lundi, avril 09, 2007

Pour un monde meilleur ? (20)


Tout s’étiole petit à petit, jusqu’au désir même de combattre l’étiolement fatal. Alors il ne nous reste plus qu’à mourir lentement et sans faire de vagues, à moins d’avoir la chance ou la malchance de connaître un dernier sursaut de vitalité qui nous fera emporter comme ultime sentiment celui de n’avoir pas su résister à une tentation jadis jugée inhumaine.

Le jour se lève. La nuit n’a pas été très réconfortante. Elle regarde Bob qui dort à côté d’elle. Souvent dans les années où ils ont été liés, elle a éprouvé pour lui une sorte de compassion, de tristesse même. Sans doute un peu parce qu’en dormant il paraît toujours soucieux. On se demande même s’il ne souffre pas. Mais elle n’a jamais pu en rien savoir.
Elle aimerait là lui déposer un baiser sur le visage, à un endroit n’importe lequel pour qu’il sache qu’encore maintenant elle pense à lui. Elle n’en fera rien bien sûr. Avec les années, ils sont devenus de plus en plus timides l’un envers l’autre, au point de ne plus se toucher que dans ces moments rares dans lesquels alors se met en marche sans doute ce que la frustration de trop peu de tendresse a fabriqué comme désir effréné de l’autre, jusqu’à vouloir saisir sa sève ou son âme à travers ce corps que l’on n’offre qu’à lui. Le temps leur manque désormais. Lui feint de continuer à travailler, comme s’il restait un quelconque espoir de rester établi en ce pays et d’en tirer encore quelque chose. Elle se dévoue à son entreprise.
Aujourd’hui, et il lui en coûte vraiment, elle doit prendre le train pour aller voir où en est la fabrication des CTU. Il s’agit d’une grosse boite de métallerie qui leur a détaché une petite unité de production secrète afin de les aider. Aussi parce que l’un des derniers bonnets restés sur les territoire français part vraisemblablement avec eux.
Elle regarde encore son homme tandis qu’un jour trompeusement prometteur s’annonce. Alors qu’elle sera dans le train, entourée sans doute de toutes ces femmes enturbannées qui la regarderont avec cet espèce d’indifférence mensongère, elle sentira comme un poids la distance qui la sépare aujourd’hui de son domicile et de sa famille, son homme et ses enfants, demain de toute l’humanité qu’elle espérait pouvoir conserver. Savoir où et comment mourir ?
Que transmettre ?
A qui transmettre ?
Les reverrait-elle tous un jour ? Chaque déplacement, chaque minuscule acte devenait dangereux, au point même que la notion de danger en était complètement viciée, qu’il n’en restait qu’un vague symbole, rien de précis, une idée qui vous rapprochait chaque jour un peu plus d’un nihilisme blanc.
Elle penserait à Yohan aussi, l’appellerait peut-être. Se torturerait à tenter de savoir s’il n’avait pas raison, si elle ne devait pas se joindre à eux et abandonner tous les autres.
Se joindre à lui, commettre un suicide dans une renaissance fictive, crise de la quarantaine débilitante dont elle garderait de bons souvenirs, un peu d’exaltation encore.
Mais comment abandonner ceux dont on a la responsabilité. La seule issue est encore de leur mentir.

La seule issue est donc le cul. Rien d’autre. Point barre.

M.G

Aucun commentaire: