jeudi, mars 29, 2007

Pour un monde meilleur ? (18)

Parfois je me demande ce que j’emporterai de Miami dans ma mort. Quelles images, quelles sensations garderai-je de ce lieu qui a en quelques sortes conditionné ma vie. De ce lieu qui a tant compté pour moi, qui m’a je pense investie d’un imaginaire que je croyais interdit, parce qu'à l'évidence il était too much.
Ce lieu que je ne reverrai sans doute jamais. Dont je ne sentirai jamais plus l’étouffante douceur, la magnifique tiédeur humide, du matin au soir, de la nuit érotique à l’aube romantique.
Je me demande s’il est possible que de ces néons absolument irréels, qui balancent leurs fils magiques et remuants dans l’espace en mouvement, je ne garde rien. Que tout cela m’ait été inutile, assez enfin pour qu’ils retombent dans une réalité dont je serai absente. Est-ce imaginable qu’un jour ces hôtels, ces chambres désuètes, ces espaces marqués par des années dont nous ne nous échapperons pas s’envolent en souffle de poussière pour laisser place au temps, pour laisser place à une suite. Les seventies et leur authenticité, figés à jamais dans l’autre Amérique, celle qui continue de vivre et de produire du rêve, celle qui malgré tout, malgré tout existe encore…

Celle où j’ai pu imaginer la suite de mon existence tout en la vivant en direct…

Miami et ses espaces réels, sable blanc, transats en bois, mer turquoise, et moi, en nous…

Amoureux partout, amoureux dedans.

Néons, hôtels, rhum, cocktails, batailles de rue, coup de points, cigarettes, drogue, salon de strip tease. Voitures, espaces, chaleur.

Nous étions beaux le soir lorsque nous sortions, bronzés, brillants, jeunes et désirant nous plaire. Nous n’avions rien vécu que de petits moments, petites douleurs, grandes alors, mais effacées pour un temps et toujours, dans ces nuits torrides, où l'air tiède, effleurant depuis les naco, nos peaux humides, ajoutaient à l’incroyable exotisme du lieu, une touche fictive. Tout relevait de la construction mentale, de l’exception qu’il est impossible de vivre et que pourtant nous avons eu la chance de connaître. Enfin je crois.
A moins que je n’aie rêvé tout ça. Simplement pour pouvoir emporter au fond du fond, un peu de la magie à laquelle chaque être humain aspire sans doute.


M.G

mardi, mars 20, 2007

Pour un monde meilleur ?(17)


La nuit est agitée. De visions d’abord, puis de doutes incandescents. Comme une prison à laquelle on tente d’échapper par n’importe quel moyen tout en sachant qu’aucune libération n’est évidemment possible.
Au moins existe l’image, la possession du désir, énorme avantage de celle qui vit encore, et se sait pouvoir exulter. Les songes abritent leur lot de péchés, tandis que les moments d’éveil rattrapent bientôt la quiétude de ne pas trahir, de simplement se laisser effleurer par une pensée amie, un réconfort bienveillant.
S’il en est ainsi, c’est que sans doute, au fond de l'homme, une chose a pu se développer.
Il s’est laissé toucher par elle, emporter dans quelque intime trait de son caractère, qui lui aura plu, sans doute. Si cette nuit précise est envahie de tant de présence, elle le sait, cela signifie qu’une chose a eu lieu.
Elle se rendort cette fois pour se perdre dans les méandre d’un appartement étrange, une fiction d’appartement où les seules pièces fréquentées ressemblent toutes à des laveries. Immenses salles de bains, emplies de grands paniers en métal sur roulettes dans lesquels gisent quelques serviettes blanches. Il la plaque contre un mur. Il appuie sur son corps avec une force volontaire.
Il s’agit de l’appartement d’un grand-père, étrange absent.
Puis encore elle se réveille, oublie son visage, replonge dans ce doux délire que l’alcool aide un peu sans doute. Elle s’éloigne de tout. La nuit avance sans elle.
Pourtant une volonté implacable émane de ces images qui sont sans doute autant de pensées réunies en une seule : un homme peut aimer une femme pendant quelques minutes, quelques heures tout au plus. Ensuite advient la lente et douce usure des corps et des esprits, qui s’apparente finalement à un contrat, un pacte entre deux âmes : l’une souvent égarée l’autre souvent écervelée. Parce qu’ils se sont plu, qu’ils se sont dit oui, à un moment de fièvre, ils décident de se soutenir sur le chemin de la fin, par une aménité inquiète et résignée aussi. Mais les rares minutes, vécues ou fantasmées ne peuvent-elles pas à elles seules emplir une vie de l’espoir de les sentir encore, avec l’être dont on aura su se faire aimer pendant quelques heures… ou bien d’autres, simples avatars, ne servant qu’à recréer encore et toujours le moment originel, celui de la flamme.
Alors, en rêve, c’est comme une musique d’où l’on voit surgir mille personnages, mille tableaux, par le seul génie de quelques doigts agiles sur un clavier, d’une corde à laquelle un digne disparu a su affecter, par cette capacité unique d’anticipation, de projection, un peu de la magie du monde. La création de la matière entre quelques cordes qui vibrent. La fabrication de la réalité, de la concrétion s’inventant dans le vide entre le graphite et le papier…
Si l’on peut faire naître d’un peu de vide, peut-on empêcher alors la disparition ?

