vendredi, avril 27, 2007

Pour un monde meilleur ? (23)

Pour la première fois peut-être il ressent un malaise dont il sait qu’il ne durera pas, mais qui malgré tout l’indispose un peu. Cette femme a la chevelure rousse, presque rouge a indéniablement un effet négatif sur lui. Il en a conscience, mais ne parvient pas à imaginer même s'en détacher. Il ne le veut pas sans doute. Il pense à sa mère. Si elle avait su.
Tout a joué dans le bon ordre c’est évident. Il jette son mégot derrière lui tout en avançant et ne peut se détacher de l’image et de l’odeur abstraite qui l’emplit à chaque pas. Non. Il n’a pas le droit, il ne peut surtout pas se permettre la moindre distraction. Seul le sexe sans engagement lui est permis… au moins jusqu’à la première action. Mais au fond n’est-ce pas ce qu’il pourrait avoir avec cette femme, troublante et pourtant beaucoup trop banale, si transparente…
Il ne comprend pas ce qui lui arrive.

Mais putain qu’est-ce qui m’arrive. Martha…
Non c’est impossible bien sûr.

Peut-être devrait-il rentrer chez lui ce soir. Terminer de corriger les épreuves de son prochain opuscule. Ou se déchirer la tronche. Oui enfin quitte à se déchirer la tronche autant se libérer d’un stress en plus. Et j’y suis presque en plus. Ça me fera du bien c’est sûr.

Il sort un cachet de sa poche et l’avale direct, puis frappe très doucement à la porte, c’est sans doute le meilleur moment. Celui de cette pression très mesurée appliquée du poing sur le seuil du lieu où il perd toute dignité pour ne pas perdre ses esprits. C’est ainsi depuis quelques années maintenant. C’est sûr que ce n’est pas ce qu’il avait imaginé enfant, mais bon, et puis n’est-ce pas Michel Houellebecq qui lui avait signalé l’existence de ce genre de clubs. Alors… oui enfin il n’y a peut-être jamais foutu les pieds. Que de la gueule celui là.
Le cacheton commence à faire effet. C’est clair. Une vigueur subtile dont il pourrait presque décrire le chemin s’engage dans ses veines.
Il y a quelques personnes au bar, seules. Un verre ne serait peut-être pas une mauvaise idée. Sauf que, peut-être alors il faudrait parler, initier un contact tout à fait contraire à ce pour quoi on vient ici. D’ailleurs, ils sont vraiment cons d’avoir fait ce bar. Mais l’argent n’a pas d’odeur…
Que faire ?
Il aperçoit soudain une blonde, serait-ce ? oui, c’est cette blonde qu’il s'est déjà pécho une fois. Elle est très jolie mais complètement insignifiante. Elle n’a aucun plaisir à être là, ce qui à la limite se comprend, mais surtout elle ne retire aucun plaisir de tout cela.

Elle est seule pourtant. Ça y est, elle l’a vu et son regard s’éclaire. S’il l’ignore elle en mourra c’est sûr. Enfin who gives a shit… il soupire, elle est vraiment jolie. Une grosse poitrine lui semble-t-il, ah non, c’était une autre blonde, assez laide, mais très chaude. Mon dieu, il faut qu’il se lance, sinon il repartira… et bien sûr, comme un mauvais démon c’est l’autre qui vient se rappeler à sa mémoire. Allez, il inspire et s’approche.
Malgré tous les efforts qu’elle fait pour rester stoïque, il sent qu’elle est peut-être rassurée de cette approche, que ce soit lui en somme. Ce n’est pas le moment le plus évident bien sûr, il faut se mettre en condition, il faut y penser très fort. Il faut penser au sexe, à la jouissance, à la violence aussi, et cela seulement. Il faut se dépêcher sur tout avant que les effets de la drogue se dissipent tout à fait.

Il passe la main sous son tee-shirt.

Elle murmure : je m’appelle Myriam.

M.G

jeudi, avril 26, 2007

Pour un monde meilleur ? (22)

"finalement, je cède...un peu."


