- Vieillir, tu vois c’est comme être happé par l’irrémédiable. On a un peu le sentiment que la mort pèse de plus en plus et que le temps s’accélère, comme si son échelle, ou non plutôt notre façon de le percevoir, notre échelle en somme était exponentielle. Ce n’est pas le temps qui passe plus vite, c’est les possibilités qui s’amenuisent. Je dis n’importe quoi sans doute…
- Non pas du tout, je crois que je comprends… j’en suis un peu là aussi tu sais.
- Non, je suis sûre que non.
- Pourquoi ?
- Je n’ai pas la prétention de te connaître, mais j’ai le sentiment que tu en es encore à ce moment où tu penses avoir du temps. Au fond c’est un peu comme une montagne. On monte, on monte et ensuite on redescend. Moi j’ai commencé à redescendre, alors que toi tu continues de monter… enfin l’image est un peu nulle…
- Non elle n’est pas nulle. Elle a le mérite d’être claire et surtout, enfin, comment dire, elle te ressemble. C’est simple, c’est carré, et en même temps ça peut être plein d’autres choses en même temps… ça peut être bucolique ou romantique…
- Ou alcoolique… l’interrompt Martha.
Il la regarde intrigué.
- je plaisante explique-t-elle. C’est pas drôle, en fait, c’est juste que j’ai envie d’un autre verre.
- Très bien très chère, répond-il en lui lançant un regard qui la transperce au point qu’elle ne peut plus s’en détacher, commençant même sans s’en rendre compte à l’étudier pour voir s’il est vrai, s’il n’est pas au fond destiné à tout le monde et à personne, ce regard qui l’a conduite à penser qu’il la veut sans doute de manière pas très innocente. Yohan appelle un serveur et sort un autre paquet de cigarettes.
- Enfin sincèrement, je me sens aussi un peu sur le retour, pour dire ça élégamment, et encore… sauf que moi je n’ai rien construit.
- Tu as tes livres.
- Mes livres ne sont rien. En plus ils sont nuls. Il tapote avec son briquet sur le nouveau paquet de cigarettes. Tu les as lus ?
- Euh, j’en ai commencé un, mais à vrai dire, j’ai eu un peu de mal, je pense que c’était le plus abrupt.
- Ah ? lequel ?
- Le premier je crois.
Martha ment. Elle connaît presque par cœur la bibliographie de celui qui lui fait face à défaut de sa biographique qui semble assez confidentielle… elle sait quel livre elle a commencé, parce que si elle ne l’a pas lu, elle s’est en revanche longuement renseignée sur l’homme, non par curiosité malsaine, juste par intérêt, pour se rapprocher de lui, dans ces moments où elle pensait à lui et n’avait que ce biais à la prodigalité est malheureusement époustouflante : Internet, pour le rejoindre. Elle s’était donc plongée dans le premier opuscule publié par cet homme incroyablement présent ce soir, alors qu’il lui avait semblé plusieurs fois qu’au fond il n’existait pas, qu’elle l’avait inventé.
Martha n’avait jamais auparavant rencontré de personnage public. Yohan n’était pas très connu, mais il avait un public, et quelques années auparavant, elle se souvient de l’avoir vu à plusieurs reprises dans des émissions dites littéraires ou culturelles à la télévision. Cet homme donc, qu’elle avait vu sur le petit écran, avant de le croiser dans la vie réelle, était là à lui révéler ses failles, cela l’étonnait. Elle était naïve…
- Ah oui. « Vie réelle». tu parles d’un titre, c’est l’éditeur qui avait insisté. Enfin, celui-ci est pas mal. J’étais plus libre. Je n’avais rien publié, j’étais mon seul maître sur celui-là… ensuite ça s’est gâté.
- Ah bon ?
- Oui, enfin, soyons honnête, c’est moi qui me suis mis la pression tout seul. Ça avait bien marché pour moi au premier… j’ai fait tous les plateaux télé possible et imaginables, j’ai rencontré des gens, que je méprisais d’ailleurs, mais je me suis malgré tout laissé griser. Je n’en ai pas vendu beaucoup, mais je n’avais pas besoin d’argent. Je donnais mes cours, et mon père venait de mourir, j’avais hérité… enfin,…
Il se tait et lui sourit.
Cet homme n’est pas là par hasard, elle le sent, ou veut s’en convaincre, mais non… non, il y a une chose, comme s’il avait été placé là pour quelque raison. Elle répond timidement à ce sourire, pense soudain qu’elle n’a plus l’âge de ce signe qu’elle lui tend, se sent un peu honteuse, comme ces femmes qui refusent de vieillir. Alors, se reprenant peut-être elle ouvre la bouche, pour l’inviter à continuer, sentant qu’il en a besoin. Elle en a besoin.
- quoi ? demande-t-elle tout bas.
- Rien, je crois qu’ensuite j’ai voulu recréer cela. Mon but n’était plus d’écrire mais de publier, de répondre à leurs questions car j’avais des choses à leur dire, ça j’en étais sûr, je le suis encore d’ailleurs… et puis, j’avais toujours détesté les gens, et là, je les fréquentais et les rapports étaient bizarrement plus simples… enfin, je me suis mis à écrire de la philosophie commerciale. J’étais comme mû par le besoin de me mélanger à tous ces autres, cela se produisait en même temps que le pays commençait à sombrer et que je le savais… mais, tu vois, moi aussi à cette époque, je me sentais vieillir, et je ne voulais pas que les choses m’échappent.
Il ouvre son paquet de cigarettes et lui en tend une qu’elle accepte, légèrement émue, perdue ce soir plus encore, et ensuite, elle attend, tout à fait consciente qu’une chose à laquelle elle ne croit pas, est en train de se nouer entre eux.
M.G
vendredi, août 31, 2007
vendredi, août 03, 2007
Pour un monde meilleur ? (32)
Dans certains romans, et même dans certains films l’arme scintille dans le noir. Ici, elle pèse simplement. Semble n’exister que par ce poids qui n’est pas vraiment un fardeau, plutôt comme un aimant que tout semble destiner à rejoindre. Posséder contre soi un point central vers lequel l’humanité converge. L’arme est Le Trou Noir.
Il avance et sent sa présence de plus en plus incontournable, l’œuvre est dans sa poche, elle se colle à lui, entaille ses cuisses de toute son évidence, de cette lourdeur du moment, du point d’achoppement.
Cela fait plusieurs soirs maintenant qu’il s’amuse ainsi à marcher dans Paris avec le gun dans la poche. Il se fait peur, il se teste et surtout il tente d’exister.
Deux choix pour vivre : aimer ou se préparer à tuer.
Il marche donc dans les quartiers de sa jeunesse avec un objet que rien ne le prédestinait à porter, à sentir contre lui, comme élément de jouissance autant que le fait de sentir cette vieille vigueur l’investir à nouveau…
***
Tout s’emballe dans l’esprit de Martha. Elle cherche, elle cherche une issue. Il lui faut une solution. Soudain cela devient très clair, les choses ont un sens. Les cellules vont servir au combat et non pas à la fuite. Peu importe ce qu’en diront les autres. De toute façon on n’a jamais le droit d’abandonner ainsi. Avec un instrument tel que celui-ci, ils auront leurs chances.
Le métal est de composition tout à fait ordinaire, mais grâce à la courbure très particulière qu’ils ont su lui donner, la cellule peut éviter l’impact de la plupart des balles. Elle peut aussi se fondre dans la nature et passer presque inaperçue.
La cellule est évidemment la solution. Elle va appeler Yohan et lui en parler. Ce sera si simple. Ainsi, ils seront ensemble, ils oeuvreront ensemble à la survie de l’humanité. De leur humanité.
***
Myriam regarde le ciel. De la fenêtre étroite qui éclaire son séjour elle contemple l’infini depuis un long moment.
Oublie de respirer en souhaitant simplement que le ciel l’entraîne à lui, qu’il l’aspire et la dissolve un peu partout, elle pénètrerait la vie des gens sans plus jamais peser, n’être que particule, légère, inodore et indolore…
***
L’heure avance et les minutes ne sont pas douces… chacun de nos protagonistes sent monter en lui l’urgence.
Chacun a sa mesure.
Son étalon de malheur ou d’angoisse.
Yohan s’apprête à ôter la vie, et il craint d’aimer cela.
Myriam s’attend à ne pas avoir ses règles, et elle espère du plus profond de ses entrailles qu’il en sera ainsi.
Martha se prépare à plonger dans la félicité pour quelques heures de jeunesse retrouvée auxquelles succéderont des heures plus longues encore de remords…
Elle n’a jamais cru en dieu mais s’interroge sur la consistance du péché. Il y aurait comme une incidence sur la progéniture, partager le lieu duquel est né la vie, l’offrir à un autre…
M.G
Il avance et sent sa présence de plus en plus incontournable, l’œuvre est dans sa poche, elle se colle à lui, entaille ses cuisses de toute son évidence, de cette lourdeur du moment, du point d’achoppement.
Cela fait plusieurs soirs maintenant qu’il s’amuse ainsi à marcher dans Paris avec le gun dans la poche. Il se fait peur, il se teste et surtout il tente d’exister.
Deux choix pour vivre : aimer ou se préparer à tuer.
Il marche donc dans les quartiers de sa jeunesse avec un objet que rien ne le prédestinait à porter, à sentir contre lui, comme élément de jouissance autant que le fait de sentir cette vieille vigueur l’investir à nouveau…
***
Tout s’emballe dans l’esprit de Martha. Elle cherche, elle cherche une issue. Il lui faut une solution. Soudain cela devient très clair, les choses ont un sens. Les cellules vont servir au combat et non pas à la fuite. Peu importe ce qu’en diront les autres. De toute façon on n’a jamais le droit d’abandonner ainsi. Avec un instrument tel que celui-ci, ils auront leurs chances.
Le métal est de composition tout à fait ordinaire, mais grâce à la courbure très particulière qu’ils ont su lui donner, la cellule peut éviter l’impact de la plupart des balles. Elle peut aussi se fondre dans la nature et passer presque inaperçue.
La cellule est évidemment la solution. Elle va appeler Yohan et lui en parler. Ce sera si simple. Ainsi, ils seront ensemble, ils oeuvreront ensemble à la survie de l’humanité. De leur humanité.
***
Myriam regarde le ciel. De la fenêtre étroite qui éclaire son séjour elle contemple l’infini depuis un long moment.
Oublie de respirer en souhaitant simplement que le ciel l’entraîne à lui, qu’il l’aspire et la dissolve un peu partout, elle pénètrerait la vie des gens sans plus jamais peser, n’être que particule, légère, inodore et indolore…
***
L’heure avance et les minutes ne sont pas douces… chacun de nos protagonistes sent monter en lui l’urgence.
Chacun a sa mesure.
Son étalon de malheur ou d’angoisse.
Yohan s’apprête à ôter la vie, et il craint d’aimer cela.
Myriam s’attend à ne pas avoir ses règles, et elle espère du plus profond de ses entrailles qu’il en sera ainsi.
Martha se prépare à plonger dans la félicité pour quelques heures de jeunesse retrouvée auxquelles succéderont des heures plus longues encore de remords…
Elle n’a jamais cru en dieu mais s’interroge sur la consistance du péché. Il y aurait comme une incidence sur la progéniture, partager le lieu duquel est né la vie, l’offrir à un autre…
M.G
jeudi, juillet 05, 2007
Pour un monde meilleur (31)
Martha s’apprête elle aussi à commettre un acte significatif et irrémédiable. Les jours passent et elle est à la torture. Doit-elle ou non gâcher toutes ces années pour quelques simples moments de bonheur…, non pas de bonheur de flamboyance.
Et si elle les méritait à présent ces quelques moments de jeunesse retrouvée. Elle ne serait pas la première bien sûr. D’autres avant elle, nombreuses, ont commis cet acte de trahison. Penser à lui n’est-ce pas déjà trahir ?
Trahir…
Mais au fond n’appelle-t-on pas cela trahison lorsque l’on bafoue ce qui reste un idéal, or cela fait bien longtemps que cet idéal là est défroqué. Qu’elle a compris que ce dans quoi elle avait depuis l’enfance mis tant d’espoir n’était qu’un leurre, une approche de perfection illusoire, bien qu'éminemment indispensable par ailleurs.
Si l’Homme est une merde comme l’a toujours dit avec beaucoup de clairvoyance son père, pourquoi ne le serait-il pas aussi dans l’amour ? Alors il faut se contenter de cet équilibre précaire mais rassurant, souvent éponge contre le malheur. Un des malheurs.
L’esseulement…
Il ne mérite pas cela. Malgré tout non.
Mais Martha sait qu’elle va mourir. Peut-être pas tout de suite, mais de toute façon la fin est proche, peut-être mourra-t-elle seulement de lassitude d’ailleurs. Et elle aimerait avant ce dénouement qui au fond ne l’inquiète même pas se sentir exister encore un peu. Quelques gouttes de sueur sur sa peau, un œil humide et rieur qui lui parle et l’appelle à lui. Elle le voit, le devine, celui qui ne l’a pas appelée depuis un mois maintenant, il lui fait signe de s’approcher en lui offrant un sourire rare… Il flotte dans l’air comme une odeur de débauche naïve, délicate, et aigre bien sûr, de ces plaisirs que l’on désire parce qu’un sentiment, comme une attache nous les réclame.
Ce jeune homme a pris place en elle. Il s’y tient au chaud et attend son heure.
Elle seule peut décider d’aboutir ou non à cet instant fatidique…
Tic toc, tic toc…
M.G
Et si elle les méritait à présent ces quelques moments de jeunesse retrouvée. Elle ne serait pas la première bien sûr. D’autres avant elle, nombreuses, ont commis cet acte de trahison. Penser à lui n’est-ce pas déjà trahir ?
Trahir…
Mais au fond n’appelle-t-on pas cela trahison lorsque l’on bafoue ce qui reste un idéal, or cela fait bien longtemps que cet idéal là est défroqué. Qu’elle a compris que ce dans quoi elle avait depuis l’enfance mis tant d’espoir n’était qu’un leurre, une approche de perfection illusoire, bien qu'éminemment indispensable par ailleurs.
Si l’Homme est une merde comme l’a toujours dit avec beaucoup de clairvoyance son père, pourquoi ne le serait-il pas aussi dans l’amour ? Alors il faut se contenter de cet équilibre précaire mais rassurant, souvent éponge contre le malheur. Un des malheurs.
L’esseulement…
Il ne mérite pas cela. Malgré tout non.
Mais Martha sait qu’elle va mourir. Peut-être pas tout de suite, mais de toute façon la fin est proche, peut-être mourra-t-elle seulement de lassitude d’ailleurs. Et elle aimerait avant ce dénouement qui au fond ne l’inquiète même pas se sentir exister encore un peu. Quelques gouttes de sueur sur sa peau, un œil humide et rieur qui lui parle et l’appelle à lui. Elle le voit, le devine, celui qui ne l’a pas appelée depuis un mois maintenant, il lui fait signe de s’approcher en lui offrant un sourire rare… Il flotte dans l’air comme une odeur de débauche naïve, délicate, et aigre bien sûr, de ces plaisirs que l’on désire parce qu’un sentiment, comme une attache nous les réclame.
Ce jeune homme a pris place en elle. Il s’y tient au chaud et attend son heure.
Elle seule peut décider d’aboutir ou non à cet instant fatidique…
Tic toc, tic toc…
M.G
mardi, juillet 03, 2007
Pour un monde meilleur ? (30)
Chaque matin c’est à présent le même rituel. Elle reste au lit et se contient en elle-même le plus longtemps possible. Patiente inlassablement en tentant de savoir si aujourd’hui encore ce sera bon…cherche à sentir, à percevoir entre le visible et l’invisible, le sensible et le désiré…
L’aube est terne, comme elle l’est toujours enfin depuis quelques temps maintenant. Une faible lueur de peu d’espoir pénètre par le store.
