jeudi, mars 15, 2007

Pour un monde meilleur (16) ???!!!

Il se décide finalement.
- Ecoute, je pense que tu es une personne motivée et aussi douée qui plus est. Je crois donc que plutôt que de partir avec tous ces beaufs, tu devrais nous aider, te battre à nos côtés, même si dit comme ça, ça sonne un peu pompeux.

Elle le regarde un peu perdue. Un peu soule. La fatigue, les évènements. Cette lutte incessante contre elle-même et l’envie de se laisser aller à ce qui aurait pu être sa vie telle qu’elle l’avait construite jusqu’à un âge avancé, enfin adulte : profiter. Aujourd’hui comme elle aimerait tout laisser tomber et croire encore, croire que tout va bien comme tous ces anciens amis qu’elle a laissés sur le bord du chemin. Croire aux apparence que laisse exhiber la belle Paris en ses quartiers les plus côtoyés et encore convoités. Croire en la richesse, en la culture, en la mode. Oublier tout ce que l’on sait, parce qu’on l’a d’abord découvert sur Internet, puis qu’on a pu le constater par soi-même. Les entrailles se brûlent vivantes, la France est en train de se mourir de l’amertume de n’avoir jamais su lutter.

- alors qu’en dis-tu ? son regard brille toujours autant. Mais sans doute est-elle folle. Qu’en dit-elle ?
Elle en dit qu’elle laisserait bien tout tomber tout de suite pour suivre ce mec, oublier tout et tout le monde. Ceux qui savent. Ceux qui ne savent pas. Ceux qui croient. Ceux qui ne veulent pas croire. Parce que jamais ils ne veulent voir. Elle le suivrait dans cette Résistance nouvelle version. Enfin nouvelle vraie version. Pas la version des « corrects » qui ont trempé cela à toutes les sauces.

- j’en dis que je ne sais pas. J’en dis que bien sûr, je pense que, enfin comment dire, avec vous, je serais plus sûre de mes alliés qu’avec ces beaufs comme tu les appelles.
Ça y est, le tu vient. Doucement il a fini pas s’imposer, et il est lisse à l’oreille et à la bouche.
- J’en dis que vous avez raison. Mais tu es jeune, sans attaches sans doute…
Il l’interrompt brusquement.
- Tu n’en sais rien.
Elle reste un instant surprise, embarrassée presque…
- tu as raison, je n’en sais rien, et là n’est pas la question à vrai dire. La question est que je n’ai plus envie de me battre contre une évidence. Je n’ai plus envie de me battre contre un destin, et surtout, surtout, je n’ai plus envie de sauver un pays qui nous a trop, qui m’a trop trahie.

Il sourit. Commence à tripoter son paquet de cigarettes. En prend une.
Bravant tout ce qu’elle est, elle lui en demande une. Il la regarde étonnée. Doucement, il entrouvre à nouveau le paquet puis le lui tend. Elle soutient son regard et se sert, attend, les yeux fixés dans les siens qu’il lui allume sa cigarette. Ce qu’il fait enfin.

La conversation peut reprendre.

- je te comprends, lâche-t-il enfin.
- J’espère, répond-elle d’une voix tremblante.
- Mais tu as tort.

Soudain, elle n’a plus qu’un désir : qu’il l’emmène d’ici, vers quelque hôtel plus ou moins glauque. Qu’il lui permette de penser à autre chose enfin, tout sauf la lutte. La lutte épouvantable, éprouvante et tellement injuste. Chaque matin elle est au bord des larmes, la fatigue l’étrangle. Son mari, qui feint d’ignorer ce qui se passe, dont elle ne sait même pas s’il la suit, même si elle en est sûre au fond. Les enfants sont à peu près sortis de l’auberge, ils partent aux Etats-Unis dans moins d’un mois. Qui sait si elle les reverra…
Alors pourquoi ne pas faire ça maintenant. S’il en a envie comme elle croit le percevoir. Ça lui laissera au moins un souvenir. Elle sait bien que sa vie sexuelle va se disperser jusqu’à disparaître bientôt. Elle sait bien que rien n’est éternel. Le corps, le visage, les idées.

Elle lui sourit. Et répond avec sarcasme.
- ah bon ? j’ai tort. Comment peux-tu savoir si j’ai tort.
- Je le sais, c’est tout.
- Vraiment ? c’est formidable ça…
- Sans doute, mais c’est comme ça.
- Vas-y…
- Quoi vas-y ? ses yeux s’éclairent.
- Explique-moi en quoi c’est comme ça, en quoi j’ai tort. Elle jubile soudain.
- Je vais le faire. Il commence à pianoter sur la table, se retourne à la recherche d’un serveur. En voit un, le hèle.
- Que veux-tu boire ?

Elle hésite.
- euh, une vodka.

Il sourit tout en prenant un air surpris.
- une vodka ? eh bien va pour deux vodkas.

Le serveur est reparti. Il s’avance vers elle, les mains posées sur la table, vient à sa rencontre.

- tu as tort, parce qu’on n’a jamais raison de renoncer.
- Tu me traites de lâche ?
- Non pas du tout, je peux comprendre, enfin imaginer ce qui t’a fait prendre ce chemin plutôt qu’un autre. Et bien évidemment que je comprends cela, mais… mais comment dire. On a besoin de vous, de tout le monde, et tu verras on gagnera.
Elle éclaterait de rire si elle n’était si triste, depuis tant d’années maintenant.