Soudain, ce sont les Cellules Techniques Unifamiliales qui apparaissent, habitées de tous ces autres qu’elle ne veut pas connaître, dont elle ne peut endurer qu’ils soient sa fin à elle. Pourtant l’idée était belle, qui lui a même permis de gagner de l’argent et de s’assurer un avenir. Projetée dans ce que les images de synthèse ont su montrer, elle avance, vogue presque sur des champs de blé immenses, dans un silence brut et épais.
Sous un soleil écrasant, projection d’un monde sans hivers, sans rupture aussi doux et insipide que ces épis dorés sur lesquels elle se laisse glisser vers l’infini.

M.G

jeudi, mars 15, 2007

Pour un monde meilleur (16) ???!!!

Il se décide finalement.
- Ecoute, je pense que tu es une personne motivée et aussi douée qui plus est. Je crois donc que plutôt que de partir avec tous ces beaufs, tu devrais nous aider, te battre à nos côtés, même si dit comme ça, ça sonne un peu pompeux.

Elle le regarde un peu perdue. Un peu soule. La fatigue, les évènements. Cette lutte incessante contre elle-même et l’envie de se laisser aller à ce qui aurait pu être sa vie telle qu’elle l’avait construite jusqu’à un âge avancé, enfin adulte : profiter. Aujourd’hui comme elle aimerait tout laisser tomber et croire encore, croire que tout va bien comme tous ces anciens amis qu’elle a laissés sur le bord du chemin. Croire aux apparence que laisse exhiber la belle Paris en ses quartiers les plus côtoyés et encore convoités. Croire en la richesse, en la culture, en la mode. Oublier tout ce que l’on sait, parce qu’on l’a d’abord découvert sur Internet, puis qu’on a pu le constater par soi-même. Les entrailles se brûlent vivantes, la France est en train de se mourir de l’amertume de n’avoir jamais su lutter.

- alors qu’en dis-tu ? son regard brille toujours autant. Mais sans doute est-elle folle. Qu’en dit-elle ?
Elle en dit qu’elle laisserait bien tout tomber tout de suite pour suivre ce mec, oublier tout et tout le monde. Ceux qui savent. Ceux qui ne savent pas. Ceux qui croient. Ceux qui ne veulent pas croire. Parce que jamais ils ne veulent voir. Elle le suivrait dans cette Résistance nouvelle version. Enfin nouvelle vraie version. Pas la version des « corrects » qui ont trempé cela à toutes les sauces.

- j’en dis que je ne sais pas. J’en dis que bien sûr, je pense que, enfin comment dire, avec vous, je serais plus sûre de mes alliés qu’avec ces beaufs comme tu les appelles.
Ça y est, le tu vient. Doucement il a fini pas s’imposer, et il est lisse à l’oreille et à la bouche.
- J’en dis que vous avez raison. Mais tu es jeune, sans attaches sans doute…
Il l’interrompt brusquement.
- Tu n’en sais rien.
Elle reste un instant surprise, embarrassée presque…
- tu as raison, je n’en sais rien, et là n’est pas la question à vrai dire. La question est que je n’ai plus envie de me battre contre une évidence. Je n’ai plus envie de me battre contre un destin, et surtout, surtout, je n’ai plus envie de sauver un pays qui nous a trop, qui m’a trop trahie.