Hier au café à côté de la boutique ils ont annoncé aux clients médusés qu’ils ne serviraient désormais plus d’alcool.
Les voisins de palier sont partis depuis une semaine sans laisser d’adresse, sans laisser de trace.
Les derniers magazines non « officiels » arrêtent les uns après les autres d’imprimer…
Un été sombre et gris semble vouloir s’imposer comme ultime et perpétuel destin.
Pourtant Myriam espère.
L’odeur du café commence à se répandre comme chaque jour, grâce à la minuterie qui se révèle être une belle invention. Elle s’en emplit d’illusions. Imagine des couleurs douces et joyeuses, tout en nuances de ce à quoi elle n’avait plus osé espérer depuis au moins dix ans… bientôt elle entendra crier dans cet appartement. Bientôt elle aura peut-être une raison de se lever le matin… bientôt…
Le réveille bip.
Bip bip bip bip bip bip bip bipbipbipbipbipbipbipbiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip.
Sans réfléchir elle se lève, ouvre le store et aperçoit un rayon au loin puis se dirige vers les toilettes, d’où elle revient avec un sourire béat accroché à son visage.
Elle se sert ensuite une énorme tasse de café dans laquelle elle jette deux gros sucres. Puis sort la confiture du frigo et en tartine généreusement deux grandes tranches de pain.
Elle sera grosse, et alors ?
Ils la vireront ?
Et alors.
Elle les emmerde.
Bientôt elle ira vivre à la campagne avec sa tante. Rien de précis encore, mais elle le sent, elle le sait. Bientôt ce seront les plus beaux moments de son existence.
M.G
L’aube est terne, comme elle l’est toujours enfin depuis quelques temps maintenant. Une faible lueur de peu d’espoir pénètre par le store.
Hier au café à côté de la boutique ils ont annoncé aux clients médusés qu’ils ne serviraient désormais plus d’alcool.
Les voisins de palier sont partis depuis une semaine sans laisser d’adresse, sans laisser de trace.
Les derniers magazines non « officiels » arrêtent les uns après les autres d’imprimer…
Un été sombre et gris semble vouloir s’imposer comme ultime et perpétuel destin.
Pourtant Myriam espère.
L’odeur du café commence à se répandre comme chaque jour, grâce à la minuterie qui se révèle être une belle invention. Elle s’en emplit d’illusions. Imagine des couleurs douces et joyeuses, tout en nuances de ce à quoi elle n’avait plus osé espérer depuis au moins dix ans… bientôt elle entendra crier dans cet appartement. Bientôt elle aura peut-être une raison de se lever le matin… bientôt…
Le réveille bip.
Bip bip bip bip bip bip bip bipbipbipbipbipbipbipbiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip.
Sans réfléchir elle se lève, ouvre le store et aperçoit un rayon au loin puis se dirige vers les toilettes, d’où elle revient avec un sourire béat accroché à son visage.
Elle se sert ensuite une énorme tasse de café dans laquelle elle jette deux gros sucres. Puis sort la confiture du frigo et en tartine généreusement deux grandes tranches de pain.
Elle sera grosse, et alors ?
Ils la vireront ?
Et alors.
Elle les emmerde.
Bientôt elle ira vivre à la campagne avec sa tante. Rien de précis encore, mais elle le sent, elle le sait. Bientôt ce seront les plus beaux moments de son existence.
M.G
mercredi, juin 20, 2007
lundi, juin 18, 2007
Pour un monde meilleur ? (28)

Yohan était malheureusement pour elle dévoué à des tâches autrement plus pragmatiques et précises. Sans doute une des raisons pour lesquelles il ne l’avait pas recontactée était qu’en plus de son emploi du temps très serré et de la nécessité de discrétion entourant l’acte qu’il préparait, il ne voulait pas l’impliquer malgré elle à ce qui représentait quoiqu’on en dise, il en avait plus que conscience un meurtre.
Il pense à sa mère.
Chaque jour, chaque instant il pense à elle. C’est interdit pourtant. Mais s’il ne pense pas à elle, il sait que l’autre femme viendra le distraire, et cela est impossible. Alors il pense à sa mère et tente de se convaincre qu’elle approuverait d’une certaine manière.
Cela fait des années maintenant qu’il a compris qu’ôter la vie était malheureusement parfois une nécessité, une obligation même. Mais au moment de le faire, il semble qu’une choses épouvantable fasse son apparition.
Soudain, cette chose qui grossit dans son ventre, ce malaise chaque jour plus important, envie de gerber continuellement, à n’en plus pouvoir boire et fumer, cette chose qui semble vouloir se nommer conscience tente de le détourner de ce qui pourtant s’impose de plus en plus à lui comme un impératif incontournable.
Il faut détruire le mal à sa source sans plus jamais chercher à l’expliquer, à lui trouver des raisons, il faut l’éliminer. L’éliminer cela signifie faire des dommages collatéraux, cela signifie ôter la vie à ceux qui veulent vous détruire, même si parfois on perd pied, on ne sait plus vraiment si on a raison ou tort, si un relativisme absolument rongeur s’empare de vous…
Je vais avoir trente cinq ans.
Je n’ai presque rien construit. Publié trois livres, donné des cours de ci de là… rencontré une femme, il y a dix ans…
Tous mes amis sont partis, enfin ceux à qui il restait un peu d’intelligence. Moi je suis resté, par une lâcheté imbécile déguisée en bravoure, en combat. J’ai décidé de croire en mon pays ou au moins de l’aimer. J’ai décidé de me donner une chance sans doute. Ou peut-être ne voulais-je simplement pas m’éloigner d’Elodie…
Sa mère lui a toujours raconté que son grand-père disait qu’Hiroshima avait permis d’éviter la mort de millions de personnes. Comment choisit-on ceux que l’on va éliminer afin de sauver les autres, ceux qui suivent… ?
Là n’est vraisemblablement pas la question. Quelque part ceux qu’il s’apprête à détruire méritent de mourir. Mais, enfin, n’a-t-il pas toujours été contre la peine de mort ?
Comment est-il possible qu’à présent il se prépare à tuer.
Pourquoi se sent-il soudain si seul ? Lui qui n’a jamais pensé à ce genre de choses auparavant… soudain la vie semble achopper…
Tuer et puis ensuite plus rien…
Il pense à sa mère.
Chaque jour, chaque instant il pense à elle. C’est interdit pourtant. Mais s’il ne pense pas à elle, il sait que l’autre femme viendra le distraire, et cela est impossible. Alors il pense à sa mère et tente de se convaincre qu’elle approuverait d’une certaine manière.
Cela fait des années maintenant qu’il a compris qu’ôter la vie était malheureusement parfois une nécessité, une obligation même. Mais au moment de le faire, il semble qu’une choses épouvantable fasse son apparition.
Soudain, cette chose qui grossit dans son ventre, ce malaise chaque jour plus important, envie de gerber continuellement, à n’en plus pouvoir boire et fumer, cette chose qui semble vouloir se nommer conscience tente de le détourner de ce qui pourtant s’impose de plus en plus à lui comme un impératif incontournable.
Il faut détruire le mal à sa source sans plus jamais chercher à l’expliquer, à lui trouver des raisons, il faut l’éliminer. L’éliminer cela signifie faire des dommages collatéraux, cela signifie ôter la vie à ceux qui veulent vous détruire, même si parfois on perd pied, on ne sait plus vraiment si on a raison ou tort, si un relativisme absolument rongeur s’empare de vous…
Je vais avoir trente cinq ans.
Je n’ai presque rien construit. Publié trois livres, donné des cours de ci de là… rencontré une femme, il y a dix ans…
Tous mes amis sont partis, enfin ceux à qui il restait un peu d’intelligence. Moi je suis resté, par une lâcheté imbécile déguisée en bravoure, en combat. J’ai décidé de croire en mon pays ou au moins de l’aimer. J’ai décidé de me donner une chance sans doute. Ou peut-être ne voulais-je simplement pas m’éloigner d’Elodie…
Sa mère lui a toujours raconté que son grand-père disait qu’Hiroshima avait permis d’éviter la mort de millions de personnes. Comment choisit-on ceux que l’on va éliminer afin de sauver les autres, ceux qui suivent… ?
Là n’est vraisemblablement pas la question. Quelque part ceux qu’il s’apprête à détruire méritent de mourir. Mais, enfin, n’a-t-il pas toujours été contre la peine de mort ?
Comment est-il possible qu’à présent il se prépare à tuer.
Pourquoi se sent-il soudain si seul ? Lui qui n’a jamais pensé à ce genre de choses auparavant… soudain la vie semble achopper…
Tuer et puis ensuite plus rien…
M.G
jeudi, juin 14, 2007
Pour un monde meilleur ? (27)

La Cellule signait la fin des illusions et de la mauvaise foi. Dans cet espace réduit à sa plus stricte nécessité résidait au fond toute la trivialité parfois magnifique de l’homme. La boite de conserve qui s’échappe pour dire merde à tous ceux qui vous ont pourri la vie, et ont ôté à l’art toute possibilité d’existence, puisqu’il ne peut plus avoir aucune utilité… Qui vous propose de partir, de regarder l’extérieur depuis un lieu nouveau, en profitant d’un temps incertain mais infini, tout en pensant à une consommation finalement tellement humaine…
Le moment où toute communauté de destin devient impossible, où tout groupement sédentaire semble voué à l’explosion car il n’y a plus de valeur digne d’être partagée… est le moment où il faut tirer sa révérence.
Plusieurs renoncements ou retraites sont évidemment possibles, plus ou moins mystiques ou spirituels… partir en restant connecté semblait être une bonne solution, la technologie n’avait pas tout gâché… enfin pas tout à fait.
La cellule devenait l’avenir de l’Homme, puisque seuls les derniers hommes avaient décidé de l’emprunter… il fallait s’échapper, échapper à toutes les hypocrisies et aux missions impossibles et enfin se résoudre à ne pas sauver une humanité indigne : sauver sa peau.
Elle avait soudain envie de dire tout cela à Yohan. Soudain, une transparente sérénité l’envahit, soudain les choses vont prendre place. Elle va partir, mais un autre avenir la concerne, c’est indéniable, soudain… Yohan est là, pas loin. Il la regarde, il lui sourit, comme il a su le faire auparavant. Elle marche dans les rues de la vieille capitale pourrie, et son ombre avance vers elle, pénètre en elle et la nourrit jusqu’à l’asphyxier. Peu importe le nom que l’on donnera à ces sentiments, peu importe si tout cela est vrai ou non. Il semble qu’elle y ait droit. Comme une sorte de récompense à la possibilité qu’elle donnera à certains, et qu’ils lui rendront en retour certes, de rêver encore, de rêver à autre chose qu’à l’évidence qu’aucune philosophie, qu’aucune intelligence plus jamais ne viendra contredire.
M.G
Le moment où toute communauté de destin devient impossible, où tout groupement sédentaire semble voué à l’explosion car il n’y a plus de valeur digne d’être partagée… est le moment où il faut tirer sa révérence.
Plusieurs renoncements ou retraites sont évidemment possibles, plus ou moins mystiques ou spirituels… partir en restant connecté semblait être une bonne solution, la technologie n’avait pas tout gâché… enfin pas tout à fait.
La cellule devenait l’avenir de l’Homme, puisque seuls les derniers hommes avaient décidé de l’emprunter… il fallait s’échapper, échapper à toutes les hypocrisies et aux missions impossibles et enfin se résoudre à ne pas sauver une humanité indigne : sauver sa peau.
Elle avait soudain envie de dire tout cela à Yohan. Soudain, une transparente sérénité l’envahit, soudain les choses vont prendre place. Elle va partir, mais un autre avenir la concerne, c’est indéniable, soudain… Yohan est là, pas loin. Il la regarde, il lui sourit, comme il a su le faire auparavant. Elle marche dans les rues de la vieille capitale pourrie, et son ombre avance vers elle, pénètre en elle et la nourrit jusqu’à l’asphyxier. Peu importe le nom que l’on donnera à ces sentiments, peu importe si tout cela est vrai ou non. Il semble qu’elle y ait droit. Comme une sorte de récompense à la possibilité qu’elle donnera à certains, et qu’ils lui rendront en retour certes, de rêver encore, de rêver à autre chose qu’à l’évidence qu’aucune philosophie, qu’aucune intelligence plus jamais ne viendra contredire.
M.G
lundi, juin 04, 2007
Pour un monde meilleur ? (26)
La volonté de produire des choses en vue d’un but bien précis relevait sans doute de la même vanité que celle qui consiste à se chercher un charme dans un miroir jour après jour, et de constater que ce charme disparaît, ou est remplacé par autre chose, jusqu’à ce qu’il n’en reste rien bien sûr. Rien que de quoi susciter de la pitié ou de l’agacement ou les deux, ce qui nous pousse parfois à penser que les vieux seraient mieux sous terre qu’à nous faire chier ici avec leurs problèmes alors que nous en avons tant nous-mêmes.
Pourquoi sommes-nous dévorés par notre ego, alors même que nous croyons en avoir si peu…Quelle est cette recherche de reconnaissance partout où l’on peut la dénicher, qui se fait de plus en plus tenace, de plus en plus envahissante ? bien sûr…
Nous ne voulons pas mourir, tout simplement, ou en tout cas pas trop vite, pas avant d’avoir « accompli » certaines choses, ce qui revient à dire que plus on avance en âge, plus on ressent le besoin d’exister, suivant des formes différentes.
Bien sûr qu’elle était fière de ce projet, et qu’elle aurait aimé le voir s’étaler sur des doubles pages de revues plus ou moins confidentielles, plus ou moins prétentieuse, assez en tout cas pour conférer à ce qui y est montré un caractère d’honorabilité non discutable. Elle qui n’avait jamais eu goût ni pour la compétition, ni pour la publicité réalisait finalement qu’un tourbillon parfaitement humain, et sans doute pour cela dégradant l’y avait conduite avec une facilité désolante. Plus elle était avancée dans les années, plus elle avait voulu tout cela, à défaut d’autre chose peut-être, mais il lui fallait avoir la satisfaction de montrer, d’exposer son travail, comme si ainsi réellement il prenait vie. Ce n’était pas à l’usage qu’il acquérrait son permis d’être, non c’était à l’image. Cet espère d’ombre inutile qu’il projetait sur le monde. Au moins l’impact en était-il parfaitement anodin, enfin sur le paysage, et sur les esprits aussi sans doute, soyons raisonnables. Le métier était devenu tellement stupide, tellement impraticable au pays de l’ « exception culturelle » qu’il fallait trouver une maigre compensation à ces heures perdues à se battre contre le rien de moulins à vents qui n’existaient que par leur pouvoir de nuisance.
Elle avait produit une chose remarquable cette fois. Elle en avait la certitude profonde. Ce petit objet. Ce petit véhicule roulant ou mouvant qui se fondrait bien vite dans un paysage en décomposition tandis que ses habitants se laisseraient aller à une vie nouvelle possédait une beauté quasi-indéfinissable.
Il consacrait la fin du monde.
M.G
Pourquoi sommes-nous dévorés par notre ego, alors même que nous croyons en avoir si peu…Quelle est cette recherche de reconnaissance partout où l’on peut la dénicher, qui se fait de plus en plus tenace, de plus en plus envahissante ? bien sûr…
Nous ne voulons pas mourir, tout simplement, ou en tout cas pas trop vite, pas avant d’avoir « accompli » certaines choses, ce qui revient à dire que plus on avance en âge, plus on ressent le besoin d’exister, suivant des formes différentes.