- comment veux-tu qu’on gagne ? et gagner pour quoi. Ce pays est non seulement perdu, mais en plus, on devrait lui cracher à la figure de nous avoir tellement trahis. Quand tes grand-parents, puisque j’imagine que tes parents sont nés en France, sont-ils arrivés ?
- hum… ma grand-mère est née en France, et mon grand-père est arrivé un peu avant la guerre.
- Ils venaient d’où ?
- Pologne et Roumanie.

Elle baisse les yeux. Les vodkas arrivent. Elle demande au serveur s’il est possible d’acheter des cigarettes.

- mais j’en ai. Intervient Yohan, ce n’est pas la peine d’en acheter.
- Ça me gêne.
- Je t’en prie, ne sois pas gênée, c’est avec plaisir, j’en ai plusieurs paquets. Le serveur attend, c’est bon lui lance-t-il. Pas de cigarettes. Juste deux vodkas.

- Pologne et Roumanie donc, comme mes grand parents. C’est drôle. Enfin du côté de ma mère.

Il sourit et lui propose une cigarette qu’elle n’a d’autre choix que d’accepter. Alors elle accepte, sourit légèrement et attend une nouvelle fois qu’il lui tende la flamme de son briquet.
- et tu sais pourquoi ils sont venus en France, n’est-ce pas ?
- bien sûr que je le sais. Et je sais aussi où tu veux en venir… mais ça ne change rien. Ca ne changera rien à mon engagement.
- Mais je ne veux rien changer à ton engagement, je le trouve magnifique. Un peu utopiste mais beau. Mais moi je ne peux pas.
- Mais tu imagines, enfin je ne dis pas ça pour toi, mais tu imagines si tout le monde pensait comme toi…
- Oui, mais de toute façon tout le monde ne pense pas comme moi. Certains sont prêts à se battre, et ne croie par que j’aie envie qu’ils se battent pour moi. J’ai juste envie de m’en foutre. De tirer un trait. Un trait sur ce pays qui ne nous a jamais aimés, nous a livrés et s’apprête à le refaire.
- Mais Martha…
- Non. Tu sais, ne t’imagine pas que les pogroms se passaient au Moyen Age.
- Mais je ne l’imagine pas du tout.
- Oui, mais ce que je veux te dire, c’est que c’était une chose beaucoup plus banale que ce que l’on peut croire. Mon grand-père racontait à ma mère comment cela se passait. Les gens s’entendaient bien. Il leur arrivait de plaisanter. De se côtoyer, même si on ne peut sans doute pas dire qu’ils vivaient ensemble. Car bien sûr à cette époque pour, toujours les mêmes raisons, le communautarisme était la règle, j’emploie ce terme à dessein car j’exècre cette notion inventée par les antisémites. Enfin, voilà, ils communiquaient, et de temps en temps, les Cosaques picolaient un coup, et ils descendaient dans les villages et butaient tout le monde.
- Je sais tout cela.
- Oui, je me doute que tu sais tout cela. Mais je crois, elle s’arrêta, la vodka commençait à faire effet, je crois que quelque part tu es trop jeune pour vraiment sentir que ce n’était pas le Moyen Age, et que tes grands-parents comme les miens sont venus ici, parce qu’ils croyaient qu’ici on les protègerait…
- Enfin je sais tout cela. Répondit-il durement.
- Oui, tu le sais, mais on dirait que ça ne te suffit pas. D’ailleurs c’est pareil pour tous les intellectuels français. Je n’ai jamais compris pourquoi ils restaient, eux étaient encore mieux informés que nous. Enfin bien sûr, ils écrivent en Français, mais… elle s’arrêta.
- Ça ne va pas ? il avait l’air vraiment inquiet.
- Si ça va, enfin je suis fatiguée. Tu sais ce n’est plus de mon âge tout cela.
- Oh arrête. J’ai bien remarqué que tu veux tout le temps te faire passer pour une vieille.
- Peut-être parce que je suis vieille.

Elle le regarda encore. Pourrait-elle vraiment se laisser toucher par un aussi jeune homme, une flamme juvénile éclairait son regard. Il lui semblait qu’il pourrait presque être son fils. De toute façon, dès qu’on devient mère, on perçoit facilement les jeunes hommes comme des fils potentiels.
En même temps, la transgression lui apparaissait ce soir comme tellement excitante. Elle tenta de se concentrer et reprit, avant qu’il ne se décide par sa faconde à lui interdire toute capacité de s’expliquer.
- peut-être qu’en tant que vieille, je peux avoir le privilège de, enfin le bénéfice du doute.
- Tu plaisantes j’espère ?
Décidément, il pouvait être violent.
- comment ça ?
- eh bien tu n’as aucun bénéfice du doute, justement parce que tu es jeune, intelligente, brillante à n’en pas douter, et même séduisante, ce qui n’a rien à voir, mais ce qui fait, que je te répondrai comme à n’importe quel autre interlocuteur…
- oui, mais pourtant tu dois avoir confiance dans mon expérience. Au moins l’écouter…
- ça d’accord, je t’écoute. Je t’écoute jusqu’au bout de la nuit s’il le faut, mais je te dirai ensuite ce que j’aurai à te dire.

M.G

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