Il sourit. Commence à tripoter son paquet de cigarettes. En prend une.
Bravant tout ce qu’elle est, elle lui en demande une. Il la regarde étonnée. Doucement, il entrouvre à nouveau le paquet puis le lui tend. Elle soutient son regard et se sert, attend, les yeux fixés dans les siens qu’il lui allume sa cigarette. Ce qu’il fait enfin.

La conversation peut reprendre.

- je te comprends, lâche-t-il enfin.
- J’espère, répond-elle d’une voix tremblante.
- Mais tu as tort.

Soudain, elle n’a plus qu’un désir : qu’il l’emmène d’ici, vers quelque hôtel plus ou moins glauque. Qu’il lui permette de penser à autre chose enfin, tout sauf la lutte. La lutte épouvantable, éprouvante et tellement injuste. Chaque matin elle est au bord des larmes, la fatigue l’étrangle. Son mari, qui feint d’ignorer ce qui se passe, dont elle ne sait même pas s’il la suit, même si elle en est sûre au fond. Les enfants sont à peu près sortis de l’auberge, ils partent aux Etats-Unis dans moins d’un mois. Qui sait si elle les reverra…
Alors pourquoi ne pas faire ça maintenant. S’il en a envie comme elle croit le percevoir. Ça lui laissera au moins un souvenir. Elle sait bien que sa vie sexuelle va se disperser jusqu’à disparaître bientôt. Elle sait bien que rien n’est éternel. Le corps, le visage, les idées.

Elle lui sourit. Et répond avec sarcasme.
- ah bon ? j’ai tort. Comment peux-tu savoir si j’ai tort.
- Je le sais, c’est tout.
- Vraiment ? c’est formidable ça…
- Sans doute, mais c’est comme ça.
- Vas-y…
- Quoi vas-y ? ses yeux s’éclairent.
- Explique-moi en quoi c’est comme ça, en quoi j’ai tort. Elle jubile soudain.
- Je vais le faire. Il commence à pianoter sur la table, se retourne à la recherche d’un serveur. En voit un, le hèle.
- Que veux-tu boire ?

Elle hésite.
- euh, une vodka.

Il sourit tout en prenant un air surpris.
- une vodka ? eh bien va pour deux vodkas.

Le serveur est reparti. Il s’avance vers elle, les mains posées sur la table, vient à sa rencontre.

- tu as tort, parce qu’on n’a jamais raison de renoncer.
- Tu me traites de lâche ?
- Non pas du tout, je peux comprendre, enfin imaginer ce qui t’a fait prendre ce chemin plutôt qu’un autre. Et bien évidemment que je comprends cela, mais… mais comment dire. On a besoin de vous, de tout le monde, et tu verras on gagnera.
Elle éclaterait de rire si elle n’était si triste, depuis tant d’années maintenant.

- comment veux-tu qu’on gagne ? et gagner pour quoi. Ce pays est non seulement perdu, mais en plus, on devrait lui cracher à la figure de nous avoir tellement trahis. Quand tes grand-parents, puisque j’imagine que tes parents sont nés en France, sont-ils arrivés ?
- hum… ma grand-mère est née en France, et mon grand-père est arrivé un peu avant la guerre.
- Ils venaient d’où ?
- Pologne et Roumanie.

Elle baisse les yeux. Les vodkas arrivent. Elle demande au serveur s’il est possible d’acheter des cigarettes.

- mais j’en ai. Intervient Yohan, ce n’est pas la peine d’en acheter.
- Ça me gêne.
- Je t’en prie, ne sois pas gênée, c’est avec plaisir, j’en ai plusieurs paquets. Le serveur attend, c’est bon lui lance-t-il. Pas de cigarettes. Juste deux vodkas.

- Pologne et Roumanie donc, comme mes grand parents. C’est drôle. Enfin du côté de ma mère.