Bien sûr qu’elle était fière de ce projet, et qu’elle aurait aimé le voir s’étaler sur des doubles pages de revues plus ou moins confidentielles, plus ou moins prétentieuse, assez en tout cas pour conférer à ce qui y est montré un caractère d’honorabilité non discutable. Elle qui n’avait jamais eu goût ni pour la compétition, ni pour la publicité réalisait finalement qu’un tourbillon parfaitement humain, et sans doute pour cela dégradant l’y avait conduite avec une facilité désolante. Plus elle était avancée dans les années, plus elle avait voulu tout cela, à défaut d’autre chose peut-être, mais il lui fallait avoir la satisfaction de montrer, d’exposer son travail, comme si ainsi réellement il prenait vie. Ce n’était pas à l’usage qu’il acquérrait son permis d’être, non c’était à l’image. Cet espère d’ombre inutile qu’il projetait sur le monde. Au moins l’impact en était-il parfaitement anodin, enfin sur le paysage, et sur les esprits aussi sans doute, soyons raisonnables. Le métier était devenu tellement stupide, tellement impraticable au pays de l’ « exception culturelle » qu’il fallait trouver une maigre compensation à ces heures perdues à se battre contre le rien de moulins à vents qui n’existaient que par leur pouvoir de nuisance.
Elle avait produit une chose remarquable cette fois. Elle en avait la certitude profonde. Ce petit objet. Ce petit véhicule roulant ou mouvant qui se fondrait bien vite dans un paysage en décomposition tandis que ses habitants se laisseraient aller à une vie nouvelle possédait une beauté quasi-indéfinissable.
Il consacrait la fin du monde.
M.G
jeudi, mai 31, 2007
Pour un monde meilleur ? (25)
Nouvelle réunion où l’on voit réapparaître la jeune femme blonde. Martha n’est de toute façon pas concentrée. Sans qu’elle ne sache s’il s’agit d’une obsession réelle ou d’un sentiment qu’elle aime à entretenir, alors qu’elle n’a plus aucune nouvelle de lui depuis une dizaine de jours le jeune ange brun ne la quitte plus. Bien qu’il semblait vouloir l’intégrer à ses projets et qu’il aurait dû, qu’il aurait pu en tout cas la contacter au moins pour cela, c’est silence radio et silence écran. Pourtant patiemment, douloureusement elle le garde en elle, elle le sent. Il devient comme un enfant que l’on porte, quelque part en soi, envers lequel, parce que l’on ressent quelques douceurs pour lui, on s’invente des obligations, des devoirs de protection. Des inquiétudes.
Voir cette jeune fille trop belle et fade pour être vraie ne la secoue pas vraiment au premier abord. Peut-être devrait-elle… Mais non, elle se sentirait presque au contraire disposée à la laisser parler pendant des heures. D’ailleurs comme toujours il semble que la plupart des rares participants qui ont persévéré sont dans le même état, l’atmosphère est calme et détendue. Comme si tous n’attendaient que de l’entendre.
« Eva ? tu es donc revenue.
Heureusement que sa mémoire ne lui fait pas toujours défaut et que le prénom est réapparu, s'imprimant comme par magie sur ses lèvres.
L’autre sourit.
De toute évidence, elle est bien plus forte qu’elle. Bien plus forte qu’eux tous réunis.
- oui, je suis revenue. Enfin si on peut dire. je n’ai manqué que deux séances.
- Ah ? seulement. J’aurais dit plus. Et donc, tu es venue parce que tu as pris la décision de partir avec nous ?
Soudain elle imagine l’enfer que peut représenter une telle présence dans un périple sans fin comme celui qu’ils s’apprêtent à faire. Une multitude de déchaînements lubriques donnant raison à tous ceux qui voulaient nous faire rentrer dans le droit chemin ne serait que juste châtiment. Ils nous auraient fait fuir, partir sans autre but que de ne pas leur céder, alors forcément, les cadres évaporés, les obligations quotidiennes envolées pourraient laisser la place à un déferlement immaîtrisable de pulsions. Celles-ci et d’autres… qui sait ? Pire encore…
Dieu comme l’entreprise lui semble de plus en plus hasardeuse, de plus en plus insensée. Si les enfants sont sauvés, que ne devrait-elle pas se laisser aller à mourir pour une cause, s’offrir ainsi une fin digne.
Périr parce qu’on ne saura plus vivre…
Mais ses oreilles bourdonnent encore. Elle pense à son homme aussi… il n’aura plus qu’elle ensuite.
- je pense peut-être partir avec vous. Mais j’aimerais préciser certaines choses d’abord…
- je suis à toi ma chère.
Le ton de la jeune femme lui rappelle étrangement celui qu’avaient certains clients à l’époque où elle les côtoyait de près, cet espèce de certitude d’avoir des droits sur les autres, de les dominer parce qu’on les paie. Ce qui quoiqu’on en dise ou pense ramenait toujours l’argent à sa juste valeur, à sa place centrale, qui dépassait tous les talents ou toutes les aspirations. Le plus célèbre des architectes devenait soudain une sombre merde face à un client puissant et riche.
Ici c’était un peu pareil. Depuis le début la gênait l’idée de profiter aussi de ce projet qu’elle vendait aux gens comme une issue de secours, un espoir de survie, ou surtout d’une autre vie, mais qui était aussi pour elle un moyen de gagner de l’argent, en plus de s’assurer un départ avec quelques personnes non pas amies, mais au moins du même côté du monde à présent. Un côté que l’on choisit par défaut, après que l’autre nous a définitivement montré son vrai visage. Un côté qui ne ressemble pas vraiment à ce dont on a rêvé lorsque l’on croyait vivre sur la terre, et non pas dans l’enfer d’un autre monde dont les portes nous seraient évidemment interdites…
Elle n’a d’autre choix que d’écouter puis d’expliquer, laisser parler la trop belle jeune femme dont elle aimerait posséder encore un peu de la fraîcheur.
La blonde sourit, semble un peu gênée.
- en fait, je voudrais savoir… elle tortille ses lèvres… enfin j’aimerais, je, … vous pensez revenir ?
La stupeur combat l’énervement. Mais M. décide de rester calme, de reprendre le dessus, l’ascendant sur tous les médiocres qu’elle est obligée de côtoyer depuis toutes ses années. Cela fait un moment maintenant qu’elle a compris qu’elle n’avait pas le choix, un peu d’alcool, d’espièglerie, c’est la vie qu’elle a choisie. Les images se mélangent…
- euh, écoute, franchement, si on part ce n’est à priori pas pour revenir… on voudrait sans doute quitter les terres françaises ou simplement se cacher, le temps qu’il faudra. Si un jour les choses s’arrangent alors oui, certaines personnes reviendront sans doute. Je n’en sais rien… de toute façon, nous espérons rejoindre d’autres groupes, et ensemble, nous verrons vers quel destin ou quelle destination nous irons.
- Non, mais enfin, ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi nous n’agissons pas… moi je veux bien partir, mais je pense que si l’on part c’est pour agir d’ailleurs, en prenant moins de risques mais avec plus d’espoirs de réussite. Tu me suis ?
Elle me tutoie maintenant ? Décidément…
M. est soudain vraiment embarrassée, une seule idée, un seul nom lui vient à l’esprit Yohan. C’est décidé après la réunion elle l’appelle, et elle lui demandera. Il l’aidera lui c’est sûr. Elle repense soudain à un lieu où elle, où ils allaient lorsqu’ils étaient étudiants. Une pizzeria pas très loin des Beaux-Arts, à Mabillon. Plusieurs fois, ils y ont dîné dans la salle normale, mais un jours, grâce à d’autres étudiants ils ont découvert qu’une autre salle en sous sol permettait aux jeunes désargentés de manger la même nourriture à moindre prix, à condition d’être étudiant bien sûr…
Curieusement, elle s’imagine donner rendez-vous au jeune homme dans cette cave étrange, sans un instant penser qu’on ne voudra plus d’elle, qu’elle n’a plus vingt ans. Ni lui non plus d’ailleurs…
M.G
Voir cette jeune fille trop belle et fade pour être vraie ne la secoue pas vraiment au premier abord. Peut-être devrait-elle… Mais non, elle se sentirait presque au contraire disposée à la laisser parler pendant des heures. D’ailleurs comme toujours il semble que la plupart des rares participants qui ont persévéré sont dans le même état, l’atmosphère est calme et détendue. Comme si tous n’attendaient que de l’entendre.
« Eva ? tu es donc revenue.
Heureusement que sa mémoire ne lui fait pas toujours défaut et que le prénom est réapparu, s'imprimant comme par magie sur ses lèvres.
L’autre sourit.
De toute évidence, elle est bien plus forte qu’elle. Bien plus forte qu’eux tous réunis.
- oui, je suis revenue. Enfin si on peut dire. je n’ai manqué que deux séances.
- Ah ? seulement. J’aurais dit plus. Et donc, tu es venue parce que tu as pris la décision de partir avec nous ?
Soudain elle imagine l’enfer que peut représenter une telle présence dans un périple sans fin comme celui qu’ils s’apprêtent à faire. Une multitude de déchaînements lubriques donnant raison à tous ceux qui voulaient nous faire rentrer dans le droit chemin ne serait que juste châtiment. Ils nous auraient fait fuir, partir sans autre but que de ne pas leur céder, alors forcément, les cadres évaporés, les obligations quotidiennes envolées pourraient laisser la place à un déferlement immaîtrisable de pulsions. Celles-ci et d’autres… qui sait ? Pire encore…
Dieu comme l’entreprise lui semble de plus en plus hasardeuse, de plus en plus insensée. Si les enfants sont sauvés, que ne devrait-elle pas se laisser aller à mourir pour une cause, s’offrir ainsi une fin digne.
Périr parce qu’on ne saura plus vivre…
Mais ses oreilles bourdonnent encore. Elle pense à son homme aussi… il n’aura plus qu’elle ensuite.
- je pense peut-être partir avec vous. Mais j’aimerais préciser certaines choses d’abord…
- je suis à toi ma chère.
Le ton de la jeune femme lui rappelle étrangement celui qu’avaient certains clients à l’époque où elle les côtoyait de près, cet espèce de certitude d’avoir des droits sur les autres, de les dominer parce qu’on les paie. Ce qui quoiqu’on en dise ou pense ramenait toujours l’argent à sa juste valeur, à sa place centrale, qui dépassait tous les talents ou toutes les aspirations. Le plus célèbre des architectes devenait soudain une sombre merde face à un client puissant et riche.
Ici c’était un peu pareil. Depuis le début la gênait l’idée de profiter aussi de ce projet qu’elle vendait aux gens comme une issue de secours, un espoir de survie, ou surtout d’une autre vie, mais qui était aussi pour elle un moyen de gagner de l’argent, en plus de s’assurer un départ avec quelques personnes non pas amies, mais au moins du même côté du monde à présent. Un côté que l’on choisit par défaut, après que l’autre nous a définitivement montré son vrai visage. Un côté qui ne ressemble pas vraiment à ce dont on a rêvé lorsque l’on croyait vivre sur la terre, et non pas dans l’enfer d’un autre monde dont les portes nous seraient évidemment interdites…
Elle n’a d’autre choix que d’écouter puis d’expliquer, laisser parler la trop belle jeune femme dont elle aimerait posséder encore un peu de la fraîcheur.
La blonde sourit, semble un peu gênée.
- en fait, je voudrais savoir… elle tortille ses lèvres… enfin j’aimerais, je, … vous pensez revenir ?
La stupeur combat l’énervement. Mais M. décide de rester calme, de reprendre le dessus, l’ascendant sur tous les médiocres qu’elle est obligée de côtoyer depuis toutes ses années. Cela fait un moment maintenant qu’elle a compris qu’elle n’avait pas le choix, un peu d’alcool, d’espièglerie, c’est la vie qu’elle a choisie. Les images se mélangent…
- euh, écoute, franchement, si on part ce n’est à priori pas pour revenir… on voudrait sans doute quitter les terres françaises ou simplement se cacher, le temps qu’il faudra. Si un jour les choses s’arrangent alors oui, certaines personnes reviendront sans doute. Je n’en sais rien… de toute façon, nous espérons rejoindre d’autres groupes, et ensemble, nous verrons vers quel destin ou quelle destination nous irons.
- Non, mais enfin, ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi nous n’agissons pas… moi je veux bien partir, mais je pense que si l’on part c’est pour agir d’ailleurs, en prenant moins de risques mais avec plus d’espoirs de réussite. Tu me suis ?
Elle me tutoie maintenant ? Décidément…
M. est soudain vraiment embarrassée, une seule idée, un seul nom lui vient à l’esprit Yohan. C’est décidé après la réunion elle l’appelle, et elle lui demandera. Il l’aidera lui c’est sûr. Elle repense soudain à un lieu où elle, où ils allaient lorsqu’ils étaient étudiants. Une pizzeria pas très loin des Beaux-Arts, à Mabillon. Plusieurs fois, ils y ont dîné dans la salle normale, mais un jours, grâce à d’autres étudiants ils ont découvert qu’une autre salle en sous sol permettait aux jeunes désargentés de manger la même nourriture à moindre prix, à condition d’être étudiant bien sûr…
Curieusement, elle s’imagine donner rendez-vous au jeune homme dans cette cave étrange, sans un instant penser qu’on ne voudra plus d’elle, qu’elle n’a plus vingt ans. Ni lui non plus d’ailleurs…
M.G
lundi, mai 14, 2007
Pour un monde meilleur ? (24)
Tel un œdème qui s’étend dans sa gorge remplaçant le souffle naturel par une abondance d’air inquiète mais délicieuse, l’absence s’empare d’elle.
Présence lointaine, effacée mais efficace.
Qu’aimerait-elle vraiment prendre de cet autre ? Elle n’en a aucune idée.
Se surprend simplement à découvrir qu’une angoisse sourde et douloureuse peut se révéler agréable, parce qu’elle vous emplit jusqu’à vous anesthésier. Parce qu’elle a la certitude qu’où qu’il soit à cet instant précis, il pense à elle.
Comment peut-elle en être sûre ?
Là est l’étrange… après la lucide hypothèse concluant à une erreur d’appréciation, à la pauvre vieille femme qui se croit encore jeune et imagine que des gamins trentenaires peuvent encore la voir (qui sait si elle les désirerait d’ailleurs ?), elle est soudain convaincue d’une ligne de transcendance qui les rejoint, dans plus qu’une attirance, plus qu’une cause, plus qu’il n’est possible de le dire. Ce qu’elle a en elle, cette tâche d’encre sympathique qui l’envahit depuis l’œsophage jusqu’aux poumons n’est sans doute que de petits éclats de cendres qu’il envoie à son intention, qu’il contient longtemps, puis lâche lorsqu’il ne parvient pas à avancer sans lui réserver une petite pensée, qui bloque et inonde sa gorge à lui, avant d’exploser en cette infinitésimale attention qu’il lui porte peut-être.
Qui est-il ?
N’est-il pas simplement le signe que l’existence n’est pas toujours aussi sereine qu’elle en a l’air. Que même lorsque certaines conditions idéales semblent réunies, certaines anicroches peuvent entamer de manière irréversible le long chemin qui nous mène à la déchéance que l’on croit inévitable et donc acceptable…
N’est-il pas pure invention du sort, destinée à la pousser vers un vide qui pourrait en libérer d’autres ?
Non arrête. Tu ne fais que te chercher des excuses. T’as juste envie de te payer quelques dernières heures de plaisir, rattraper ce temps qui n’existe que dans les fictions que l’on invente ou que l’on lit. Cette jeunesse qui n’a de délicieuse que le faible nombre de ses années.
Arrête.
