vendredi, février 02, 2007

Pour un monde meilleur (13)

« Il est comme la trace exclusive de ce qu’ils n’ont pas su voir ou comprendre, car après tout, il n’est pas de plus secret espoir que de savoir ainsi, sans savoir que l’on sait, de déchiffrer inconsciemment alors que la réalité qui nous étreint est une opacité sans fond. Infuser.
C’est un peu la même idée que cette légende que l’on donne à croire aux écoliers. Après leurs devoirs, s’ils cachent le livre sous leur oreiller, ils finiront pas connaître immanquablement leur leçon. Le savoir rentrera en eux. Nul ne prétend que cela marchera si l’enfant n’a pas étudié auparavant, cela serait du reste parfaitement immoral. Mais ensuite, pour apaiser craintes et angoisses, ils inventent cette fable à laquelle ils croient un peu eux-mêmes sans doute. L’enfant est récompensé, mais aussi, on lui permet d’avancer, en luttant contre cet indicible doute qui plane comme une tâche sombre sur chaque créature dont les pas foulent le sol instable. Combattre les craintes et se soulager soi-même. S’il est possible d’ignorer l’incommensurable effort qu’est à parcourir par ceux que l’on met sur la terre, alors c’est un peu de temps gagné.
Ils n’ont pas vu.
La plupart en tout cas, mais bien sûr ils croient savoir car le livre de la platitude les accompagne depuis si longtemps.
De toute évidence, pour vivre, il faut un peu de cette insouciance coupable, et un peu de cette magie à laquelle on ne croit pas vraiment, mais un petit peu seulement. Juste assez au fond pour continuer, parce que ne pas savoir, ne jamais savoir de quoi est faite la seconde suivante, est l’unique et l’évidente raison de toute croyance. Lutter ainsi contre la peur indicible de ce trou béant qu’est demain.

Aujourd’hui, plus que jamais peut-être, plus qu’hier en tout cas, le trou béant est bien au bord de nos pieds inquiets, de nos existences mornes de n’avoir plus rien à quoi les confronter en cette terre étroite et traîtresse qui nous a nourris de ses mensonges et boniments.
Enfin la nation renaît, elle renaît de ce que l’on sent qu’on la quitte, qu’on la quitte alors que décidément il nous est demandé de nous accrocher à ses terres jadis chantantes, aujourd’hui muettes, habitées d’un passé qui exsude la mauvaise conscience déplacée, mélange histoire et mythes, alors qu’une seule et rationnelle horreur est à vraiment inscrire sur son tableau d’honneur. Elle n’en est pas l’auteur direct, mais peut se flatter de l’avoir largement aidée de son zèle empressé. De même que par la suite, elle aura continué à nourrir la haine de certains contre ces autres, avançant chaque jour un peu plus coupable sous ses airs de mijaurée habile, continuant par sa malhonnêteté à semer plus de cadavres que de raison. Et le pire donc c’est qu’aujourd’hui, nous nous sentons obligés de nous raccrocher à cette mère nation. Nous comprenons, faibles victimes éternelles que cette terre aura été la nôtre pendant le peu de temps qui reste, et nous voulons l’aimer. Alors que nous pensions que nous lui étions indifférents. Patriotisme ou nationalisme étaient de toute évidence de vilains mots. Voilà qu’aujourd’hui nous les découvrons nobles, en même temps que nous nous découvrons floués, humiliés, abandonnés. »

L’homme est jeune. Une trentaine d’années sans doute, guère plus. Grand. Un visage familier, mais décidément, elle a toujours eu l’impression de connaître la plupart des gens qu’elle croisait. Peut-être dans d’autres vies…
Elle l’écoute et se retrouve partagée entre l’admiration, comment est-il possible de parler ainsi, et l’appréhension, de se faire à nouveau manipuler. Récupérer.

Lui-même ne semble pas toujours convaincu…

« Vivre et mourir en sachant qu’on ne nous aime pas. En se sachant objet d’une éternelle détestation, condamnés à une éternelle incompréhension, sans l’ébauche même d’une lumière lavant de l’obscurité l’impensable, l’indicible monstruosité, qui de la même façon qu’elle a été possible un jour, le sera à nouveau, car rien ne semble plus évident.
Comment continuer à ignorer qu’il n’est rien de plus sensé que ce retour des choses, cette pénétration nouvelle de l’infâme dans un monde endormi, car malgré l’ampleur de l’évènement, rien n’a jamais tendu à prouver qu’il se soit agi d’un accident.
Et c’est cela que nous n’avons pas su voir, précisément. Parce que nous avons accepté de nous laisser bercer par l’idéalisme béat de ces années d’après guerre, où le monde se remet d’une émotion certes grande, en se félicitant de l’empêcher toujours à partir de maintenant, alors qu’il n’avait rien fait pour l’empêcher une première fois. Comme si les humains d’après avaient été par quelque miracle, celui de l’après justement, différents… cette idée est à peu près aussi stupide que ce qui nous entoure et nous réunit ici. »

M.G

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