L’homme l’a quittée. Elle reste là. Assise. Désœuvrée et perplexe, elle se demande comment il lui a été possible de pénétrer un anachronisme.
Le jour décline légèrement, et l’objet est là, qui la regarde presque. Sorte de cercueil de luxe pour les hommes qui ne seront toujours que les instruments d’un destin aussi ironique qu’il n’a pas de sens. Il lui reste des choses à prévoir, imaginer, calculer. L’issue approche. Terrible de cette douceur que perçoit celui ou celle qui peut-être s’est trompé, mais n’en saura jamais rien. Elle devine le ciel pâle qui s’assombrit derrière le carreau cassé. Ce ciel sera son compagnon jusqu’à la fin des jours. Alors qu’elle s’était vue bâtisseuse, elle ne pourra qu'assister volontairement impuissante à la fin de ce monde qui se détruit peu à peu, et va disséminer ses restes dans l’univers vide et froid. Perfide existence que celle qui vous plonge dans une activité dont l’évolution des choses vous prouve qu’elle est trompeuse, voire inutile.
Construire des armes, voilà qui aurait été utile. D’ailleurs il était question d’en intégrer à chacune des cellules, mais c’était trop cher, on a trouvé autre chose.

Elle n’a pas osé appeler Yohan. Pensait que peut-être il l’aurait fait. Ne comprend pas, ou comprend trop bien… si au moins elle avait un paquet de cigarettes, elle resterait ainsi assise à fumer, à goûter ce temps de silence et de rien qui lui a tant de fois manqué. Et si elle passait la nuit là, seule, et reprenait le train demain ?
Sans réfléchir, elle se lève et attrape un stylo et le cahier qui sont restés posés dans un coin, sur un vieux plan de travail. Puis elle revient s’asseoir, s’installe lentement, inspire et se met à écrire.

« Si on s’était promis la lune, on comblerait notre défaillance par nos silences, mais nous n’avons rien émis, aucun pacte, aucun mot qui puisse justifier une quelconque déception, si ce n’est celle de n’être que des humains véritables… alors en toute lâcheté, j’aimerais rompre le silence de cette abnégation factice…

Je crois sentir que tu attends mes mots sans savoir les convoquer ou les motiver autrement que par une absence très pleine, très ouatée qui grossit avec les jours, avec les heures, les minutes, les secondes de la journée, turgescence éloignée et qui pourtant projette ses effets dans les esprits d’autres, d’une autre à qui elle s’a-dresse. Alors les mots, sans honte, sans retrait se libèrent et coulent d’une source abstraite vers un espace irréel, inexistant et qui pourtant contient la seule turgescence possible… permise et souhaitable. Lorsque l’on a compris que l’existence ne valait qu’en conjectures et rêveries, alors…. »

Il est tard.

M.G

vendredi, avril 13, 2007

Pour un monde meilleur ? (21)

« c’est beau. Non ?

lui demande-t-elle maîtrisant à peine son enthousiasme. Il se contente de sourire, ne la laissant pas vraiment deviner son sentiment.

- en une autre époque, j’aurais été fière je crois…
- pourquoi, qu’est-ce que ça change ?
- ben là c’est, enfin comment dire plutôt inutile, non ? Alors qu’avant je pensais que je travaillais pour quelque chose. J’ai même, à une époque eu le sentiment de créer un peu…
- mais vous créez. Enfin, c’est bien vous qui avez dessiné cela…
- dessiné, dessiné, euh oui, plus que ça encore. J’ai passé des heures, des nuits à imaginer tout cela. D’abord il fallait avoir le projet, puis ensuite la forme etc… enfin vous savez…
- oui j’imagine. Et c’est plutôt bien, non ? On est contents.
- Oui, je pense. Mais ça me fait bizarre de me dire que cela restera uniquement dans le champ du confidentiel. Que cette forme. Que cette idée au fond ne seront qu’un élément qui aura servi à quelques personnes et rien de plus…
- Vous voulez quoi ? qu’on le commercialise ? à grande échelle.
- Non, enfin ce ne serait pas possible… non ce n’est pas cela.