Et puis, s’il pensait vraiment à toi, il serait là ce soir, dans cette usine abandonnée. Il t’aurait appelée. Vous vous seriez donné rendez-vous. Ç’aurait été si simple. Peut-être romantique ou carrément torride. Peu importe. Vous vous seriez croisés ailleurs que dans ces sphères étranges d’un monde sur le point de finir…
M.G
Présence lointaine, effacée mais efficace.
Qu’aimerait-elle vraiment prendre de cet autre ? Elle n’en a aucune idée.
Se surprend simplement à découvrir qu’une angoisse sourde et douloureuse peut se révéler agréable, parce qu’elle vous emplit jusqu’à vous anesthésier. Parce qu’elle a la certitude qu’où qu’il soit à cet instant précis, il pense à elle.
Comment peut-elle en être sûre ?
Là est l’étrange… après la lucide hypothèse concluant à une erreur d’appréciation, à la pauvre vieille femme qui se croit encore jeune et imagine que des gamins trentenaires peuvent encore la voir (qui sait si elle les désirerait d’ailleurs ?), elle est soudain convaincue d’une ligne de transcendance qui les rejoint, dans plus qu’une attirance, plus qu’une cause, plus qu’il n’est possible de le dire. Ce qu’elle a en elle, cette tâche d’encre sympathique qui l’envahit depuis l’œsophage jusqu’aux poumons n’est sans doute que de petits éclats de cendres qu’il envoie à son intention, qu’il contient longtemps, puis lâche lorsqu’il ne parvient pas à avancer sans lui réserver une petite pensée, qui bloque et inonde sa gorge à lui, avant d’exploser en cette infinitésimale attention qu’il lui porte peut-être.
Qui est-il ?
N’est-il pas simplement le signe que l’existence n’est pas toujours aussi sereine qu’elle en a l’air. Que même lorsque certaines conditions idéales semblent réunies, certaines anicroches peuvent entamer de manière irréversible le long chemin qui nous mène à la déchéance que l’on croit inévitable et donc acceptable…
N’est-il pas pure invention du sort, destinée à la pousser vers un vide qui pourrait en libérer d’autres ?
Non arrête. Tu ne fais que te chercher des excuses. T’as juste envie de te payer quelques dernières heures de plaisir, rattraper ce temps qui n’existe que dans les fictions que l’on invente ou que l’on lit. Cette jeunesse qui n’a de délicieuse que le faible nombre de ses années.
Arrête.
Et puis, s’il pensait vraiment à toi, il serait là ce soir, dans cette usine abandonnée. Il t’aurait appelée. Vous vous seriez donné rendez-vous. Ç’aurait été si simple. Peut-être romantique ou carrément torride. Peu importe. Vous vous seriez croisés ailleurs que dans ces sphères étranges d’un monde sur le point de finir…
M.G
vendredi, avril 27, 2007
Pour un monde meilleur ? (23)
Pour la première fois peut-être il ressent un malaise dont il sait qu’il ne durera pas, mais qui malgré tout l’indispose un peu. Cette femme a la chevelure rousse, presque rouge a indéniablement un effet négatif sur lui. Il en a conscience, mais ne parvient pas à imaginer même s'en détacher. Il ne le veut pas sans doute. Il pense à sa mère. Si elle avait su.
Tout a joué dans le bon ordre c’est évident. Il jette son mégot derrière lui tout en avançant et ne peut se détacher de l’image et de l’odeur abstraite qui l’emplit à chaque pas. Non. Il n’a pas le droit, il ne peut surtout pas se permettre la moindre distraction. Seul le sexe sans engagement lui est permis… au moins jusqu’à la première action. Mais au fond n’est-ce pas ce qu’il pourrait avoir avec cette femme, troublante et pourtant beaucoup trop banale, si transparente…
Il ne comprend pas ce qui lui arrive.
Mais putain qu’est-ce qui m’arrive. Martha…
Non c’est impossible bien sûr.
Peut-être devrait-il rentrer chez lui ce soir. Terminer de corriger les épreuves de son prochain opuscule. Ou se déchirer la tronche. Oui enfin quitte à se déchirer la tronche autant se libérer d’un stress en plus. Et j’y suis presque en plus. Ça me fera du bien c’est sûr.
Il sort un cachet de sa poche et l’avale direct, puis frappe très doucement à la porte, c’est sans doute le meilleur moment. Celui de cette pression très mesurée appliquée du poing sur le seuil du lieu où il perd toute dignité pour ne pas perdre ses esprits. C’est ainsi depuis quelques années maintenant. C’est sûr que ce n’est pas ce qu’il avait imaginé enfant, mais bon, et puis n’est-ce pas Michel Houellebecq qui lui avait signalé l’existence de ce genre de clubs. Alors… oui enfin il n’y a peut-être jamais foutu les pieds. Que de la gueule celui là.
Le cacheton commence à faire effet. C’est clair. Une vigueur subtile dont il pourrait presque décrire le chemin s’engage dans ses veines.
Il y a quelques personnes au bar, seules. Un verre ne serait peut-être pas une mauvaise idée. Sauf que, peut-être alors il faudrait parler, initier un contact tout à fait contraire à ce pour quoi on vient ici. D’ailleurs, ils sont vraiment cons d’avoir fait ce bar. Mais l’argent n’a pas d’odeur…
Que faire ?
Il aperçoit soudain une blonde, serait-ce ? oui, c’est cette blonde qu’il s'est déjà pécho une fois. Elle est très jolie mais complètement insignifiante. Elle n’a aucun plaisir à être là, ce qui à la limite se comprend, mais surtout elle ne retire aucun plaisir de tout cela.
Elle est seule pourtant. Ça y est, elle l’a vu et son regard s’éclaire. S’il l’ignore elle en mourra c’est sûr. Enfin who gives a shit… il soupire, elle est vraiment jolie. Une grosse poitrine lui semble-t-il, ah non, c’était une autre blonde, assez laide, mais très chaude. Mon dieu, il faut qu’il se lance, sinon il repartira… et bien sûr, comme un mauvais démon c’est l’autre qui vient se rappeler à sa mémoire. Allez, il inspire et s’approche.
Malgré tous les efforts qu’elle fait pour rester stoïque, il sent qu’elle est peut-être rassurée de cette approche, que ce soit lui en somme. Ce n’est pas le moment le plus évident bien sûr, il faut se mettre en condition, il faut y penser très fort. Il faut penser au sexe, à la jouissance, à la violence aussi, et cela seulement. Il faut se dépêcher sur tout avant que les effets de la drogue se dissipent tout à fait.
Il passe la main sous son tee-shirt.
Elle murmure : je m’appelle Myriam.
M.G
Tout a joué dans le bon ordre c’est évident. Il jette son mégot derrière lui tout en avançant et ne peut se détacher de l’image et de l’odeur abstraite qui l’emplit à chaque pas. Non. Il n’a pas le droit, il ne peut surtout pas se permettre la moindre distraction. Seul le sexe sans engagement lui est permis… au moins jusqu’à la première action. Mais au fond n’est-ce pas ce qu’il pourrait avoir avec cette femme, troublante et pourtant beaucoup trop banale, si transparente…
Il ne comprend pas ce qui lui arrive.
Mais putain qu’est-ce qui m’arrive. Martha…
Non c’est impossible bien sûr.
Peut-être devrait-il rentrer chez lui ce soir. Terminer de corriger les épreuves de son prochain opuscule. Ou se déchirer la tronche. Oui enfin quitte à se déchirer la tronche autant se libérer d’un stress en plus. Et j’y suis presque en plus. Ça me fera du bien c’est sûr.
Il sort un cachet de sa poche et l’avale direct, puis frappe très doucement à la porte, c’est sans doute le meilleur moment. Celui de cette pression très mesurée appliquée du poing sur le seuil du lieu où il perd toute dignité pour ne pas perdre ses esprits. C’est ainsi depuis quelques années maintenant. C’est sûr que ce n’est pas ce qu’il avait imaginé enfant, mais bon, et puis n’est-ce pas Michel Houellebecq qui lui avait signalé l’existence de ce genre de clubs. Alors… oui enfin il n’y a peut-être jamais foutu les pieds. Que de la gueule celui là.
Le cacheton commence à faire effet. C’est clair. Une vigueur subtile dont il pourrait presque décrire le chemin s’engage dans ses veines.
Il y a quelques personnes au bar, seules. Un verre ne serait peut-être pas une mauvaise idée. Sauf que, peut-être alors il faudrait parler, initier un contact tout à fait contraire à ce pour quoi on vient ici. D’ailleurs, ils sont vraiment cons d’avoir fait ce bar. Mais l’argent n’a pas d’odeur…
Que faire ?
Il aperçoit soudain une blonde, serait-ce ? oui, c’est cette blonde qu’il s'est déjà pécho une fois. Elle est très jolie mais complètement insignifiante. Elle n’a aucun plaisir à être là, ce qui à la limite se comprend, mais surtout elle ne retire aucun plaisir de tout cela.
Elle est seule pourtant. Ça y est, elle l’a vu et son regard s’éclaire. S’il l’ignore elle en mourra c’est sûr. Enfin who gives a shit… il soupire, elle est vraiment jolie. Une grosse poitrine lui semble-t-il, ah non, c’était une autre blonde, assez laide, mais très chaude. Mon dieu, il faut qu’il se lance, sinon il repartira… et bien sûr, comme un mauvais démon c’est l’autre qui vient se rappeler à sa mémoire. Allez, il inspire et s’approche.
Malgré tous les efforts qu’elle fait pour rester stoïque, il sent qu’elle est peut-être rassurée de cette approche, que ce soit lui en somme. Ce n’est pas le moment le plus évident bien sûr, il faut se mettre en condition, il faut y penser très fort. Il faut penser au sexe, à la jouissance, à la violence aussi, et cela seulement. Il faut se dépêcher sur tout avant que les effets de la drogue se dissipent tout à fait.
Il passe la main sous son tee-shirt.
Elle murmure : je m’appelle Myriam.
M.G
jeudi, avril 26, 2007
Pour un monde meilleur ? (22)
"finalement, je cède...un peu."
L’homme l’a quittée. Elle reste là. Assise. Désœuvrée et perplexe, elle se demande comment il lui a été possible de pénétrer un anachronisme.
Le jour décline légèrement, et l’objet est là, qui la regarde presque. Sorte de cercueil de luxe pour les hommes qui ne seront toujours que les instruments d’un destin aussi ironique qu’il n’a pas de sens. Il lui reste des choses à prévoir, imaginer, calculer. L’issue approche. Terrible de cette douceur que perçoit celui ou celle qui peut-être s’est trompé, mais n’en saura jamais rien. Elle devine le ciel pâle qui s’assombrit derrière le carreau cassé. Ce ciel sera son compagnon jusqu’à la fin des jours. Alors qu’elle s’était vue bâtisseuse, elle ne pourra qu'assister volontairement impuissante à la fin de ce monde qui se détruit peu à peu, et va disséminer ses restes dans l’univers vide et froid. Perfide existence que celle qui vous plonge dans une activité dont l’évolution des choses vous prouve qu’elle est trompeuse, voire inutile.
Construire des armes, voilà qui aurait été utile. D’ailleurs il était question d’en intégrer à chacune des cellules, mais c’était trop cher, on a trouvé autre chose.
Elle n’a pas osé appeler Yohan. Pensait que peut-être il l’aurait fait. Ne comprend pas, ou comprend trop bien… si au moins elle avait un paquet de cigarettes, elle resterait ainsi assise à fumer, à goûter ce temps de silence et de rien qui lui a tant de fois manqué. Et si elle passait la nuit là, seule, et reprenait le train demain ?
Sans réfléchir, elle se lève et attrape un stylo et le cahier qui sont restés posés dans un coin, sur un vieux plan de travail. Puis elle revient s’asseoir, s’installe lentement, inspire et se met à écrire.
« Si on s’était promis la lune, on comblerait notre défaillance par nos silences, mais nous n’avons rien émis, aucun pacte, aucun mot qui puisse justifier une quelconque déception, si ce n’est celle de n’être que des humains véritables… alors en toute lâcheté, j’aimerais rompre le silence de cette abnégation factice…
Je crois sentir que tu attends mes mots sans savoir les convoquer ou les motiver autrement que par une absence très pleine, très ouatée qui grossit avec les jours, avec les heures, les minutes, les secondes de la journée, turgescence éloignée et qui pourtant projette ses effets dans les esprits d’autres, d’une autre à qui elle s’a-dresse. Alors les mots, sans honte, sans retrait se libèrent et coulent d’une source abstraite vers un espace irréel, inexistant et qui pourtant contient la seule turgescence possible… permise et souhaitable. Lorsque l’on a compris que l’existence ne valait qu’en conjectures et rêveries, alors…. »
Il est tard.
M.G
L’homme l’a quittée. Elle reste là. Assise. Désœuvrée et perplexe, elle se demande comment il lui a été possible de pénétrer un anachronisme.
Le jour décline légèrement, et l’objet est là, qui la regarde presque. Sorte de cercueil de luxe pour les hommes qui ne seront toujours que les instruments d’un destin aussi ironique qu’il n’a pas de sens. Il lui reste des choses à prévoir, imaginer, calculer. L’issue approche. Terrible de cette douceur que perçoit celui ou celle qui peut-être s’est trompé, mais n’en saura jamais rien. Elle devine le ciel pâle qui s’assombrit derrière le carreau cassé. Ce ciel sera son compagnon jusqu’à la fin des jours. Alors qu’elle s’était vue bâtisseuse, elle ne pourra qu'assister volontairement impuissante à la fin de ce monde qui se détruit peu à peu, et va disséminer ses restes dans l’univers vide et froid. Perfide existence que celle qui vous plonge dans une activité dont l’évolution des choses vous prouve qu’elle est trompeuse, voire inutile.
Construire des armes, voilà qui aurait été utile. D’ailleurs il était question d’en intégrer à chacune des cellules, mais c’était trop cher, on a trouvé autre chose.
Elle n’a pas osé appeler Yohan. Pensait que peut-être il l’aurait fait. Ne comprend pas, ou comprend trop bien… si au moins elle avait un paquet de cigarettes, elle resterait ainsi assise à fumer, à goûter ce temps de silence et de rien qui lui a tant de fois manqué. Et si elle passait la nuit là, seule, et reprenait le train demain ?
Sans réfléchir, elle se lève et attrape un stylo et le cahier qui sont restés posés dans un coin, sur un vieux plan de travail. Puis elle revient s’asseoir, s’installe lentement, inspire et se met à écrire.
« Si on s’était promis la lune, on comblerait notre défaillance par nos silences, mais nous n’avons rien émis, aucun pacte, aucun mot qui puisse justifier une quelconque déception, si ce n’est celle de n’être que des humains véritables… alors en toute lâcheté, j’aimerais rompre le silence de cette abnégation factice…
Je crois sentir que tu attends mes mots sans savoir les convoquer ou les motiver autrement que par une absence très pleine, très ouatée qui grossit avec les jours, avec les heures, les minutes, les secondes de la journée, turgescence éloignée et qui pourtant projette ses effets dans les esprits d’autres, d’une autre à qui elle s’a-dresse. Alors les mots, sans honte, sans retrait se libèrent et coulent d’une source abstraite vers un espace irréel, inexistant et qui pourtant contient la seule turgescence possible… permise et souhaitable. Lorsque l’on a compris que l’existence ne valait qu’en conjectures et rêveries, alors…. »
Il est tard.
M.G
vendredi, avril 13, 2007
Pour un monde meilleur ? (21)
« c’est beau. Non ?
lui demande-t-elle maîtrisant à peine son enthousiasme. Il se contente de sourire, ne la laissant pas vraiment deviner son sentiment.
- en une autre époque, j’aurais été fière je crois…
- pourquoi, qu’est-ce que ça change ?
