer la tronche. Oui enfin quitte à se déchirer la tronche autant se libérer d’un stress en plus. Et j’y suis presque en plus. Ça me fera du bien c’est sûr.
Il sort un cachet de sa poche et l’avale direct, puis frappe très doucement à la porte, c’est sans doute le meilleur moment. Celui de cette pression très mesurée appliquée du poing sur le seuil du lieu où il perd toute dignité pour ne pas perdre ses esprits. C’est ainsi depuis quelques années maintenant. C’est sûr que ce n’est pas ce qu’il avait imaginé enfant, mais bon, et puis n’est-ce pas Michel Houellebecq qui lui avait signalé l’existence de ce genre de clubs. Alors… oui enfin il n’y a peut-être jamais foutu les pieds. Que de la gueule celui là.
Le cacheton commence à faire effet. C’est clair. Une vigueur subtile dont il pourrait presque décrire le chemin s’engage dans ses veines.
Il y a quelques personnes au bar, seules. Un verre ne serait peut-être pas une mauvaise idée. Sauf que, peut-être alors il faudrait parler, initier un contact tout à fait contraire à ce pour quoi on vient ici. D’ailleurs, ils sont vraiment cons d’avoir fait ce bar. Mais l’argent n’a pas d’odeur…
Que faire ?
Il aperçoit soudain une blonde, serait-ce ? oui, c’est cette blonde qu’il s'est déjà pécho une fois. Elle est très jolie mais complètement insignifiante. Elle n’a aucun plaisir à être là, ce qui à la limite se comprend, mais surtout elle ne retire aucun plaisir de tout cela.
Elle est seule pourtant. Ça y est, elle l’a vu et son regard s’éclaire. S’il l’ignore elle en mourra c’est sûr. Enfin who gives a shit… il soupire, elle est vraiment jolie. Une grosse poitrine lui semble-t-il, ah non, c’était une autre blonde, assez laide, mais très chaude. Mon dieu, il faut qu’il se lance, sinon il repartira… et bien sûr, comme un mauvais démon c’est l’autre qui vient se rappeler à sa mémoire. Allez, il inspire et s’approche.
Malgré tous les efforts qu’elle fait pour rester stoïque, il sent qu’elle est peut-être rassurée de cette approche, que ce soit lui en somme. Ce n’est pas le moment le plus évident bien sûr, il faut se mettre en condition, il faut y penser très fort. Il faut penser au sexe, à la jouissance, à la violence aussi, et cela seulement. Il faut se dépêcher sur tout avant que les effets de la drogue se dissipent tout à fait.
Il passe la main sous son tee-shirt.
Elle murmure : je m’appelle Myriam.
M.G
Tout a joué dans le bon ordre c’est évident. Il jette son mégot derrière lui tout en avançant et ne peut se détacher de l’image et de l’odeur abstraite qui l’emplit à chaque pas. Non. Il n’a pas le droit, il ne peut surtout pas se permettre la moindre distraction. Seul le sexe sans engagement lui est permis… au moins jusqu’à la première action. Mais au fond n’est-ce pas ce qu’il pourrait avoir avec cette femme, troublante et pourtant beaucoup trop banale, si transparente…
Il ne comprend pas ce qui lui arrive.
Mais putain qu’est-ce qui m’arrive. Martha…
Non c’est impossible bien sûr.
Peut-être devrait-il rentrer chez lui ce soir. Terminer de corriger les épreuves de son prochain opuscule. Ou se déchirer la tronche. Oui enfin quitte à se déchirer la tronche autant se libérer d’un stress en plus. Et j’y suis presque en plus. Ça me fera du bien c’est sûr.