Elle s’arrête un instant pour regarder l’engin. Près de la fenêtre atelier en verre feuilleté, dont le haut était cassé, ses parties métalliques luisaient d’une manière imprévue. A cela aussi elle avait beaucoup réfléchi. Sans doute par déformation professionnelle, ou était-ce simplement lié à son caractère : elle était perfectionniste. Avait malgré tout été formée à l’être. Au départ, elle avait envisagé une coque complètement mate sans le moindre reflet. Un élément qui par ses qualités de non réflexion se fondrait complètement dans le paysage. Dans l’univers. Elle trouvait cela très beau. Elle se souvenait d’avoir repensé à une œuvre d’Anish Kapoor qu’elle avait vue au CAPC de Bordeaux. Il s’agissait d’une demi-sphère, pas tout à fait sphérique d’ailleurs, demi-ellipse donc, suspendue. On pénétrait dessous, et soudain on se sentait comme aspiré par le vide. Le sentiment était tout à fait inconnu. Inédit. Le dôme dont on ne distinguait en réalité absolument pas la face interne faisait 8 mètres de diamètre, mais la profondeur en était annulée par le pigment utilisé. Et la lumière peut-être. Soudain, alors que l’on n’était même pas dans un espace différent, on était transporté nulle part. Plusieurs fois, elle est ressortie de cette emprise pour voir les autres œuvres, et plusieurs fois y est retournée, comme aspirée, comme pour faire le plein de cette non matière, de cette non essence.

L’objet qu’elle avait devant les yeux ressemblait davantage à une autre œuvre de l’artiste réalisée plus tard. Une sculpture en métal poli dont les reflets avaient eux aussi tendance à annuler la forme. Sans doute avait-elle malgré tout été nourrie de cette volonté d’éviction. Qui après tout convenait tout à fait à la situation. Disparaître et se fondre dans le rien.

Le plus drôle ici était qu’il s’agissait de morceaux à assembler, ayant donc chacun leur forme propre pour pouvoir à un moment devenir des pièces à vivre, comme un puzzle, ayant donc chacune une particularité qui pourtant par l’abstraction de la matière et de la volonté du créateur s’annulait de fait, s’évanouissait pour laisser place à l’absence de ce que l’on ne peut définir.

M.G

lundi, avril 09, 2007

Pour un monde meilleur ? (20)


Tout s’étiole petit à petit, jusqu’au désir même de combattre l’étiolement fatal. Alors il ne nous reste plus qu’à mourir lentement et sans faire de vagues, à moins d’avoir la chance ou la malchance de connaître un dernier sursaut de vitalité qui nous fera emporter comme ultime sentiment celui de n’avoir pas su résister à une tentation jadis jugée inhumaine.

Le jour se lève. La nuit n’a pas été très réconfortante. Elle regarde Bob qui dort à côté d’elle. Souvent dans les années où ils ont été liés, elle a éprouvé pour lui une sorte de compassion, de tristesse même. Sans doute un peu parce qu’en dormant il paraît toujours soucieux. On se demande même s’il ne souffre pas. Mais elle n’a jamais pu en rien savoir.
Elle aimerait là lui déposer un baiser sur le visage, à un endroit n’importe lequel pour qu’il sache qu’encore maintenant elle pense à lui. Elle n’en fera rien bien sûr. Avec les années, ils sont devenus de plus en plus timides l’un envers l’autre, au point de ne plus se toucher que dans ces moments rares dans lesquels alors se met en marche sans doute ce que la frustration de trop peu de tendresse a fabriqué comme désir effréné de l’autre, jusqu’à vouloir saisir sa sève ou son âme à travers ce corps que l’on n’offre qu’à lui. Le temps leur manque désormais. Lui feint de continuer à travailler, comme s’il restait un quelconque espoir de rester établi en ce pays et d’en tirer encore quelque chose. Elle se dévoue à son entreprise.
Aujourd’hui, et il lui en coûte vraiment, elle doit prendre le train pour aller voir où en est la fabrication des CTU. Il s’agit d’une grosse boite de métallerie qui leur a détaché une petite unité de production secrète afin de les aider. Aussi parce que l’un des derniers bonnets restés sur les territoire français part vraisemblablement avec eux.
Elle regarde encore son homme tandis qu’un jour trompeusement prometteur s’annonce. Alors qu’elle sera dans le train, entourée sans doute de toutes ces femmes enturbannées qui la regarderont avec cet espèce d’indifférence mensongère, elle sentira comme un poids la distance qui la sépare aujourd’hui de son domicile et de sa famille, son homme et ses enfants, demain de toute l’humanité qu’elle espérait pouvoir conserver. Savoir où et comment mourir ?
Que transmettre ?
A qui transmettre ?
Les reverrait-elle tous un jour ? Chaque déplacement, chaque minuscule acte devenait dangereux, au point même que la notion de danger en était complètement viciée, qu’il n’en restait qu’un vague symbole, rien de précis, une idée qui vous rapprochait chaque jour un peu plus d’un nihilisme blanc.
Elle penserait à Yohan aussi, l’appellerait peut-être. Se torturerait à tenter de savoir s’il n’avait pas raison, si elle ne devait pas se joindre à eux et abandonner tous les autres.
Se joindre à lui, commettre un suicide dans une renaissance fictive, crise de la quarantaine débilitante dont elle garderait de bons souvenirs, un peu d’exaltation encore.
Mais comment abandonner ceux dont on a la responsabilité. La seule issue est encore de leur mentir.