- ben là c’est, enfin comment dire plutôt inutile, non ? Alors qu’avant je pensais que je travaillais pour quelque chose. J’ai même, à une époque eu le sentiment de créer un peu…
- mais vous créez. Enfin, c’est bien vous qui avez dessiné cela…
- dessiné, dessiné, euh oui, plus que ça encore. J’ai passé des heures, des nuits à imaginer tout cela. D’abord il fallait avoir le projet, puis ensuite la forme etc… enfin vous savez…
- oui j’imagine. Et c’est plutôt bien, non ? On est contents.
- Oui, je pense. Mais ça me fait bizarre de me dire que cela restera uniquement dans le champ du confidentiel. Que cette forme. Que cette idée au fond ne seront qu’un élément qui aura servi à quelques personnes et rien de plus…
- Vous voulez quoi ? qu’on le commercialise ? à grande échelle.
- Non, enfin ce ne serait pas possible… non ce n’est pas cela.
Elle s’arrête un instant pour regarder l’engin. Près de la fenêtre atelier en verre feuilleté, dont le haut était cassé, ses parties métalliques luisaient d’une manière imprévue. A cela aussi elle avait beaucoup réfléchi. Sans doute par déformation professionnelle, ou était-ce simplement lié à son caractère : elle était perfectionniste. Avait malgré tout été formée à l’être. Au départ, elle avait envisagé une coque complètement mate sans le moindre reflet. Un élément qui par ses qualités de non réflexion se fondrait complètement dans le paysage. Dans l’univers. Elle trouvait cela très beau. Elle se souvenait d’avoir repensé à une œuvre d’Anish Kapoor qu’elle avait vue au CAPC de Bordeaux. Il s’agissait d’une demi-sphère, pas tout à fait sphérique d’ailleurs, demi-ellipse donc, suspendue. On pénétrait dessous, et soudain on se sentait comme aspiré par le vide. Le sentiment était tout à fait inconnu. Inédit. Le dôme dont on ne distinguait en réalité absolument pas la face interne faisait 8 mètres de diamètre, mais la profondeur en était annulée par le pigment utilisé. Et la lumière peut-être. Soudain, alors que l’on n’était même pas dans un espace différent, on était transporté nulle part. Plusieurs fois, elle est ressortie de cette emprise pour voir les autres œuvres, et plusieurs fois y est retournée, comme aspirée, comme pour faire le plein de cette non matière, de cette non essence.
L’objet qu’elle avait devant les yeux ressemblait davantage à une autre œuvre de l’artiste réalisée plus tard. Une sculpture en métal poli dont les reflets avaient eux aussi tendance à annuler la forme. Sans doute avait-elle malgré tout été nourrie de cette volonté d’éviction. Qui après tout convenait tout à fait à la situation. Disparaître et se fondre dans le rien.
Le plus drôle ici était qu’il s’agissait de morceaux à assembler, ayant donc chacun leur forme propre pour pouvoir à un moment devenir des pièces à vivre, comme un puzzle, ayant donc chacune une particularité qui pourtant par l’abstraction de la matière et de la volonté du créateur s’annulait de fait, s’évanouissait pour laisser place à l’absence de ce que l’on ne peut définir.
M.G
lui demande-t-elle maîtrisant à peine son enthousiasme. Il se contente de sourire, ne la laissant pas vraiment deviner son sentiment.
- en une autre époque, j’aurais été fière je crois…
- pourquoi, qu’est-ce que ça change ?
- ben là c’est, enfin comment dire plutôt inutile, non ? Alors qu’avant je pensais que je travaillais pour quelque chose. J’ai même, à une époque eu le sentiment de créer un peu…
- mais vous créez. Enfin, c’est bien vous qui avez dessiné cela…
- dessiné, dessiné, euh oui, plus que ça encore. J’ai passé des heures, des nuits à imaginer tout cela. D’abord il fallait avoir le projet, puis ensuite la forme etc… enfin vous savez…
- oui j’imagine. Et c’est plutôt bien, non ? On est contents.
- Oui, je pense. Mais ça me fait bizarre de me dire que cela restera uniquement dans le champ du confidentiel. Que cette forme. Que cette idée au fond ne seront qu’un élément qui aura servi à quelques personnes et rien de plus…
- Vous voulez quoi ? qu’on le commercialise ? à grande échelle.
- Non, enfin ce ne serait pas possible… non ce n’est pas cela.
Elle s’arrête un instant pour regarder l’engin. Près de la fenêtre atelier en verre feuilleté, dont le haut était cassé, ses parties métalliques luisaient d’une manière imprévue. A cela aussi elle avait beaucoup réfléchi. Sans doute par déformation professionnelle, ou était-ce simplement lié à son caractère : elle était perfectionniste. Avait malgré tout été formée à l’être. Au départ, elle avait envisagé une coque complètement mate sans le moindre reflet. Un élément qui par ses qualités de non réflexion se fondrait complètement dans le paysage. Dans l’univers. Elle trouvait cela très beau. Elle se souvenait d’avoir repensé à une œuvre d’Anish Kapoor qu’elle avait vue au CAPC de Bordeaux. Il s’agissait d’une demi-sphère, pas tout à fait sphérique d’ailleurs, demi-ellipse donc, suspendue. On pénétrait dessous, et soudain on se sentait comme aspiré par le vide. Le sentiment était tout à fait inconnu. Inédit. Le dôme dont on ne distinguait en réalité absolument pas la face interne faisait 8 mètres de diamètre, mais la profondeur en était annulée par le pigment utilisé. Et la lumière peut-être. Soudain, alors que l’on n’était même pas dans un espace différent, on était transporté nulle part. Plusieurs fois, elle est ressortie de cette emprise pour voir les autres œuvres, et plusieurs fois y est retournée, comme aspirée, comme pour faire le plein de cette non matière, de cette non essence.
L’objet qu’elle avait devant les yeux ressemblait davantage à une autre œuvre de l’artiste réalisée plus tard. Une sculpture en métal poli dont les reflets avaient eux aussi tendance à annuler la forme. Sans doute avait-elle malgré tout été nourrie de cette volonté d’éviction. Qui après tout convenait tout à fait à la situation. Disparaître et se fondre dans le rien.
Le plus drôle ici était qu’il s’agissait de morceaux à assembler, ayant donc chacun leur forme propre pour pouvoir à un moment devenir des pièces à vivre, comme un puzzle, ayant donc chacune une particularité qui pourtant par l’abstraction de la matière et de la volonté du créateur s’annulait de fait, s’évanouissait pour laisser place à l’absence de ce que l’on ne peut définir.
M.G
lundi, avril 09, 2007
Pour un monde meilleur ? (20)

Tout s’étiole petit à petit, jusqu’au désir même de combattre l’étiolement fatal. Alors il ne nous reste plus qu’à mourir lentement et sans faire de vagues, à moins d’avoir la chance ou la malchance de connaître un dernier sursaut de vitalité qui nous fera emporter comme ultime sentiment celui de n’avoir pas su résister à une tentation jadis jugée inhumaine.
Le jour se lève. La nuit n’a pas été très réconfortante. Elle regarde Bob qui dort à côté d’elle. Souvent dans les années où ils ont été liés, elle a éprouvé pour lui une sorte de compassion, de tristesse même. Sans doute un peu parce qu’en dormant il paraît toujours soucieux. On se demande même s’il ne souffre pas. Mais elle n’a jamais pu en rien savoir.
Elle aimerait là lui déposer un baiser sur le visage, à un endroit n’importe lequel pour qu’il sache qu’encore maintenant elle pense à lui. Elle n’en fera rien bien sûr. Avec les années, ils sont devenus de plus en plus timides l’un envers l’autre, au point de ne plus se toucher que dans ces moments rares dans lesquels alors se met en marche sans doute ce que la frustration de trop peu de tendresse a fabriqué comme désir effréné de l’autre, jusqu’à vouloir saisir sa sève ou son âme à travers ce corps que l’on n’offre qu’à lui. Le temps leur manque désormais. Lui feint de continuer à travailler, comme s’il restait un quelconque espoir de rester établi en ce pays et d’en tirer encore quelque chose. Elle se dévoue à son entreprise.
Aujourd’hui, et il lui en coûte vraiment, elle doit prendre le train pour aller voir où en est la fabrication des CTU. Il s’agit d’une grosse boite de métallerie qui leur a détaché une petite unité de production secrète afin de les aider. Aussi parce que l’un des derniers bonnets restés sur les territoire français part vraisemblablement avec eux.
Elle regarde encore son homme tandis qu’un jour trompeusement prometteur s’annonce. Alors qu’elle sera dans le train, entourée sans doute de toutes ces femmes enturbannées qui la regarderont avec cet espèce d’indifférence mensongère, elle sentira comme un poids la distance qui la sépare aujourd’hui de son domicile et de sa famille, son homme et ses enfants, demain de toute l’humanité qu’elle espérait pouvoir conserver. Savoir où et comment mourir ?
Que transmettre ?
A qui transmettre ?
Les reverrait-elle tous un jour ? Chaque déplacement, chaque minuscule acte devenait dangereux, au point même que la notion de danger en était complètement viciée, qu’il n’en restait qu’un vague symbole, rien de précis, une idée qui vous rapprochait chaque jour un peu plus d’un nihilisme blanc.
Elle penserait à Yohan aussi, l’appellerait peut-être. Se torturerait à tenter de savoir s’il n’avait pas raison, si elle ne devait pas se joindre à eux et abandonner tous les autres.
Se joindre à lui, commettre un suicide dans une renaissance fictive, crise de la quarantaine débilitante dont elle garderait de bons souvenirs, un peu d’exaltation encore.
Mais comment abandonner ceux dont on a la responsabilité. La seule issue est encore de leur mentir.
La seule issue est donc le cul. Rien d’autre. Point barre.
M.G
Le jour se lève. La nuit n’a pas été très réconfortante. Elle regarde Bob qui dort à côté d’elle. Souvent dans les années où ils ont été liés, elle a éprouvé pour lui une sorte de compassion, de tristesse même. Sans doute un peu parce qu’en dormant il paraît toujours soucieux. On se demande même s’il ne souffre pas. Mais elle n’a jamais pu en rien savoir.
Elle aimerait là lui déposer un baiser sur le visage, à un endroit n’importe lequel pour qu’il sache qu’encore maintenant elle pense à lui. Elle n’en fera rien bien sûr. Avec les années, ils sont devenus de plus en plus timides l’un envers l’autre, au point de ne plus se toucher que dans ces moments rares dans lesquels alors se met en marche sans doute ce que la frustration de trop peu de tendresse a fabriqué comme désir effréné de l’autre, jusqu’à vouloir saisir sa sève ou son âme à travers ce corps que l’on n’offre qu’à lui. Le temps leur manque désormais. Lui feint de continuer à travailler, comme s’il restait un quelconque espoir de rester établi en ce pays et d’en tirer encore quelque chose. Elle se dévoue à son entreprise.
Aujourd’hui, et il lui en coûte vraiment, elle doit prendre le train pour aller voir où en est la fabrication des CTU. Il s’agit d’une grosse boite de métallerie qui leur a détaché une petite unité de production secrète afin de les aider. Aussi parce que l’un des derniers bonnets restés sur les territoire français part vraisemblablement avec eux.
Elle regarde encore son homme tandis qu’un jour trompeusement prometteur s’annonce. Alors qu’elle sera dans le train, entourée sans doute de toutes ces femmes enturbannées qui la regarderont avec cet espèce d’indifférence mensongère, elle sentira comme un poids la distance qui la sépare aujourd’hui de son domicile et de sa famille, son homme et ses enfants, demain de toute l’humanité qu’elle espérait pouvoir conserver. Savoir où et comment mourir ?
Que transmettre ?
A qui transmettre ?
Les reverrait-elle tous un jour ? Chaque déplacement, chaque minuscule acte devenait dangereux, au point même que la notion de danger en était complètement viciée, qu’il n’en restait qu’un vague symbole, rien de précis, une idée qui vous rapprochait chaque jour un peu plus d’un nihilisme blanc.
Elle penserait à Yohan aussi, l’appellerait peut-être. Se torturerait à tenter de savoir s’il n’avait pas raison, si elle ne devait pas se joindre à eux et abandonner tous les autres.
Se joindre à lui, commettre un suicide dans une renaissance fictive, crise de la quarantaine débilitante dont elle garderait de bons souvenirs, un peu d’exaltation encore.
Mais comment abandonner ceux dont on a la responsabilité. La seule issue est encore de leur mentir.
La seule issue est donc le cul. Rien d’autre. Point barre.
M.G
lundi, avril 02, 2007
Pour un monde meilleur ? (19)
Cela faisait maintenant à peu près un mois qu’elle avait rencontré Yohan. Par un hasard étrange, il était ami avec un des premiers participants de l’aventure qui s’était depuis retiré, persuadé que des gens en voulaient à sa famille. Au moment de partir donc, et à une heure où il pensait que certains des participants pouvaient ne pas être fiables, n’étant sans doute que des saboteurs, Jean avait indiqué à Martha l’existence d’un réseau. Il s’agissait d’un jeune philosophe assez connu d’ailleurs qui avait entraîné quelques personnes dans une aventure autrement plus audacieuse que la sienne : ils voulaient lutter, et peut-être prendre les armes.
Tout ce contre quoi elle résistait depuis des années, depuis qu’à force de raison et de résignation imposée par les autres, elle avait décidé qu’il ne servait plus à rien de combattre pour ce pays traître et assassin.
Jean avait pourtant bizarrement insisté pour qu’elle se rende à une des conférences du jeune homme.
Il les avait présentés.
Depuis son attitude étrangement bienveillante à son égard l’avait d’abord intriguée puis obsédée au point qu’elle ne pensait plus qu’à cela. Parfois elle se demandait même s’il n’était pas aussi une taupe, un envoyé dont la mission serait de dynamiter tous les groupes de résistance ou de non soumission à l’occupant.
Alors qu’elle l’avait d’abord pris pour un fat personnage, relativement immature, enfin assez pour n’être en proie à aucune réalité, sauf celle de sa pensée, il avait commencé à lui manifester des marques d’intérêt qui ne pouvaient qu’éveiller chez elle des réflexes enfouis, troubles depuis longtemps évacués de sa pauvre tête. Une certaine admiration a commencé à naître pour l’homme dont elle ne connaissait pas la pensée mais enviait l’élocution, l’aisance. Il ne restait cependant pour elle qu’un gamin, doué sans doute, courageux, mais n’ayant au fond aucune idée de ce vers quoi il avançait réellement. Les rares fois où elle avait pu lui parler, il lui balançait des phrases étranges, d’une gentillesse inappropriée, qui ne pouvait que sonner faux. Ce type était soit un parfait bonimenteur, soit un idiot qui n’avait toujours pas compris qu’on ne donnait pas son amitié aussi facilement. Ou bien avait-il simplement pitié d’elle. Peut-être était-ce de là qu’était partie son obsession. Puisqu’il ne fallait pas qu’il s’agisse d’un sentiment aussi vain et inutile, il y avait forcément autre chose. C’est alors qu’elle découvrit, à plus de quarante ans, qu’elle préférait encore qu’on l’aimât pour son physique que pour ses qualités intellectuelles ou son engagement, qui n’en était en plus pas un. Enfin, ce n’était même pas son physique qu’elle voulait qu’on appréciât, c’était plutôt son intimité qu’elle espérait qu’on désirât encore. Ce n’était pas du sexe, pas de la libido. Elle espérait que quelqu’un, quelque part était encore capable de la voir.
Elle n’était pas dupe cependant, mille explications pouvaient encore éclairer cet intérêt de plus en plus manifeste. La plupart n’étaient pas d’un romantisme absolu. Mais lorsque l’on approche de la fin de sa vie, qu’est en somme la fin définitive de sa jeunesse, on peut sans doute se contenter de peu.
