vendredi, août 31, 2007

Pour un monde meilleur (33)

- Vieillir, tu vois c’est comme être happé par l’irrémédiable. On a un peu le sentiment que la mort pèse de plus en plus et que le temps s’accélère, comme si son échelle, ou non plutôt notre façon de le percevoir, notre échelle en somme était exponentielle. Ce n’est pas le temps qui passe plus vite, c’est les possibilités qui s’amenuisent. Je dis n’importe quoi sans doute…
- Non pas du tout, je crois que je comprends… j’en suis un peu là aussi tu sais.
- Non, je suis sûre que non.
- Pourquoi ?
- Je n’ai pas la prétention de te connaître, mais j’ai le sentiment que tu en es encore à ce moment où tu penses avoir du temps. Au fond c’est un peu comme une montagne. On monte, on monte et ensuite on redescend. Moi j’ai commencé à redescendre, alors que toi tu continues de monter… enfin l’image est un peu nulle…
- Non elle n’est pas nulle. Elle a le mérite d’être claire et surtout, enfin, comment dire, elle te ressemble. C’est simple, c’est carré, et en même temps ça peut être plein d’autres choses en même temps… ça peut être bucolique ou romantique…
- Ou alcoolique… l’interrompt Martha.
Il la regarde intrigué.
- je plaisante explique-t-elle. C’est pas drôle, en fait, c’est juste que j’ai envie d’un autre verre.
- Très bien très chère, répond-il en lui lançant un regard qui la transperce au point qu’elle ne peut plus s’en détacher, commençant même sans s’en rendre compte à l’étudier pour voir s’il est vrai, s’il n’est pas au fond destiné à tout le monde et à personne, ce regard qui l’a conduite à penser qu’il la veut sans doute de manière pas très innocente. Yohan appelle un serveur et sort un autre paquet de cigarettes.
- Enfin sincèrement, je me sens aussi un peu sur le retour, pour dire ça élégamment, et encore… sauf que moi je n’ai rien construit.
- Tu as tes livres.
- Mes livres ne sont rien. En plus ils sont nuls. Il tapote avec son briquet sur le nouveau paquet de cigarettes. Tu les as lus ?
- Euh, j’en ai commencé un, mais à vrai dire, j’ai eu un peu de mal, je pense que c’était le plus abrupt.
- Ah ? lequel ?
- Le premier je crois.

Martha ment. Elle connaît presque par cœur la bibliographie de celui qui lui fait face à défaut de sa biographique qui semble assez confidentielle… elle sait quel livre elle a commencé, parce que si elle ne l’a pas lu, elle s’est en revanche longuement renseignée sur l’homme, non par curiosité malsaine, juste par intérêt, pour se rapprocher de lui, dans ces moments où elle pensait à lui et n’avait que ce biais à la prodigalité est malheureusement époustouflante : Internet, pour le rejoindre. Elle s’était donc plongée dans le premier opuscule publié par cet homme incroyablement présent ce soir, alors qu’il lui avait semblé plusieurs fois qu’au fond il n’existait pas, qu’elle l’avait inventé.
Martha n’avait jamais auparavant rencontré de personnage public. Yohan n’était pas très connu, mais il avait un public, et quelques années auparavant, elle se souvient de l’avoir vu à plusieurs reprises dans des émissions dites littéraires ou culturelles à la télévision. Cet homme donc, qu’elle avait vu sur le petit écran, avant de le croiser dans la vie réelle, était là à lui révéler ses failles, cela l’étonnait. Elle était naïve…