Il sort un cachet de sa poche et l’avale direct, puis frappe très doucement à la porte, c’est sans doute le meilleur moment. Celui de cette pression très mesurée appliquée du poing sur le seuil du lieu où il perd toute dignité pour ne pas perdre ses esprits. C’est ainsi depuis quelques années maintenant. C’est sûr que ce n’est pas ce qu’il avait imaginé enfant, mais bon, et puis n’est-ce pas Michel Houellebecq qui lui avait signalé l’existence de ce genre de clubs. Alors… oui enfin il n’y a peut-être jamais foutu les pieds. Que de la gueule celui là.
Le cacheton commence à faire effet. C’est clair. Une vigueur subtile dont il pourrait presque décrire le chemin s’engage dans ses veines.
Il y a quelques personnes au bar, seules. Un verre ne serait peut-être pas une mauvaise idée. Sauf que, peut-être alors il faudrait parler, initier un contact tout à fait contraire à ce pour quoi on vient ici. D’ailleurs, ils sont vraiment cons d’avoir fait ce bar. Mais l’argent n’a pas d’odeur…
Que faire ?
Il aperçoit soudain une blonde, serait-ce ? oui, c’est cette blonde qu’il s'est déjà pécho une fois. Elle est très jolie mais complètement insignifiante. Elle n’a aucun plaisir à être là, ce qui à la limite se comprend, mais surtout elle ne retire aucun plaisir de tout cela.
Elle est seule pourtant. Ça y est, elle l’a vu et son regard s’éclaire. S’il l’ignore elle en mourra c’est sûr. Enfin who gives a shit… il soupire, elle est vraiment jolie. Une grosse poitrine lui semble-t-il, ah non, c’était une autre blonde, assez laide, mais très chaude. Mon dieu, il faut qu’il se lance, sinon il repartira… et bien sûr, comme un mauvais démon c’est l’autre qui vient se rappeler à sa mémoire. Allez, il inspire et s’approche.
Malgré tous les efforts qu’elle fait pour rester stoïque, il sent qu’elle est peut-être rassurée de cette approche, que ce soit lui en somme. Ce n’est pas le moment le plus évident bien sûr, il faut se mettre en condition, il faut y penser très fort. Il faut penser au sexe, à la jouissance, à la violence aussi, et cela seulement. Il faut se dépêcher sur tout avant que les effets de la drogue se dissipent tout à fait.
Il passe la main sous son tee-shirt.
Elle murmure : je m’appelle Myriam.
M.G
jeudi, avril 26, 2007
Pour un monde meilleur ? (22)
"finalement, je cède...un peu."
L’homme l’a quittée. Elle reste là. Assise. Désœuvrée et perplexe, elle se demande comment il lui a été possible de pénétrer un anachronisme.
Le jour décline légèrement, et l’objet est là, qui la regarde presque. Sorte de cercueil de luxe pour les hommes qui ne seront toujours que les instruments d’un destin aussi ironique qu’il n’a pas de sens. Il lui reste des choses à prévoir, imaginer, calculer. L’issue approche. Terrible de cette douceur que perçoit celui ou celle qui peut-être s’est trompé, mais n’en saura jamais rien. Elle devine le ciel pâle qui s’assombrit derrière le carreau cassé. Ce ciel sera son compagnon jusqu’à la fin des jours. Alors qu’elle s’était vue bâtisseuse, elle ne pourra qu'assister volontairement impuissante à la fin de ce monde qui se détruit peu à peu, et va disséminer ses restes dans l’univers vide et froid. Perfide existence que celle qui vous plonge dans une activité dont l’évolution des choses vous prouve qu’elle est trompeuse, voire inutile.
Construire des armes, voilà qui aurait été utile. D’ailleurs il était question d’en intégrer à chacune des cellules, mais c’était trop cher, on a trouvé autre chose.
Elle n’a pas osé appeler Yohan. Pensait que peut-être il l’aurait fait. Ne comprend pas, ou comprend trop bien… si au moins elle avait un paquet de cigarettes, elle resterait ainsi assise à fumer, à goûter ce temps de silence et de rien qui lui a tant de fois manqué. Et si elle passait la nuit là, seule, et reprenait le train demain ?