La seule issue est donc le cul. Rien d’autre. Point barre.

M.G

lundi, avril 02, 2007

Pour un monde meilleur ? (19)

Cela faisait maintenant à peu près un mois qu’elle avait rencontré Yohan. Par un hasard étrange, il était ami avec un des premiers participants de l’aventure qui s’était depuis retiré, persuadé que des gens en voulaient à sa famille. Au moment de partir donc, et à une heure où il pensait que certains des participants pouvaient ne pas être fiables, n’étant sans doute que des saboteurs, Jean avait indiqué à Martha l’existence d’un réseau. Il s’agissait d’un jeune philosophe assez connu d’ailleurs qui avait entraîné quelques personnes dans une aventure autrement plus audacieuse que la sienne : ils voulaient lutter, et peut-être prendre les armes.
Tout ce contre quoi elle résistait depuis des années, depuis qu’à force de raison et de résignation imposée par les autres, elle avait décidé qu’il ne servait plus à rien de combattre pour ce pays traître et assassin.
Jean avait pourtant bizarrement insisté pour qu’elle se rende à une des conférences du jeune homme.
Il les avait présentés.
Depuis son attitude étrangement bienveillante à son égard l’avait d’abord intriguée puis obsédée au point qu’elle ne pensait plus qu’à cela. Parfois elle se demandait même s’il n’était pas aussi une taupe, un envoyé dont la mission serait de dynamiter tous les groupes de résistance ou de non soumission à l’occupant.
Alors qu’elle l’avait d’abord pris pour un fat personnage, relativement immature, enfin assez pour n’être en proie à aucune réalité, sauf celle de sa pensée, il avait commencé à lui manifester des marques d’intérêt qui ne pouvaient qu’éveiller chez elle des réflexes enfouis, troubles depuis longtemps évacués de sa pauvre tête. Une certaine admiration a commencé à naître pour l’homme dont elle ne connaissait pas la pensée mais enviait l’élocution, l’aisance. Il ne restait cependant pour elle qu’un gamin, doué sans doute, courageux, mais n’ayant au fond aucune idée de ce vers quoi il avançait réellement. Les rares fois où elle avait pu lui parler, il lui balançait des phrases étranges, d’une gentillesse inappropriée, qui ne pouvait que sonner faux. Ce type était soit un parfait bonimenteur, soit un idiot qui n’avait toujours pas compris qu’on ne donnait pas son amitié aussi facilement. Ou bien avait-il simplement pitié d’elle. Peut-être était-ce de là qu’était partie son obsession. Puisqu’il ne fallait pas qu’il s’agisse d’un sentiment aussi vain et inutile, il y avait forcément autre chose. C’est alors qu’elle découvrit, à plus de quarante ans, qu’elle préférait encore qu’on l’aimât pour son physique que pour ses qualités intellectuelles ou son engagement, qui n’en était en plus pas un. Enfin, ce n’était même pas son physique qu’elle voulait qu’on appréciât, c’était plutôt son intimité qu’elle espérait qu’on désirât encore. Ce n’était pas du sexe, pas de la libido. Elle espérait que quelqu’un, quelque part était encore capable de la voir.
Elle n’était pas dupe cependant, mille explications pouvaient encore éclairer cet intérêt de plus en plus manifeste. La plupart n’étaient pas d’un romantisme absolu. Mais lorsque l’on approche de la fin de sa vie, qu’est en somme la fin définitive de sa jeunesse, on peut sans doute se contenter de peu.
Se contenter de se laisser séduire par la seule personne qui ose encore vous regarder.

M.G