Se contenter de se laisser séduire par la seule personne qui ose encore vous regarder.
M.G
Tout ce contre quoi elle résistait depuis des années, depuis qu’à force de raison et de résignation imposée par les autres, elle avait décidé qu’il ne servait plus à rien de combattre pour ce pays traître et assassin.
Jean avait pourtant bizarrement insisté pour qu’elle se rende à une des conférences du jeune homme.
Il les avait présentés.
Depuis son attitude étrangement bienveillante à son égard l’avait d’abord intriguée puis obsédée au point qu’elle ne pensait plus qu’à cela. Parfois elle se demandait même s’il n’était pas aussi une taupe, un envoyé dont la mission serait de dynamiter tous les groupes de résistance ou de non soumission à l’occupant.
Alors qu’elle l’avait d’abord pris pour un fat personnage, relativement immature, enfin assez pour n’être en proie à aucune réalité, sauf celle de sa pensée, il avait commencé à lui manifester des marques d’intérêt qui ne pouvaient qu’éveiller chez elle des réflexes enfouis, troubles depuis longtemps évacués de sa pauvre tête. Une certaine admiration a commencé à naître pour l’homme dont elle ne connaissait pas la pensée mais enviait l’élocution, l’aisance. Il ne restait cependant pour elle qu’un gamin, doué sans doute, courageux, mais n’ayant au fond aucune idée de ce vers quoi il avançait réellement. Les rares fois où elle avait pu lui parler, il lui balançait des phrases étranges, d’une gentillesse inappropriée, qui ne pouvait que sonner faux. Ce type était soit un parfait bonimenteur, soit un idiot qui n’avait toujours pas compris qu’on ne donnait pas son amitié aussi facilement. Ou bien avait-il simplement pitié d’elle. Peut-être était-ce de là qu’était partie son obsession. Puisqu’il ne fallait pas qu’il s’agisse d’un sentiment aussi vain et inutile, il y avait forcément autre chose. C’est alors qu’elle découvrit, à plus de quarante ans, qu’elle préférait encore qu’on l’aimât pour son physique que pour ses qualités intellectuelles ou son engagement, qui n’en était en plus pas un. Enfin, ce n’était même pas son physique qu’elle voulait qu’on appréciât, c’était plutôt son intimité qu’elle espérait qu’on désirât encore. Ce n’était pas du sexe, pas de la libido. Elle espérait que quelqu’un, quelque part était encore capable de la voir.
Elle n’était pas dupe cependant, mille explications pouvaient encore éclairer cet intérêt de plus en plus manifeste. La plupart n’étaient pas d’un romantisme absolu. Mais lorsque l’on approche de la fin de sa vie, qu’est en somme la fin définitive de sa jeunesse, on peut sans doute se contenter de peu.
Se contenter de se laisser séduire par la seule personne qui ose encore vous regarder.
M.G
jeudi, mars 29, 2007
Pour un monde meilleur ? (18)
Parfois je me demande ce que j’emporterai de Miami dans ma mort. Quelles images, quelles sensations garderai-je de ce lieu qui a en quelques sortes conditionné ma vie. De ce lieu qui a tant compté pour moi, qui m’a je pense investie d’un imaginaire que je croyais interdit, parce qu'à l'évidence il était too much.
Ce lieu que je ne reverrai sans doute jamais. Dont je ne sentirai jamais plus l’étouffante douceur, la magnifique tiédeur humide, du matin au soir, de la nuit érotique à l’aube romantique.
Je me demande s’il est possible que de ces néons absolument irréels, qui balancent leurs fils magiques et remuants dans l’espace en mouvement, je ne garde rien. Que tout cela m’ait été inutile, assez enfin pour qu’ils retombent dans une réalité dont je serai absente. Est-ce imaginable qu’un jour ces hôtels, ces chambres désuètes, ces espaces marqués par des années dont nous ne nous échapperons pas s’envolent en souffle de poussière pour laisser place au temps, pour laisser place à une suite. Les seventies et leur authenticité, figés à jamais dans l’autre Amérique, celle qui continue de vivre et de produire du rêve, celle qui malgré tout, malgré tout existe encore…
Celle où j’ai pu imaginer la suite de mon existence tout en la vivant en direct…
Miami et ses espaces réels, sable blanc, transats en bois, mer turquoise, et moi, en nous…
Amoureux partout, amoureux dedans.
Néons, hôtels, rhum, cocktails, batailles de rue, coup de points, cigarettes, drogue, salon de strip tease. Voitures, espaces, chaleur.
Nous étions beaux le soir lorsque nous sortions, bronzés, brillants, jeunes et désirant nous plaire. Nous n’avions rien vécu que de petits moments, petites douleurs, grandes alors, mais effacées pour un temps et toujours, dans ces nuits torrides, où l'air tiède, effleurant depuis les naco, nos peaux humides, ajoutaient à l’incroyable exotisme du lieu, une touche fictive. Tout relevait de la construction mentale, de l’exception qu’il est impossible de vivre et que pourtant nous avons eu la chance de connaître. Enfin je crois.
A moins que je n’aie rêvé tout ça. Simplement pour pouvoir emporter au fond du fond, un peu de la magie à laquelle chaque être humain aspire sans doute.
M.G
Ce lieu que je ne reverrai sans doute jamais. Dont je ne sentirai jamais plus l’étouffante douceur, la magnifique tiédeur humide, du matin au soir, de la nuit érotique à l’aube romantique.
Je me demande s’il est possible que de ces néons absolument irréels, qui balancent leurs fils magiques et remuants dans l’espace en mouvement, je ne garde rien. Que tout cela m’ait été inutile, assez enfin pour qu’ils retombent dans une réalité dont je serai absente. Est-ce imaginable qu’un jour ces hôtels, ces chambres désuètes, ces espaces marqués par des années dont nous ne nous échapperons pas s’envolent en souffle de poussière pour laisser place au temps, pour laisser place à une suite. Les seventies et leur authenticité, figés à jamais dans l’autre Amérique, celle qui continue de vivre et de produire du rêve, celle qui malgré tout, malgré tout existe encore…
Celle où j’ai pu imaginer la suite de mon existence tout en la vivant en direct…
Miami et ses espaces réels, sable blanc, transats en bois, mer turquoise, et moi, en nous…
Amoureux partout, amoureux dedans.
Néons, hôtels, rhum, cocktails, batailles de rue, coup de points, cigarettes, drogue, salon de strip tease. Voitures, espaces, chaleur.
Nous étions beaux le soir lorsque nous sortions, bronzés, brillants, jeunes et désirant nous plaire. Nous n’avions rien vécu que de petits moments, petites douleurs, grandes alors, mais effacées pour un temps et toujours, dans ces nuits torrides, où l'air tiède, effleurant depuis les naco, nos peaux humides, ajoutaient à l’incroyable exotisme du lieu, une touche fictive. Tout relevait de la construction mentale, de l’exception qu’il est impossible de vivre et que pourtant nous avons eu la chance de connaître. Enfin je crois.
A moins que je n’aie rêvé tout ça. Simplement pour pouvoir emporter au fond du fond, un peu de la magie à laquelle chaque être humain aspire sans doute.
M.G
mardi, mars 20, 2007
Pour un monde meilleur ?(17)

La nuit est agitée. De visions d’abord, puis de doutes incandescents. Comme une prison à laquelle on tente d’échapper par n’importe quel moyen tout en sachant qu’aucune libération n’est évidemment possible.
Au moins existe l’image, la possession du désir, énorme avantage de celle qui vit encore, et se sait pouvoir exulter. Les songes abritent leur lot de péchés, tandis que les moments d’éveil rattrapent bientôt la quiétude de ne pas trahir, de simplement se laisser effleurer par une pensée amie, un réconfort bienveillant.
S’il en est ainsi, c’est que sans doute, au fond de l'homme, une chose a pu se développer.
Il s’est laissé toucher par elle, emporter dans quelque intime trait de son caractère, qui lui aura plu, sans doute. Si cette nuit précise est envahie de tant de présence, elle le sait, cela signifie qu’une chose a eu lieu.
Elle se rendort cette fois pour se perdre dans les méandre d’un appartement étrange, une fiction d’appartement où les seules pièces fréquentées ressemblent toutes à des laveries. Immenses salles de bains, emplies de grands paniers en métal sur roulettes dans lesquels gisent quelques serviettes blanches. Il la plaque contre un mur. Il appuie sur son corps avec une force volontaire.
Il s’agit de l’appartement d’un grand-père, étrange absent.
Puis encore elle se réveille, oublie son visage, replonge dans ce doux délire que l’alcool aide un peu sans doute. Elle s’éloigne de tout. La nuit avance sans elle.
Pourtant une volonté implacable émane de ces images qui sont sans doute autant de pensées réunies en une seule : un homme peut aimer une femme pendant quelques minutes, quelques heures tout au plus. Ensuite advient la lente et douce usure des corps et des esprits, qui s’apparente finalement à un contrat, un pacte entre deux âmes : l’une souvent égarée l’autre souvent écervelée. Parce qu’ils se sont plu, qu’ils se sont dit oui, à un moment de fièvre, ils décident de se soutenir sur le chemin de la fin, par une aménité inquiète et résignée aussi. Mais les rares minutes, vécues ou fantasmées ne peuvent-elles pas à elles seules emplir une vie de l’espoir de les sentir encore, avec l’être dont on aura su se faire aimer pendant quelques heures… ou bien d’autres, simples avatars, ne servant qu’à recréer encore et toujours le moment originel, celui de la flamme.
Alors, en rêve, c’est comme une musique d’où l’on voit surgir mille personnages, mille tableaux, par le seul génie de quelques doigts agiles sur un clavier, d’une corde à laquelle un digne disparu a su affecter, par cette capacité unique d’anticipation, de projection, un peu de la magie du monde. La création de la matière entre quelques cordes qui vibrent. La fabrication de la réalité, de la concrétion s’inventant dans le vide entre le graphite et le papier…
Si l’on peut faire naître d’un peu de vide, peut-on empêcher alors la disparition ?
Soudain, ce sont les Cellules Techniques Unifamiliales qui apparaissent, habitées de tous ces autres qu’elle ne veut pas connaître, dont elle ne peut endurer qu’ils soient sa fin à elle. Pourtant l’idée était belle, qui lui a même permis de gagner de l’argent et de s’assurer un avenir. Projetée dans ce que les images de synthèse ont su montrer, elle avance, vogue presque sur des champs de blé immenses, dans un silence brut et épais.
Sous un soleil écrasant, projection d’un monde sans hivers, sans rupture aussi doux et insipide que ces épis dorés sur lesquels elle se laisse glisser vers l’infini.
M.G
Au moins existe l’image, la possession du désir, énorme avantage de celle qui vit encore, et se sait pouvoir exulter. Les songes abritent leur lot de péchés, tandis que les moments d’éveil rattrapent bientôt la quiétude de ne pas trahir, de simplement se laisser effleurer par une pensée amie, un réconfort bienveillant.
S’il en est ainsi, c’est que sans doute, au fond de l'homme, une chose a pu se développer.
Il s’est laissé toucher par elle, emporter dans quelque intime trait de son caractère, qui lui aura plu, sans doute. Si cette nuit précise est envahie de tant de présence, elle le sait, cela signifie qu’une chose a eu lieu.
Elle se rendort cette fois pour se perdre dans les méandre d’un appartement étrange, une fiction d’appartement où les seules pièces fréquentées ressemblent toutes à des laveries. Immenses salles de bains, emplies de grands paniers en métal sur roulettes dans lesquels gisent quelques serviettes blanches. Il la plaque contre un mur. Il appuie sur son corps avec une force volontaire.
Il s’agit de l’appartement d’un grand-père, étrange absent.
Puis encore elle se réveille, oublie son visage, replonge dans ce doux délire que l’alcool aide un peu sans doute. Elle s’éloigne de tout. La nuit avance sans elle.
Pourtant une volonté implacable émane de ces images qui sont sans doute autant de pensées réunies en une seule : un homme peut aimer une femme pendant quelques minutes, quelques heures tout au plus. Ensuite advient la lente et douce usure des corps et des esprits, qui s’apparente finalement à un contrat, un pacte entre deux âmes : l’une souvent égarée l’autre souvent écervelée. Parce qu’ils se sont plu, qu’ils se sont dit oui, à un moment de fièvre, ils décident de se soutenir sur le chemin de la fin, par une aménité inquiète et résignée aussi. Mais les rares minutes, vécues ou fantasmées ne peuvent-elles pas à elles seules emplir une vie de l’espoir de les sentir encore, avec l’être dont on aura su se faire aimer pendant quelques heures… ou bien d’autres, simples avatars, ne servant qu’à recréer encore et toujours le moment originel, celui de la flamme.
Alors, en rêve, c’est comme une musique d’où l’on voit surgir mille personnages, mille tableaux, par le seul génie de quelques doigts agiles sur un clavier, d’une corde à laquelle un digne disparu a su affecter, par cette capacité unique d’anticipation, de projection, un peu de la magie du monde. La création de la matière entre quelques cordes qui vibrent. La fabrication de la réalité, de la concrétion s’inventant dans le vide entre le graphite et le papier…
Si l’on peut faire naître d’un peu de vide, peut-on empêcher alors la disparition ?
Soudain, ce sont les Cellules Techniques Unifamiliales qui apparaissent, habitées de tous ces autres qu’elle ne veut pas connaître, dont elle ne peut endurer qu’ils soient sa fin à elle. Pourtant l’idée était belle, qui lui a même permis de gagner de l’argent et de s’assurer un avenir. Projetée dans ce que les images de synthèse ont su montrer, elle avance, vogue presque sur des champs de blé immenses, dans un silence brut et épais.
Sous un soleil écrasant, projection d’un monde sans hivers, sans rupture aussi doux et insipide que ces épis dorés sur lesquels elle se laisse glisser vers l’infini.
M.G
jeudi, mars 15, 2007
Pour un monde meilleur (16) ???!!!
Il se décide finalement.
- Ecoute, je pense que tu es une personne motivée et aussi douée qui plus est. Je crois donc que plutôt que de partir avec tous ces beaufs, tu devrais nous aider, te battre à nos côtés, même si dit comme ça, ça sonne un peu pompeux.
Elle le regarde un peu perdue. Un peu soule. La fatigue, les évènements. Cette lutte incessante contre elle-même et l’envie de se laisser aller à ce qui aurait pu être sa vie telle qu’elle l’avait construite jusqu’à un âge avancé, enfin adulte : profiter. Aujourd’hui comme elle aimerait tout laisser tomber et croire encore, croire que tout va bien comme tous ces anciens amis qu’elle a laissés sur le bord du chemin. Croire aux apparence que laisse exhiber la belle Paris en ses quartiers les plus côtoyés et encore convoités. Croire en la richesse, en la culture, en la mode. Oublier tout ce que l’on sait, parce qu’on l’a d’abord découvert sur Internet, puis qu’on a pu le constater par soi-même. Les entrailles se brûlent vivantes, la France est en train de se mourir de l’amertume de n’avoir jamais su lutter.
- alors qu’en dis-tu ? son regard brille toujours autant. Mais sans doute est-elle folle. Qu’en dit-elle ?
Elle en dit qu’elle laisserait bien tout tomber tout de suite pour suivre ce mec, oublier tout et tout le monde. Ceux qui savent. Ceux qui ne savent pas. Ceux qui croient. Ceux qui ne veulent pas croire. Parce que jamais ils ne veulent voir. Elle le suivrait dans cette Résistance nouvelle version. Enfin nouvelle vraie version. Pas la version des « corrects » qui ont trempé cela à toutes les sauces.
- j’en dis que je ne sais pas. J’en dis que bien sûr, je pense que, enfin comment dire, avec vous, je serais plus sûre de mes alliés qu’avec ces beaufs comme tu les appelles.
Ça y est, le tu vient. Doucement il a fini pas s’imposer, et il est lisse à l’oreille et à la bouche.
- J’en dis que vous avez raison. Mais tu es jeune, sans attaches sans doute…
Il l’interrompt brusquement.
- Tu n’en sais rien.
Elle reste un instant surprise, embarrassée presque…
- tu as raison, je n’en sais rien, et là n’est pas la question à vrai dire. La question est que je n’ai plus envie de me battre contre une évidence. Je n’ai plus envie de me battre contre un destin, et surtout, surtout, je n’ai plus envie de sauver un pays qui nous a trop, qui m’a trop trahie.
Il sourit. Commence à tripoter son paquet de cigarettes. En prend une.
Bravant tout ce qu’elle est, elle lui en demande une. Il la regarde étonnée. Doucement, il entrouvre à nouveau le paquet puis le lui tend. Elle soutient son regard et se sert, attend, les yeux fixés dans les siens qu’il lui allume sa cigarette. Ce qu’il fait enfin.
La conversation peut reprendre.
- je te comprends, lâche-t-il enfin.
- J’espère, répond-elle d’une voix tremblante.
- Mais tu as tort.
Soudain, elle n’a plus qu’un désir : qu’il l’emmène d’ici, vers quelque hôtel plus ou moins glauque. Qu’il lui permette de penser à autre chose enfin, tout sauf la lutte. La lutte épouvantable, éprouvante et tellement injuste. Chaque matin elle est au bord des larmes, la fatigue l’étrangle. Son mari, qui feint d’ignorer ce qui se passe, dont elle ne sait même pas s’il la suit, même si elle en est sûre au fond. Les enfants sont à peu près sortis de l’auberge, ils partent aux Etats-Unis dans moins d’un mois. Qui sait si elle les reverra…
Alors pourquoi ne pas faire ça maintenant. S’il en a envie comme elle croit le percevoir. Ça lui laissera au moins un souvenir. Elle sait bien que sa vie sexuelle va se disperser jusqu’à disparaître bientôt. Elle sait bien que rien n’est éternel. Le corps, le visage, les idées.
Elle lui sourit. Et répond avec sarcasme.
- ah bon ? j’ai tort. Comment peux-tu savoir si j’ai tort.
- Je le sais, c’est tout.
- Vraiment ? c’est formidable ça…
- Sans doute, mais c’est comme ça.
- Vas-y…
- Quoi vas-y ? ses yeux s’éclairent.
- Explique-moi en quoi c’est comme ça, en quoi j’ai tort. Elle jubile soudain.
- Je vais le faire. Il commence à pianoter sur la table, se retourne à la recherche d’un serveur. En voit un, le hèle.
- Que veux-tu boire ?
Elle hésite.
- euh, une vodka.
Il sourit tout en prenant un air surpris.
- une vodka ? eh bien va pour deux vodkas.
Le serveur est reparti. Il s’avance vers elle, les mains posées sur la table, vient à sa rencontre.
- tu as tort, parce qu’on n’a jamais raison de renoncer.
- Tu me traites de lâche ?
- Non pas du tout, je peux comprendre, enfin imaginer ce qui t’a fait prendre ce chemin plutôt qu’un autre. Et bien évidemment que je comprends cela, mais… mais comment dire. On a besoin de vous, de tout le monde, et tu verras on gagnera.
Elle éclaterait de rire si elle n’était si triste, depuis tant d’années maintenant.
- comment veux-tu qu’on gagne ? et gagner pour quoi. Ce pays est non seulement perdu, mais en plus, on devrait lui cracher à la figure de nous avoir tellement trahis. Quand tes grand-parents, puisque j’imagine que tes parents sont nés en France, sont-ils arrivés ?
- hum… ma grand-mère est née en France, et mon grand-père est arrivé un peu avant la guerre.
- Ils venaient d’où ?
- Pologne et Roumanie.
Elle baisse les yeux. Les vodkas arrivent. Elle demande au serveur s’il est possible d’acheter des cigarettes.
- mais j’en ai. Intervient Yohan, ce n’est pas la peine d’en acheter.
- Ça me gêne.
- Je t’en prie, ne sois pas gênée, c’est avec plaisir, j’en ai plusieurs paquets. Le serveur attend, c’est bon lui lance-t-il. Pas de cigarettes. Juste deux vodkas.
- Pologne et Roumanie donc, comme mes grand parents. C’est drôle. Enfin du côté de ma mère.
Il sourit et lui propose une cigarette qu’elle n’a d’autre choix que d’accepter. Alors elle accepte, sourit légèrement et attend une nouvelle fois qu’il lui tende la flamme de son briquet.
- et tu sais pourquoi ils sont venus en France, n’est-ce pas ?
- bien sûr que je le sais. Et je sais aussi où tu veux en venir… mais ça ne change rien. Ca ne changera rien à mon engagement.
- Mais je ne veux rien changer à ton engagement, je le trouve magnifique. Un peu utopiste mais beau. Mais moi je ne peux pas.
- Mais tu imagines, enfin je ne dis pas ça pour toi, mais tu imagines si tout le monde pensait comme toi…
- Oui, mais de toute façon tout le monde ne pense pas comme moi. Certains sont prêts à se battre, et ne croie par que j’aie envie qu’ils se battent pour moi. J’ai juste envie de m’en foutre. De tirer un trait. Un trait sur ce pays qui ne nous a jamais aimés, nous a livrés et s’apprête à le refaire.
- Mais Martha…
- Non. Tu sais, ne t’imagine pas que les pogroms se passaient au Moyen Age.
- Mais je ne l’imagine pas du tout.
- Oui, mais ce que je veux te dire, c’est que c’était une chose beaucoup plus banale que ce que l’on peut croire. Mon grand-père racontait à ma mère comment cela se passait. Les gens s’entendaient bien. Il leur arrivait de plaisanter. De se côtoyer, même si on ne peut sans doute pas dire qu’ils vivaient ensemble. Car bien sûr à cette époque pour, toujours les mêmes raisons, le communautarisme était la règle, j’emploie ce terme à dessein car j’exècre cette notion inventée par les antisémites. Enfin, voilà, ils communiquaient, et de temps en temps, les Cosaques picolaient un coup, et ils descendaient dans les villages et butaient tout le monde.
- Je sais tout cela.
- Oui, je me doute que tu sais tout cela. Mais je crois, elle s’arrêta, la vodka commençait à faire effet, je crois que quelque part tu es trop jeune pour vraiment sentir que ce n’était pas le Moyen Age, et que tes grands-parents comme les miens sont venus ici, parce qu’ils croyaient qu’ici on les protègerait…
- Enfin je sais tout cela. Répondit-il durement.
- Oui, tu le sais, mais on dirait que ça ne te suffit pas. D’ailleurs c’est pareil pour tous les intellectuels français. Je n’ai jamais compris pourquoi ils restaient, eux étaient encore mieux informés que nous. Enfin bien sûr, ils écrivent en Français, mais… elle s’arrêta.
- Ça ne va pas ? il avait l’air vraiment inquiet.
- Si ça va, enfin je suis fatiguée. Tu sais ce n’est plus de mon âge tout cela.
- Oh arrête. J’ai bien remarqué que tu veux tout le temps te faire passer pour une vieille.
- Peut-être parce que je suis vieille.
Elle le regarda encore. Pourrait-elle vraiment se laisser toucher par un aussi jeune homme, une flamme juvénile éclairait son regard. Il lui semblait qu’il pourrait presque être son fils. De toute façon, dès qu’on devient mère, on perçoit facilement les jeunes hommes comme des fils potentiels.
En même temps, la transgression lui apparaissait ce soir comme tellement excitante. Elle tenta de se concentrer et reprit, avant qu’il ne se décide par sa faconde à lui interdire toute capacité de s’expliquer.
- peut-être qu’en tant que vieille, je peux avoir le privilège de, enfin le bénéfice du doute.
- Tu plaisantes j’espère ?
Décidément, il pouvait être violent.
- comment ça ?
- eh bien tu n’as aucun bénéfice du doute, justement parce que tu es jeune, intelligente, brillante à n’en pas douter, et même séduisante, ce qui n’a rien à voir, mais ce qui fait, que je te répondrai comme à n’importe quel autre interlocuteur…
- oui, mais pourtant tu dois avoir confiance dans mon expérience. Au moins l’écouter…
- ça d’accord, je t’écoute. Je t’écoute jusqu’au bout de la nuit s’il le faut, mais je te dirai ensuite ce que j’aurai à te dire.
M.G
- Ecoute, je pense que tu es une personne motivée et aussi douée qui plus est. Je crois donc que plutôt que de partir avec tous ces beaufs, tu devrais nous aider, te battre à nos côtés, même si dit comme ça, ça sonne un peu pompeux.
Elle le regarde un peu perdue. Un peu soule. La fatigue, les évènements. Cette lutte incessante contre elle-même et l’envie de se laisser aller à ce qui aurait pu être sa vie telle qu’elle l’avait construite jusqu’à un âge avancé, enfin adulte : profiter. Aujourd’hui comme elle aimerait tout laisser tomber et croire encore, croire que tout va bien comme tous ces anciens amis qu’elle a laissés sur le bord du chemin. Croire aux apparence que laisse exhiber la belle Paris en ses quartiers les plus côtoyés et encore convoités. Croire en la richesse, en la culture, en la mode. Oublier tout ce que l’on sait, parce qu’on l’a d’abord découvert sur Internet, puis qu’on a pu le constater par soi-même. Les entrailles se brûlent vivantes, la France est en train de se mourir de l’amertume de n’avoir jamais su lutter.
- alors qu’en dis-tu ? son regard brille toujours autant. Mais sans doute est-elle folle. Qu’en dit-elle ?
Elle en dit qu’elle laisserait bien tout tomber tout de suite pour suivre ce mec, oublier tout et tout le monde. Ceux qui savent. Ceux qui ne savent pas. Ceux qui croient. Ceux qui ne veulent pas croire. Parce que jamais ils ne veulent voir. Elle le suivrait dans cette Résistance nouvelle version. Enfin nouvelle vraie version. Pas la version des « corrects » qui ont trempé cela à toutes les sauces.
- j’en dis que je ne sais pas. J’en dis que bien sûr, je pense que, enfin comment dire, avec vous, je serais plus sûre de mes alliés qu’avec ces beaufs comme tu les appelles.
Ça y est, le tu vient. Doucement il a fini pas s’imposer, et il est lisse à l’oreille et à la bouche.
- J’en dis que vous avez raison. Mais tu es jeune, sans attaches sans doute…
Il l’interrompt brusquement.
- Tu n’en sais rien.
Elle reste un instant surprise, embarrassée presque…
- tu as raison, je n’en sais rien, et là n’est pas la question à vrai dire. La question est que je n’ai plus envie de me battre contre une évidence. Je n’ai plus envie de me battre contre un destin, et surtout, surtout, je n’ai plus envie de sauver un pays qui nous a trop, qui m’a trop trahie.
Il sourit. Commence à tripoter son paquet de cigarettes. En prend une.
Bravant tout ce qu’elle est, elle lui en demande une. Il la regarde étonnée. Doucement, il entrouvre à nouveau le paquet puis le lui tend. Elle soutient son regard et se sert, attend, les yeux fixés dans les siens qu’il lui allume sa cigarette. Ce qu’il fait enfin.
La conversation peut reprendre.
- je te comprends, lâche-t-il enfin.
- J’espère, répond-elle d’une voix tremblante.
- Mais tu as tort.
Soudain, elle n’a plus qu’un désir : qu’il l’emmène d’ici, vers quelque hôtel plus ou moins glauque. Qu’il lui permette de penser à autre chose enfin, tout sauf la lutte. La lutte épouvantable, éprouvante et tellement injuste. Chaque matin elle est au bord des larmes, la fatigue l’étrangle. Son mari, qui feint d’ignorer ce qui se passe, dont elle ne sait même pas s’il la suit, même si elle en est sûre au fond. Les enfants sont à peu près sortis de l’auberge, ils partent aux Etats-Unis dans moins d’un mois. Qui sait si elle les reverra…
Alors pourquoi ne pas faire ça maintenant. S’il en a envie comme elle croit le percevoir. Ça lui laissera au moins un souvenir. Elle sait bien que sa vie sexuelle va se disperser jusqu’à disparaître bientôt. Elle sait bien que rien n’est éternel. Le corps, le visage, les idées.
Elle lui sourit. Et répond avec sarcasme.
- ah bon ? j’ai tort. Comment peux-tu savoir si j’ai tort.
- Je le sais, c’est tout.
- Vraiment ? c’est formidable ça…
- Sans doute, mais c’est comme ça.
- Vas-y…
- Quoi vas-y ? ses yeux s’éclairent.
- Explique-moi en quoi c’est comme ça, en quoi j’ai tort. Elle jubile soudain.
- Je vais le faire. Il commence à pianoter sur la table, se retourne à la recherche d’un serveur. En voit un, le hèle.
- Que veux-tu boire ?
Elle hésite.
- euh, une vodka.
Il sourit tout en prenant un air surpris.
- une vodka ? eh bien va pour deux vodkas.
Le serveur est reparti. Il s’avance vers elle, les mains posées sur la table, vient à sa rencontre.
- tu as tort, parce qu’on n’a jamais raison de renoncer.
- Tu me traites de lâche ?
- Non pas du tout, je peux comprendre, enfin imaginer ce qui t’a fait prendre ce chemin plutôt qu’un autre. Et bien évidemment que je comprends cela, mais… mais comment dire. On a besoin de vous, de tout le monde, et tu verras on gagnera.
Elle éclaterait de rire si elle n’était si triste, depuis tant d’années maintenant.
- comment veux-tu qu’on gagne ? et gagner pour quoi. Ce pays est non seulement perdu, mais en plus, on devrait lui cracher à la figure de nous avoir tellement trahis. Quand tes grand-parents, puisque j’imagine que tes parents sont nés en France, sont-ils arrivés ?
- hum… ma grand-mère est née en France, et mon grand-père est arrivé un peu avant la guerre.
- Ils venaient d’où ?
- Pologne et Roumanie.
Elle baisse les yeux. Les vodkas arrivent. Elle demande au serveur s’il est possible d’acheter des cigarettes.
- mais j’en ai. Intervient Yohan, ce n’est pas la peine d’en acheter.
- Ça me gêne.
- Je t’en prie, ne sois pas gênée, c’est avec plaisir, j’en ai plusieurs paquets. Le serveur attend, c’est bon lui lance-t-il. Pas de cigarettes. Juste deux vodkas.
- Pologne et Roumanie donc, comme mes grand parents. C’est drôle. Enfin du côté de ma mère.
Il sourit et lui propose une cigarette qu’elle n’a d’autre choix que d’accepter. Alors elle accepte, sourit légèrement et attend une nouvelle fois qu’il lui tende la flamme de son briquet.
- et tu sais pourquoi ils sont venus en France, n’est-ce pas ?
- bien sûr que je le sais. Et je sais aussi où tu veux en venir… mais ça ne change rien. Ca ne changera rien à mon engagement.
- Mais je ne veux rien changer à ton engagement, je le trouve magnifique. Un peu utopiste mais beau. Mais moi je ne peux pas.
- Mais tu imagines, enfin je ne dis pas ça pour toi, mais tu imagines si tout le monde pensait comme toi…
- Oui, mais de toute façon tout le monde ne pense pas comme moi. Certains sont prêts à se battre, et ne croie par que j’aie envie qu’ils se battent pour moi. J’ai juste envie de m’en foutre. De tirer un trait. Un trait sur ce pays qui ne nous a jamais aimés, nous a livrés et s’apprête à le refaire.
- Mais Martha…
- Non. Tu sais, ne t’imagine pas que les pogroms se passaient au Moyen Age.
- Mais je ne l’imagine pas du tout.
- Oui, mais ce que je veux te dire, c’est que c’était une chose beaucoup plus banale que ce que l’on peut croire. Mon grand-père racontait à ma mère comment cela se passait. Les gens s’entendaient bien. Il leur arrivait de plaisanter. De se côtoyer, même si on ne peut sans doute pas dire qu’ils vivaient ensemble. Car bien sûr à cette époque pour, toujours les mêmes raisons, le communautarisme était la règle, j’emploie ce terme à dessein car j’exècre cette notion inventée par les antisémites. Enfin, voilà, ils communiquaient, et de temps en temps, les Cosaques picolaient un coup, et ils descendaient dans les villages et butaient tout le monde.
- Je sais tout cela.
- Oui, je me doute que tu sais tout cela. Mais je crois, elle s’arrêta, la vodka commençait à faire effet, je crois que quelque part tu es trop jeune pour vraiment sentir que ce n’était pas le Moyen Age, et que tes grands-parents comme les miens sont venus ici, parce qu’ils croyaient qu’ici on les protègerait…
- Enfin je sais tout cela. Répondit-il durement.
- Oui, tu le sais, mais on dirait que ça ne te suffit pas. D’ailleurs c’est pareil pour tous les intellectuels français. Je n’ai jamais compris pourquoi ils restaient, eux étaient encore mieux informés que nous. Enfin bien sûr, ils écrivent en Français, mais… elle s’arrêta.
- Ça ne va pas ? il avait l’air vraiment inquiet.
- Si ça va, enfin je suis fatiguée. Tu sais ce n’est plus de mon âge tout cela.
- Oh arrête. J’ai bien remarqué que tu veux tout le temps te faire passer pour une vieille.
- Peut-être parce que je suis vieille.
Elle le regarda encore. Pourrait-elle vraiment se laisser toucher par un aussi jeune homme, une flamme juvénile éclairait son regard. Il lui semblait qu’il pourrait presque être son fils. De toute façon, dès qu’on devient mère, on perçoit facilement les jeunes hommes comme des fils potentiels.
En même temps, la transgression lui apparaissait ce soir comme tellement excitante. Elle tenta de se concentrer et reprit, avant qu’il ne se décide par sa faconde à lui interdire toute capacité de s’expliquer.
- peut-être qu’en tant que vieille, je peux avoir le privilège de, enfin le bénéfice du doute.
- Tu plaisantes j’espère ?
Décidément, il pouvait être violent.
- comment ça ?
- eh bien tu n’as aucun bénéfice du doute, justement parce que tu es jeune, intelligente, brillante à n’en pas douter, et même séduisante, ce qui n’a rien à voir, mais ce qui fait, que je te répondrai comme à n’importe quel autre interlocuteur…
- oui, mais pourtant tu dois avoir confiance dans mon expérience. Au moins l’écouter…
- ça d’accord, je t’écoute. Je t’écoute jusqu’au bout de la nuit s’il le faut, mais je te dirai ensuite ce que j’aurai à te dire.
M.G
vendredi, février 16, 2007
Pour un monde meilleur (15)
Pour que l’angoisse soit à son faîte, elle commence à remarquer que l’homme, le jeune homme est plutôt bien fait de sa personne. Un visage intéressant, et surtout un regard sombre et pénétrant.
L’heure est grave, assurément, il n’est sans doute pas là pour parler à une pauvre vieille adolescente en mal de sensations, et pourtant il lui semble qu’il la transperce d’un regard qui est toute autre chose que la simple volonté de la voir se rallier à leur cause.
Mais quelle est cette cause ?
- Alors vous voyez ça comment ? lui demande-t-elle pour rompre ce qui pourrait bien passer pour une gêne indépassable, empourprée d’une honte coupable. Au fond d’elle, la certitude de n’être pas là pour les bonnes raisons. Pas là pour sauver l’humanité ou au moins sa partie la plus exposée qui est de toute façon condamnée. Non juste là pour savourer ce peu de temps d’une toute fin de jeunesse agonisante. Encore un peu de fraîcheur ou au moins de féminité qui la font se trouver en face d’un jeune homme au regard étincelant qui ne peut pas n’être allumé que par de bons et grands sentiments. S’il la regarde ainsi au fond d’elle-même, s’il enfonce cette persistance vers elle, c’est qu’il n’y a pas que l’esprit, mais que la chair est et sera toujours présente.
Elle n’en peut douter. Elle ne veut pas en douter…
La fixant droit dans les yeux, il s’allume une cigarette, alors qu’elle a refusé celle qu’il lui proposait. Va-t-il enfin se décider à parler ou simplement continuer ainsi ? car s’il continue ainsi, il se pourrait bien que dans quelques longues minutes, s’il le propose, elle se retrouve contre toute attente et tous principes, au fond de quelques draps plus ou moins frais, dans les sécrétions que l’humeur venimeuse du moment impose.
- que veux-tu savoir ?
Dieu que ce tutoiement accroche.
- Eh bien je ne sais pas. Disons que…, son sourire a l’air si pur…, comment se fait-il qu’elle soit toujours elle-même avec tant de conviction, qu’elle ne soit jamais parvenue à être une autre, plus forte, moins transparente, moins évidente.
- Oui…
- Non, elle prend sa voix calme, celle de l’aînée qu’elle est censée représenter. D’autant que c’est elle qui l’a attirée à lui en premier, il ne faut pas l’oublier. Je voudrais savoir ce que tu attends de moi…
Il rit. Et sans prononcer un mot s’enfonce dans son siège. La regarde encore.
Soudain elle se souvient de ce visage fatigué, de ce sentiment d’abandon qui la prend chaque matin lorsqu’elle tente de le recomposer, de cette envie de s’en remettre à l’évidence, d’accepter qu’elle est hors jeu, ce que le peu de libido qui l’habite encore laissait entendre finalement. Que peut-il donc percevoir d’elle ? a-t-elle encore le moindre pouvoir sur les hommes, à l’instar de la jeune blonde à la matrice ?
Est-il possible que le fond de l’être existe vraiment ?
M.G
L’heure est grave, assurément, il n’est sans doute pas là pour parler à une pauvre vieille adolescente en mal de sensations, et pourtant il lui semble qu’il la transperce d’un regard qui est toute autre chose que la simple volonté de la voir se rallier à leur cause.
Mais quelle est cette cause ?
- Alors vous voyez ça comment ? lui demande-t-elle pour rompre ce qui pourrait bien passer pour une gêne indépassable, empourprée d’une honte coupable. Au fond d’elle, la certitude de n’être pas là pour les bonnes raisons. Pas là pour sauver l’humanité ou au moins sa partie la plus exposée qui est de toute façon condamnée. Non juste là pour savourer ce peu de temps d’une toute fin de jeunesse agonisante. Encore un peu de fraîcheur ou au moins de féminité qui la font se trouver en face d’un jeune homme au regard étincelant qui ne peut pas n’être allumé que par de bons et grands sentiments. S’il la regarde ainsi au fond d’elle-même, s’il enfonce cette persistance vers elle, c’est qu’il n’y a pas que l’esprit, mais que la chair est et sera toujours présente.
Elle n’en peut douter. Elle ne veut pas en douter…
La fixant droit dans les yeux, il s’allume une cigarette, alors qu’elle a refusé celle qu’il lui proposait. Va-t-il enfin se décider à parler ou simplement continuer ainsi ? car s’il continue ainsi, il se pourrait bien que dans quelques longues minutes, s’il le propose, elle se retrouve contre toute attente et tous principes, au fond de quelques draps plus ou moins frais, dans les sécrétions que l’humeur venimeuse du moment impose.
- que veux-tu savoir ?
Dieu que ce tutoiement accroche.
- Eh bien je ne sais pas. Disons que…, son sourire a l’air si pur…, comment se fait-il qu’elle soit toujours elle-même avec tant de conviction, qu’elle ne soit jamais parvenue à être une autre, plus forte, moins transparente, moins évidente.
- Oui…
- Non, elle prend sa voix calme, celle de l’aînée qu’elle est censée représenter. D’autant que c’est elle qui l’a attirée à lui en premier, il ne faut pas l’oublier. Je voudrais savoir ce que tu attends de moi…
Il rit. Et sans prononcer un mot s’enfonce dans son siège. La regarde encore.
Soudain elle se souvient de ce visage fatigué, de ce sentiment d’abandon qui la prend chaque matin lorsqu’elle tente de le recomposer, de cette envie de s’en remettre à l’évidence, d’accepter qu’elle est hors jeu, ce que le peu de libido qui l’habite encore laissait entendre finalement. Que peut-il donc percevoir d’elle ? a-t-elle encore le moindre pouvoir sur les hommes, à l’instar de la jeune blonde à la matrice ?
Est-il possible que le fond de l’être existe vraiment ?
M.G
samedi, février 10, 2007
Pour un monde meilleur (14)
Elle s’approche de lui, puisqu’il est prévu qu’elle le fasse, et lorsqu’elle est environ à deux mètres de lui, elle croise son regard. Et la chose se produit. Cette chose qui ne lui était pas arrivée depuis tant d’années. Depuis tout ce temps où elle se sentait vieille, où elle se sentait contrainte de tenir son rang. Un sourire parcourt les deux visages qui se remettent vite au sérieux qu’ils s’imposent.
- vous allez bien ? lui demande-t-elle, le devançant légèrement.
- On peut peut-être se tutoyer. Qu’en penses-tu ?
Elle n’en pense rien en réalité. Oui, non, qu’importe…
Ce n’est que plus tard. Lorsqu’elle repensera à cette soirée, qu’elle tentera d’interpréter cette prise de position, soit comme une avancée anodine, soit comme une marque d’affection, qui la reconnectera au regard échangé quelques secondes plus tôt. Alors ce petit corps, qu’elle jugeait endormi se réveillera. Alors même pensera-t-elle à des choses insensées, comme des sentiments.
Au fond elle s’est toujours emballée si vite. A peine un homme lui souriait-elle qu’elle pensait déjà au mariage.
Elle est mariée depuis presque vingt ans maintenant. Une collaboration étrange. Une confiance énorme, puis brisée mille fois. Un amour évident, mais entaché par la vie, et par la nécessité de vivre aussi.
Le petit blouson de cuir la recouvre comme une seconde jeunesse. Qui peut vraiment affirmer qu’il a vu passer les années ?
- où en es-tu de ton côté Martha ? n’es-tu toujours pas motivée pour quitter votre projet de fuite et nous rejoindre, nous rejoindre vraiment ?
- je ne suis pas sûre que vous ayez, enfin que tu aies vraiment besoin de moi.
Il la regarde d’un air étrange. Comme s’il la soumettait à une analyse méticuleuse, afin de déterminer si oui ou non, elle était une traîtresse. De toute façon, où qu’elle aille, elle a toujours été une traîtresse. Traîtresse par nature, traîtresse par origine, traîtresse par impiété, traîtresse pour toutes les raisons du monde.
- mais bien sûr que nous avons besoin de toi. Nous avons besoin de toutes les bonnes âmes motivées.
- Oui, mais je ne suis pas seule. Je suis responsable de l’avenir de mes enfants.
Il lui jette un autre regard trouble, mais à ce moment un groupe de quatre ou cinq personnes s’approche de lui pour le féliciter chaleureusement. D’instinct elle se retire, et songe immédiatement à partir, sans rien dire, sans laisser de trace.
Prendre l’avion.
Elle qui l’a craint pendant tant d’années, comme elle aimerait le faire aujourd’hui. Prendre sa famille, quelques affaires, le peu d’argent disponible et disparaître. Effacer toute preuve de la présence de cette famille en ces terres maudites. Plus rien, aucun ancêtre, enfin de son côté à elle bien sûr, car c’est de son côté que les trahisons ont été commises avec le plus de force. Au point que chacun, chaque membre de sa famille un tant soit peu lucide s’étonne chaque jour un peu plus d’être resté en ce pays. Comme si ce qui s’était passé pendant la deuxième guerre mondiale n’avait pas suffi. Comme si tous les signes qui avaient suivi n’avaient pas suffi non plus.
Elle s’éloigne, mais il la rappelle.
- attends, Martha, il s’excuse auprès des intrus, et s’avance vers elle. Ecoute, j’aimerais vraiment qu’on en reparle. Tu as du temps là, maintenant ? Elle regarde sa montre. Il est presque onze heures. Elle hésite et finalement accepte.
M.G
- vous allez bien ? lui demande-t-elle, le devançant légèrement.
- On peut peut-être se tutoyer. Qu’en penses-tu ?
Elle n’en pense rien en réalité. Oui, non, qu’importe…
Ce n’est que plus tard. Lorsqu’elle repensera à cette soirée, qu’elle tentera d’interpréter cette prise de position, soit comme une avancée anodine, soit comme une marque d’affection, qui la reconnectera au regard échangé quelques secondes plus tôt. Alors ce petit corps, qu’elle jugeait endormi se réveillera. Alors même pensera-t-elle à des choses insensées, comme des sentiments.
Au fond elle s’est toujours emballée si vite. A peine un homme lui souriait-elle qu’elle pensait déjà au mariage.
Elle est mariée depuis presque vingt ans maintenant. Une collaboration étrange. Une confiance énorme, puis brisée mille fois. Un amour évident, mais entaché par la vie, et par la nécessité de vivre aussi.
Le petit blouson de cuir la recouvre comme une seconde jeunesse. Qui peut vraiment affirmer qu’il a vu passer les années ?
- où en es-tu de ton côté Martha ? n’es-tu toujours pas motivée pour quitter votre projet de fuite et nous rejoindre, nous rejoindre vraiment ?
- je ne suis pas sûre que vous ayez, enfin que tu aies vraiment besoin de moi.
Il la regarde d’un air étrange. Comme s’il la soumettait à une analyse méticuleuse, afin de déterminer si oui ou non, elle était une traîtresse. De toute façon, où qu’elle aille, elle a toujours été une traîtresse. Traîtresse par nature, traîtresse par origine, traîtresse par impiété, traîtresse pour toutes les raisons du monde.
- mais bien sûr que nous avons besoin de toi. Nous avons besoin de toutes les bonnes âmes motivées.
- Oui, mais je ne suis pas seule. Je suis responsable de l’avenir de mes enfants.
Il lui jette un autre regard trouble, mais à ce moment un groupe de quatre ou cinq personnes s’approche de lui pour le féliciter chaleureusement. D’instinct elle se retire, et songe immédiatement à partir, sans rien dire, sans laisser de trace.
Prendre l’avion.
Elle qui l’a craint pendant tant d’années, comme elle aimerait le faire aujourd’hui. Prendre sa famille, quelques affaires, le peu d’argent disponible et disparaître. Effacer toute preuve de la présence de cette famille en ces terres maudites. Plus rien, aucun ancêtre, enfin de son côté à elle bien sûr, car c’est de son côté que les trahisons ont été commises avec le plus de force. Au point que chacun, chaque membre de sa famille un tant soit peu lucide s’étonne chaque jour un peu plus d’être resté en ce pays. Comme si ce qui s’était passé pendant la deuxième guerre mondiale n’avait pas suffi. Comme si tous les signes qui avaient suivi n’avaient pas suffi non plus.
Elle s’éloigne, mais il la rappelle.
- attends, Martha, il s’excuse auprès des intrus, et s’avance vers elle. Ecoute, j’aimerais vraiment qu’on en reparle. Tu as du temps là, maintenant ? Elle regarde sa montre. Il est presque onze heures. Elle hésite et finalement accepte.
M.G
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