vendredi, janvier 12, 2007

Pour un monde meilleur (10)

Le petit sac discrètement logotypé est à ses pieds, qui lui procure peut-être plus de réconfort que l’idée de partir avec eux. Elle le regarde, le devine. Parfois peine à imaginer que depuis tant d’années, il n’a pas changé. Sobre écriture à la main sur fond blanc. Sobre écriture à la main sur fond blanc d’un horizon lisse et sans aspérités. En France…

Enfin, il reste l’alcool en dernier ressort.
Elle imagine une vie sociale itinérante. Parfois même se projette-t-elle avec délice dans les fantasmes de cette nouvelle vie qu’elle n’a pas choisie.
Boire et mourir. Boire à en oublier de vivre, à en oublier la mort.
S’aventurer dans les états seconds que l’on n’a jamais pu s’offrir et s’y perdre à jamais, jusqu’au moment où la délivrance se fait douce, où les doutes enfin et les douleurs s’évanouissent pour toujours. Mourir en paix.
Mourir dignement de pouvoir croire encore. De n’avoir pas construit sa vie sur des mythes et son avenir sur une poussière à l’incandescence seule visible par l’œil des mauvais.
Mourir d’une vraie vie, ou de ce qu’on avait envisagé comme tel, avant la trahison.
Mais il est impossible à ceux qui ont un devoir de mourir ainsi.

Malgré le sentiment de dilution qui l’habite, au point que dans ses veines circule comme une douloureuse froideur, elle comprend qu’il faut continuer, expliquer, convaincre. Non, convaincre n’est pas nécessaire, seule s’impose l’obligation de ne pas exhiber ses doutes. Alors ils se laissent entraîner. Alors elle leur vend un projet. Une suite. Une fin possible même. Savoir où l’on pourra laisser son corps à la liberté des vivants. Ou bien se détacher…

Comment tout cela a-t-il pu arriver ?


- Enfin, ce que j’essaie de vous expliquer c’est que, enfin disons que je sentais bien qu’avant il y avait comme un grain de sable dans les rouages. Mais j’avais fini par prendre notre société pour argent comptant, j’avais fini par croire que c’était possible. Comme j’avais cru au « plus jamais ça ». en grandissant, j’avais réussi à lutter contre mes peurs, et donc à croire au fond qu’elles avaient plus été motivées par, comment dire, ma folie pour faire simple que par une réalité humaine. La pulsion de mort dont parlent les philosophes, et qui franchement à moi m’échappe complètement par ailleurs, je n’y croyais pas vraiment. Je n’y crois toujours pas au fond.
J’ai toujours été extrêmement consciente des dangers de la vie, peut-être n’était-ce au fond qu’une conscience de notre finitude, j’étais habitée par cela pourtant je n’y ai jamais rien compris par ailleurs.
Mais le onze septembre, une chose s’est produite. Une vraie chose. C’est ce qu’on a cru en tout cas. Il y a eu un événement. Comme un film, sur un fond de ciel bleu impeccable, deux tours à la plastique irréprochable se sont effondrées devant nos yeux apeurés et subjugués. Je me souviens très bien de tout. J’étais devant la télévision, je regardais une connerie américaine au ciel bleu de toujours justement, et l’image a été brutalement remplacée par un autre ciel, tout aussi bleu, sur lequel se dessinaient deux tours dont une était ornée d’un anneau de feu. Mon premier réflexe a été de me dire : je veux connaître la fin de mon téléfilm. L’image du World Trade Center attaqué ainsi, je veux dire ces tours dans lesquelles j’étais montée, ne m’a pas plus choquée que ça. Mon cortex a pris cela comme une image à laquelle il était habitué. Une chose qui, soit parce que j’ai toujours eu peur de tout cela, parce que, même enfant, j’ai compris que ce qui arrivait aux autres pouvait m’arriver, soit parce j’avais vu trop d’images depuis, réelles ou non, n’était pas du domaine de l’incroyable, pas au début en tout cas. Et je voulais connaître la fin de l’histoire d’adultère qui m’avait accrochée à l’écran jusque là.
Et puis…
Et puis j’ai réalisé.
Et puis on a tous réalisé. Je crois qu’on a été bien secoués, moi y compris. Il y a eu une sorte de consensus, qui très vite s’est disloqué tout de même.

- oui, enfin tu as raison, ça n’a pas vraiment duré. On nous a montré les images de liesse de la rue arabe comme on dit. Intervient F. Puis on a entendu chez nous des alters, on ne disait pas comme ça à l’époque d’ailleurs, comment les appelait-on ? je ne me souviens plus enfin des gauchos en tous genres qui, d’abord timidement, puis de manière plus affirmée ont osé avancer l’idée que les Américains étaient coupables, et donc responsables du sort de ces pauvres… .

- Oui c’est exactement cela. Au fond, on a cru à un réveil d’une partie de l’occident, et pas du tout au fond, ça a été comme le début d’une fracture, mais pas celle qu’on pensait. Le choc a vite été ravalé. L’immonde est retourné dans la masse pour faire partie du lot commun des évènements et non évènements comme les appelait Baudrillard, que je lisais à l’époque. Et c’est l’immonde idéologique qui a pris sa place. La France et l’Europe sont retournées à un aveuglement qui faisait penser à d’autres. Enfin bref. Le problème est qu’il y a ce qui se passe d’un côté et surtout la façon dont les gens reçoivent les choses.

Ils écoutent. Il semble qu’elle a su capter leur attention et un peu de leur sincérité.
Continue.

- J’aurais à une époque donné n’importe quoi pour ne pas avoir l’impression d’être en terre ennemie. J’en arrive à penser qu’aujourd’hui, à force de propagande…, à force de, d’humanité peut-être, on niera bientôt officiellement la Shoah, et l’Histoire n’existera plus. Il y aura une Histoire officielle, et finalement on pourra tout contester, ou douter de tout. On y sera contraints même. Par son pouvoir d’effacement, d’illusion irréversible Internet y aura contribué. Internet c’est l’avènement de la gentillesse, c’est le lieu et le moment où l’on croit qu’il est possible de s’aimer. De partager, de niquer le système en quelques sortes.

M.G

Aucun commentaire: