vendredi, avril 13, 2007

Pour un monde meilleur ? (21)

« c’est beau. Non ?

lui demande-t-elle maîtrisant à peine son enthousiasme. Il se contente de sourire, ne la laissant pas vraiment deviner son sentiment.

- en une autre époque, j’aurais été fière je crois…
- pourquoi, qu’est-ce que ça change ?
- ben là c’est, enfin comment dire plutôt inutile, non ? Alors qu’avant je pensais que je travaillais pour quelque chose. J’ai même, à une époque eu le sentiment de créer un peu…
- mais vous créez. Enfin, c’est bien vous qui avez dessiné cela…
- dessiné, dessiné, euh oui, plus que ça encore. J’ai passé des heures, des nuits à imaginer tout cela. D’abord il fallait avoir le projet, puis ensuite la forme etc… enfin vous savez…
- oui j’imagine. Et c’est plutôt bien, non ? On est contents.
- Oui, je pense. Mais ça me fait bizarre de me dire que cela restera uniquement dans le champ du confidentiel. Que cette forme. Que cette idée au fond ne seront qu’un élément qui aura servi à quelques personnes et rien de plus…
- Vous voulez quoi ? qu’on le commercialise ? à grande échelle.
- Non, enfin ce ne serait pas possible… non ce n’est pas cela.

Elle s’arrête un instant pour regarder l’engin. Près de la fenêtre atelier en verre feuilleté, dont le haut était cassé, ses parties métalliques luisaient d’une manière imprévue. A cela aussi elle avait beaucoup réfléchi. Sans doute par déformation professionnelle, ou était-ce simplement lié à son caractère : elle était perfectionniste. Avait malgré tout été formée à l’être. Au départ, elle avait envisagé une coque complètement mate sans le moindre reflet. Un élément qui par ses qualités de non réflexion se fondrait complètement dans le paysage. Dans l’univers. Elle trouvait cela très beau. Elle se souvenait d’avoir repensé à une œuvre d’Anish Kapoor qu’elle avait vue au CAPC de Bordeaux. Il s’agissait d’une demi-sphère, pas tout à fait sphérique d’ailleurs, demi-ellipse donc, suspendue. On pénétrait dessous, et soudain on se sentait comme aspiré par le vide. Le sentiment était tout à fait inconnu. Inédit. Le dôme dont on ne distinguait en réalité absolument pas la face interne faisait 8 mètres de diamètre, mais la profondeur en était annulée par le pigment utilisé. Et la lumière peut-être. Soudain, alors que l’on n’était même pas dans un espace différent, on était transporté nulle part. Plusieurs fois, elle est ressortie de cette emprise pour voir les autres œuvres, et plusieurs fois y est retournée, comme aspirée, comme pour faire le plein de cette non matière, de cette non essence.

L’objet qu’elle avait devant les yeux ressemblait davantage à une autre œuvre de l’artiste réalisée plus tard. Une sculpture en métal poli dont les reflets avaient eux aussi tendance à annuler la forme. Sans doute avait-elle malgré tout été nourrie de cette volonté d’éviction. Qui après tout convenait tout à fait à la situation. Disparaître et se fondre dans le rien.

Le plus drôle ici était qu’il s’agissait de morceaux à assembler, ayant donc chacun leur forme propre pour pouvoir à un moment devenir des pièces à vivre, comme un puzzle, ayant donc chacune une particularité qui pourtant par l’abstraction de la matière et de la volonté du créateur s’annulait de fait, s’évanouissait pour laisser place à l’absence de ce que l’on ne peut définir.

M.G

2 commentaires:

Anonyme a dit…

On vient tout juste de m'apprendre à qui avais-je l'honneur. Félicitations pour vos publications. Elles sont croustillantes et parfois droles.
J'ai meme réussi à convaincre un ami qui les trouvaient trop fade de persévérer...Il n'y aurait donc pas de fatalité?

M.G a dit…

Merci Major.

Espérons qu'il n'y a pas de fatalité. Qu'une maigre lutte peut parfois apporter quelques résultats...

Bonjour à Woland... (s'il nous regarde...)