jeudi, mai 31, 2007

Pour un monde meilleur ? (25)

Nouvelle réunion où l’on voit réapparaître la jeune femme blonde. Martha n’est de toute façon pas concentrée. Sans qu’elle ne sache s’il s’agit d’une obsession réelle ou d’un sentiment qu’elle aime à entretenir, alors qu’elle n’a plus aucune nouvelle de lui depuis une dizaine de jours le jeune ange brun ne la quitte plus. Bien qu’il semblait vouloir l’intégrer à ses projets et qu’il aurait dû, qu’il aurait pu en tout cas la contacter au moins pour cela, c’est silence radio et silence écran. Pourtant patiemment, douloureusement elle le garde en elle, elle le sent. Il devient comme un enfant que l’on porte, quelque part en soi, envers lequel, parce que l’on ressent quelques douceurs pour lui, on s’invente des obligations, des devoirs de protection. Des inquiétudes.
Voir cette jeune fille trop belle et fade pour être vraie ne la secoue pas vraiment au premier abord. Peut-être devrait-elle… Mais non, elle se sentirait presque au contraire disposée à la laisser parler pendant des heures. D’ailleurs comme toujours il semble que la plupart des rares participants qui ont persévéré sont dans le même état, l’atmosphère est calme et détendue. Comme si tous n’attendaient que de l’entendre.

« Eva ? tu es donc revenue.

Heureusement que sa mémoire ne lui fait pas toujours défaut et que le prénom est réapparu, s'imprimant comme par magie sur ses lèvres.

L’autre sourit.

De toute évidence, elle est bien plus forte qu’elle. Bien plus forte qu’eux tous réunis.

- oui, je suis revenue. Enfin si on peut dire. je n’ai manqué que deux séances.
- Ah ? seulement. J’aurais dit plus. Et donc, tu es venue parce que tu as pris la décision de partir avec nous ?
Soudain elle imagine l’enfer que peut représenter une telle présence dans un périple sans fin comme celui qu’ils s’apprêtent à faire. Une multitude de déchaînements lubriques donnant raison à tous ceux qui voulaient nous faire rentrer dans le droit chemin ne serait que juste châtiment. Ils nous auraient fait fuir, partir sans autre but que de ne pas leur céder, alors forcément, les cadres évaporés, les obligations quotidiennes envolées pourraient laisser la place à un déferlement immaîtrisable de pulsions. Celles-ci et d’autres… qui sait ? Pire encore…
Dieu comme l’entreprise lui semble de plus en plus hasardeuse, de plus en plus insensée. Si les enfants sont sauvés, que ne devrait-elle pas se laisser aller à mourir pour une cause, s’offrir ainsi une fin digne.
Périr parce qu’on ne saura plus vivre…
Mais ses oreilles bourdonnent encore. Elle pense à son homme aussi… il n’aura plus qu’elle ensuite.

- je pense peut-être partir avec vous. Mais j’aimerais préciser certaines choses d’abord…
- je suis à toi ma chère.
Le ton de la jeune femme lui rappelle étrangement celui qu’avaient certains clients à l’époque où elle les côtoyait de près, cet espèce de certitude d’avoir des droits sur les autres, de les dominer parce qu’on les paie. Ce qui quoiqu’on en dise ou pense ramenait toujours l’argent à sa juste valeur, à sa place centrale, qui dépassait tous les talents ou toutes les aspirations. Le plus célèbre des architectes devenait soudain une sombre merde face à un client puissant et riche.
Ici c’était un peu pareil. Depuis le début la gênait l’idée de profiter aussi de ce projet qu’elle vendait aux gens comme une issue de secours, un espoir de survie, ou surtout d’une autre vie, mais qui était aussi pour elle un moyen de gagner de l’argent, en plus de s’assurer un départ avec quelques personnes non pas amies, mais au moins du même côté du monde à présent. Un côté que l’on choisit par défaut, après que l’autre nous a définitivement montré son vrai visage. Un côté qui ne ressemble pas vraiment à ce dont on a rêvé lorsque l’on croyait vivre sur la terre, et non pas dans l’enfer d’un autre monde dont les portes nous seraient évidemment interdites…
Elle n’a d’autre choix que d’écouter puis d’expliquer, laisser parler la trop belle jeune femme dont elle aimerait posséder encore un peu de la fraîcheur.

La blonde sourit, semble un peu gênée.

- en fait, je voudrais savoir… elle tortille ses lèvres… enfin j’aimerais, je, … vous pensez revenir ?

La stupeur combat l’énervement. Mais M. décide de rester calme, de reprendre le dessus, l’ascendant sur tous les médiocres qu’elle est obligée de côtoyer depuis toutes ses années. Cela fait un moment maintenant qu’elle a compris qu’elle n’avait pas le choix, un peu d’alcool, d’espièglerie, c’est la vie qu’elle a choisie. Les images se mélangent…

- euh, écoute, franchement, si on part ce n’est à priori pas pour revenir… on voudrait sans doute quitter les terres françaises ou simplement se cacher, le temps qu’il faudra. Si un jour les choses s’arrangent alors oui, certaines personnes reviendront sans doute. Je n’en sais rien… de toute façon, nous espérons rejoindre d’autres groupes, et ensemble, nous verrons vers quel destin ou quelle destination nous irons.
- Non, mais enfin, ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi nous n’agissons pas… moi je veux bien partir, mais je pense que si l’on part c’est pour agir d’ailleurs, en prenant moins de risques mais avec plus d’espoirs de réussite. Tu me suis ?

Elle me tutoie maintenant ? Décidément…

M. est soudain vraiment embarrassée, une seule idée, un seul nom lui vient à l’esprit Yohan. C’est décidé après la réunion elle l’appelle, et elle lui demandera. Il l’aidera lui c’est sûr. Elle repense soudain à un lieu où elle, où ils allaient lorsqu’ils étaient étudiants. Une pizzeria pas très loin des Beaux-Arts, à Mabillon. Plusieurs fois, ils y ont dîné dans la salle normale, mais un jours, grâce à d’autres étudiants ils ont découvert qu’une autre salle en sous sol permettait aux jeunes désargentés de manger la même nourriture à moindre prix, à condition d’être étudiant bien sûr…

Curieusement, elle s’imagine donner rendez-vous au jeune homme dans cette cave étrange, sans un instant penser qu’on ne voudra plus d’elle, qu’elle n’a plus vingt ans. Ni lui non plus d’ailleurs…


M.G

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