Sans réfléchir, elle se lève et attrape un stylo et le cahier qui sont restés posés dans un coin, sur un vieux plan de travail. Puis elle revient s’asseoir, s’installe lentement, inspire et se met à écrire.
« Si on s’était promis la lune, on comblerait notre défaillance par nos silences, mais nous n’avons rien émis, aucun pacte, aucun mot qui puisse justifier une quelconque déception, si ce n’est celle de n’être que des humains véritables… alors en toute lâcheté, j’aimerais rompre le silence de cette abnégation factice…
Je crois sentir que tu attends mes mots sans savoir les convoquer ou les motiver autrement que par une absence très pleine, très ouatée qui grossit avec les jours, avec les heures, les minutes, les secondes de la journée, turgescence éloignée et qui pourtant projette ses effets dans les esprits d’autres, d’une autre à qui elle s’a-dresse. Alors les mots, sans honte, sans retrait se libèrent et coulent d’une source abstraite vers un espace irréel, inexistant et qui pourtant contient la seule turgescence possible… permise et souhaitable. Lorsque l’on a compris que l’existence ne valait qu’en conjectures et rêveries, alors…. »
Il est tard.
M.G
L’homme l’a quittée. Elle reste là. Assise. Désœuvrée et perplexe, elle se demande comment il lui a été possible de pénétrer un anachronisme.
Le jour décline légèrement, et l’objet est là, qui la regarde presque. Sorte de cercueil de luxe pour les hommes qui ne seront toujours que les instruments d’un destin aussi ironique qu’il n’a pas de sens. Il lui reste des choses à prévoir, imaginer, calculer. L’issue approche. Terrible de cette douceur que perçoit celui ou celle qui peut-être s’est trompé, mais n’en saura jamais rien. Elle devine le ciel pâle qui s’assombrit derrière le carreau cassé. Ce ciel sera son compagnon jusqu’à la fin des jours. Alors qu’elle s’était vue bâtisseuse, elle ne pourra qu'assister volontairement impuissante à la fin de ce monde qui se détruit peu à peu, et va disséminer ses restes dans l’univers vide et froid. Perfide existence que celle qui vous plonge dans une activité dont l’évolution des choses vous prouve qu’elle est trompeuse, voire inutile.
Construire des armes, voilà qui aurait été utile. D’ailleurs il était question d’en intégrer à chacune des cellules, mais c’était trop cher, on a trouvé autre chose.
Elle n’a pas osé appeler Yohan. Pensait que peut-être il l’aurait fait. Ne comprend pas, ou comprend trop bien… si au moins elle avait un paquet de cigarettes, elle resterait ainsi assise à fumer, à goûter ce temps de silence et de rien qui lui a tant de fois manqué. Et si elle passait la nuit là, seule, et reprenait le train demain ?
Sans réfléchir, elle se lève et attrape un stylo et le cahier qui sont restés posés dans un coin, sur un vieux plan de travail. Puis elle revient s’asseoir, s’installe lentement, inspire et se met à écrire.
« Si on s’était promis la lune, on comblerait notre défaillance par nos silences, mais nous n’avons rien émis, aucun pacte, aucun mot qui puisse justifier une quelconque déception, si ce n’est celle de n’être que des humains véritables… alors en toute lâcheté, j’aimerais rompre le silence de cette abnégation factice…
Je crois sentir que tu attends mes mots sans savoir les convoquer ou les motiver autrement que par une absence très pleine, très ouatée qui grossit avec les jours, avec les heures, les minutes, les secondes de la journée, turgescence éloignée et qui pourtant projette ses effets dans les esprits d’autres, d’une autre à qui elle s’a-dresse. Alors les mots, sans honte, sans retrait se libèrent et coulent d’une source abstraite vers un espace irréel, inexistant et qui pourtant contient la seule turgescence possible… permise et souhaitable. Lorsque l’on a compris que l’existence ne valait qu’en conjectures et rêveries, alors…. »
Il est tard.
M.G
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