Il sourit et lui propose une cigarette qu’elle n’a d’autre choix que d’accepter. Alors elle accepte, sourit légèrement et attend une nouvelle fois qu’il lui tende la flamme de son briquet.
- et tu sais pourquoi ils sont venus en France, n’est-ce pas ?
- bien sûr que je le sais. Et je sais aussi où tu veux en venir… mais ça ne change rien. Ca ne changera rien à mon engagement.
- Mais je ne veux rien changer à ton engagement, je le trouve magnifique. Un peu utopiste mais beau. Mais moi je ne peux pas.
- Mais tu imagines, enfin je ne dis pas ça pour toi, mais tu imagines si tout le monde pensait comme toi…
- Oui, mais de toute façon tout le monde ne pense pas comme moi. Certains sont prêts à se battre, et ne croie par que j’aie envie qu’ils se battent pour moi. J’ai juste envie de m’en foutre. De tirer un trait. Un trait sur ce pays qui ne nous a jamais aimés, nous a livrés et s’apprête à le refaire.
- Mais Martha…
- Non. Tu sais, ne t’imagine pas que les pogroms se passaient au Moyen Age.
- Mais je ne l’imagine pas du tout.
- Oui, mais ce que je veux te dire, c’est que c’était une chose beaucoup plus banale que ce que l’on peut croire. Mon grand-père racontait à ma mère comment cela se passait. Les gens s’entendaient bien. Il leur arrivait de plaisanter. De se côtoyer, même si on ne peut sans doute pas dire qu’ils vivaient ensemble. Car bien sûr à cette époque pour, toujours les mêmes raisons, le communautarisme était la règle, j’emploie ce terme à dessein car j’exècre cette notion inventée par les antisémites. Enfin, voilà, ils communiquaient, et de temps en temps, les Cosaques picolaient un coup, et ils descendaient dans les villages et butaient tout le monde.
- Je sais tout cela.
- Oui, je me doute que tu sais tout cela. Mais je crois, elle s’arrêta, la vodka commençait à faire effet, je crois que quelque part tu es trop jeune pour vraiment sentir que ce n’était pas le Moyen Age, et que tes grands-parents comme les miens sont venus ici, parce qu’ils croyaient qu’ici on les protègerait…
- Enfin je sais tout cela. Répondit-il durement.
- Oui, tu le sais, mais on dirait que ça ne te suffit pas. D’ailleurs c’est pareil pour tous les intellectuels français. Je n’ai jamais compris pourquoi ils restaient, eux étaient encore mieux informés que nous. Enfin bien sûr, ils écrivent en Français, mais… elle s’arrêta.
- Ça ne va pas ? il avait l’air vraiment inquiet.
- Si ça va, enfin je suis fatiguée. Tu sais ce n’est plus de mon âge tout cela.
- Oh arrête. J’ai bien remarqué que tu veux tout le temps te faire passer pour une vieille.
- Peut-être parce que je suis vieille.

Elle le regarda encore. Pourrait-elle vraiment se laisser toucher par un aussi jeune homme, une flamme juvénile éclairait son regard. Il lui semblait qu’il pourrait presque être son fils. De toute façon, dès qu’on devient mère, on perçoit facilement les jeunes hommes comme des fils potentiels.
En même temps, la transgression lui apparaissait ce soir comme tellement excitante. Elle tenta de se concentrer et reprit, avant qu’il ne se décide par sa faconde à lui interdire toute capacité de s’expliquer.
- peut-être qu’en tant que vieille, je peux avoir le privilège de, enfin le bénéfice du doute.
- Tu plaisantes j’espère ?
Décidément, il pouvait être violent.
- comment ça ?
- eh bien tu n’as aucun bénéfice du doute, justement parce que tu es jeune, intelligente, brillante à n’en pas douter, et même séduisante, ce qui n’a rien à voir, mais ce qui fait, que je te répondrai comme à n’importe quel autre interlocuteur…
- oui, mais pourtant tu dois avoir confiance dans mon expérience. Au moins l’écouter…
- ça d’accord, je t’écoute. Je t’écoute jusqu’au bout de la nuit s’il le faut, mais je te dirai ensuite ce que j’aurai à te dire.

M.G