- Ah oui. « Vie réelle». tu parles d’un titre, c’est l’éditeur qui avait insisté. Enfin, celui-ci est pas mal. J’étais plus libre. Je n’avais rien publié, j’étais mon seul maître sur celui-là… ensuite ça s’est gâté.
- Ah bon ?
- Oui, enfin, soyons honnête, c’est moi qui me suis mis la pression tout seul. Ça avait bien marché pour moi au premier… j’ai fait tous les plateaux télé possible et imaginables, j’ai rencontré des gens, que je méprisais d’ailleurs, mais je me suis malgré tout laissé griser. Je n’en ai pas vendu beaucoup, mais je n’avais pas besoin d’argent. Je donnais mes cours, et mon père venait de mourir, j’avais hérité… enfin,…
Il se tait et lui sourit.
Cet homme n’est pas là par hasard, elle le sent, ou veut s’en convaincre, mais non… non, il y a une chose, comme s’il avait été placé là pour quelque raison. Elle répond timidement à ce sourire, pense soudain qu’elle n’a plus l’âge de ce signe qu’elle lui tend, se sent un peu honteuse, comme ces femmes qui refusent de vieillir. Alors, se reprenant peut-être elle ouvre la bouche, pour l’inviter à continuer, sentant qu’il en a besoin. Elle en a besoin.
- quoi ? demande-t-elle tout bas.
- Rien, je crois qu’ensuite j’ai voulu recréer cela. Mon but n’était plus d’écrire mais de publier, de répondre à leurs questions car j’avais des choses à leur dire, ça j’en étais sûr, je le suis encore d’ailleurs… et puis, j’avais toujours détesté les gens, et là, je les fréquentais et les rapports étaient bizarrement plus simples… enfin, je me suis mis à écrire de la philosophie commerciale. J’étais comme mû par le besoin de me mélanger à tous ces autres, cela se produisait en même temps que le pays commençait à sombrer et que je le savais… mais, tu vois, moi aussi à cette époque, je me sentais vieillir, et je ne voulais pas que les choses m’échappent.

Il ouvre son paquet de cigarettes et lui en tend une qu’elle accepte, légèrement émue, perdue ce soir plus encore, et ensuite, elle attend, tout à fait consciente qu’une chose à laquelle elle ne croit pas, est en train de se nouer entre eux.

M.G

vendredi, août 03, 2007

Pour un monde meilleur ? (32)

Dans certains romans, et même dans certains films l’arme scintille dans le noir. Ici, elle pèse simplement. Semble n’exister que par ce poids qui n’est pas vraiment un fardeau, plutôt comme un aimant que tout semble destiner à rejoindre. Posséder contre soi un point central vers lequel l’humanité converge. L’arme est Le Trou Noir.
Il avance et sent sa présence de plus en plus incontournable, l’œuvre est dans sa poche, elle se colle à lui, entaille ses cuisses de toute son évidence, de cette lourdeur du moment, du point d’achoppement.
Cela fait plusieurs soirs maintenant qu’il s’amuse ainsi à marcher dans Paris avec le gun dans la poche. Il se fait peur, il se teste et surtout il tente d’exister.
Deux choix pour vivre : aimer ou se préparer à tuer.

Il marche donc dans les quartiers de sa jeunesse avec un objet que rien ne le prédestinait à porter, à sentir contre lui, comme élément de jouissance autant que le fait de sentir cette vieille vigueur l’investir à nouveau…

***

Tout s’emballe dans l’esprit de Martha. Elle cherche, elle cherche une issue. Il lui faut une solution. Soudain cela devient très clair, les choses ont un sens. Les cellules vont servir au combat et non pas à la fuite. Peu importe ce qu’en diront les autres. De toute façon on n’a jamais le droit d’abandonner ainsi. Avec un instrument tel que celui-ci, ils auront leurs chances.
Le métal est de composition tout à fait ordinaire, mais grâce à la courbure très particulière qu’ils ont su lui donner, la cellule peut éviter l’impact de la plupart des balles. Elle peut aussi se fondre dans la nature et passer presque inaperçue.
La cellule est évidemment la solution. Elle va appeler Yohan et lui en parler. Ce sera si simple. Ainsi, ils seront ensemble, ils oeuvreront ensemble à la survie de l’humanité. De leur humanité.

***

Myriam regarde le ciel. De la fenêtre étroite qui éclaire son séjour elle contemple l’infini depuis un long moment.
Oublie de respirer en souhaitant simplement que le ciel l’entraîne à lui, qu’il l’aspire et la dissolve un peu partout, elle pénètrerait la vie des gens sans plus jamais peser, n’être que particule, légère, inodore et indolore…

***

L’heure avance et les minutes ne sont pas douces… chacun de nos protagonistes sent monter en lui l’urgence.
Chacun a sa mesure.
Son étalon de malheur ou d’angoisse.

Yohan s’apprête à ôter la vie, et il craint d’aimer cela.
Myriam s’attend à ne pas avoir ses règles, et elle espère du plus profond de ses entrailles qu’il en sera ainsi.
Martha se prépare à plonger dans la félicité pour quelques heures de jeunesse retrouvée auxquelles succéderont des heures plus longues encore de remords…
Elle n’a jamais cru en dieu mais s’interroge sur la consistance du péché. Il y aurait comme une incidence sur la progéniture, partager le lieu duquel est né la vie, l’offrir à un autre…

M.G