mardi, novembre 07, 2006

Pour un monde meilleur (3)

Cela ne ressemble pas exactement à ce qu’elle a connu.
Elle est une jeune étudiante timide et fauchée, qui pénètre à reculons dans ces lieux qui inspirent la crainte d’être rejetée. De grandes vendeuses blondes habillées de manière étrange l’accueillent, qui semblent dire « petite tu n’es pas à ta place ». Eventuellement à l’heure des soldes osait-t-elle s’y aventurer, avec cette autre, une certaine Myriam, dont elle n’a jamais réussi à percer le mystère des revenus. Par quel miracle, puisqu’elle n’était vraisemblablement pas nantie (n’avait-elle dû pas travailler comme guide au Louvre, payée au smic) parvenait-elle à garnir de manière aussi récurrente une garde robe riche en pièces de « créateurs » au prix indécent. Plusieurs hypothèses s’offraient à elle, soit elle recevait une rente d’une vieille tante sans descendance, soit, et cette version possédait l’avantage d’éclairer vaguement le comportement trouble de la jeune femme, celle-ci échangeait ses charmes contre quelques pièces rares et chères. En gros Myriam était une pute d’un nouveau genre.
Grande, blonde et effacée, elle affichait une discrétion qui la faisait presque disparaître aux yeux des autres, sauf à ceux à qui la mode parlait. Alors remarquait-on ce visage harmonieux, au teint diaphane, et ce corps un peu fort, magnifiquement dissimulé dans cette élégance presque trop parfaite de retenue. Car la jeune femme ne possédait aucune forme de vulgarité autre que celle connue de quelque oreille aussi indiscrète qu’informée : elle s’alcoolisait à outrance à chaque soirée d’étudiants, et finissait ensuite dans le lit d’un quelconque connard qu’elle espérait sans doute conquérir ainsi, alors qu’il l’ignorerait sans superbe le lendemain, ou les jours suivants.
Ensuite, elle traînerait son incompréhension, et sa grande dépression dans les couloirs immondes de cette école d’architecture dont l’indigence des locaux ne pouvaient que produire de futurs professionnels incompétents. Alors elle chercherait la compagnie de cette autre solitaire, qui elle aussi cherchait l’amour, à moins qu’elle ne l’aie trouvé, c’est une autre histoire. Et cette autre, jamais n’oserait lui dire que son comportement n’était pas digne de ce physique exceptionnel, de cette intelligence évidente empêchée par cette gravité inepte. D’autant qu’elle n’était pas sûre au fond, qu’il soit interdit de s’éclater ainsi, de coucher avec qui bon vous semble, de perdre son humanité à se traîner dans les humidités de sécrétions accidentellement versées sur le sol déjà souillé de quelque bar, de quelque salle en sous-sol, de quelque lieu glauque que les jeunes aiment à fréquenter sans crainte. L’époque était plus sereine, à peine avaient-il eu quelques raisons de s’inquiéter au moment de la première guerre du Golfe, mais cela n’avait pas duré. Ils pouvaient s’éclater dans un monde sans « principe de précaution ». Déverser ce trop plein d’eux-mêmes vers qui voulait l’entendre, se vomir jusqu’à n’avoir plus que la peau à retourner. Vivre cette jeunesse désenchantée dans les excès qui leur étaient permis. N’exagérons rien tout de même. Le Sida, le chômage, la fin des grandes idéologies avaient atteint ce que jeunesse avait pu. Espérer dans l’innocence.
Myriam s’éclatait dans ce désespoir qu’elle représentait si bien, se noyait dedans jusqu’à disparaître, jusqu’à laisser ces jeunes animaux humilier ce corps qu’ils ne faisaient sans doute pas jouir, mais qui jamais ne parviendrait à cette conclusion évidente : ils se servent de moi. Je ne suis qu’un inutile trophée. Je ne suis qu’un meuble dans ce lieu sans âme, résidu d’une autre époque que seul le deuxième cycle des écoles de France aura réussi à maintenir en vie. Ce vieux trotskisme décadent, incapacitant, inutile et malfaisant, dont l’hypocrisie dépassait toute raison.
La logique ne trouvait aucune place là où l’imbécillité avait assis son règne.
Dans le lieu où le temps n’a pas cours, une île en ce beau pays de France où le reste est effacé, comme par magie, rien ne compte, sinon ce spectacle qui ne se soucie que de lui-même.
Myriam savait, mais était trop faible pour lutter. La noirceur des années à venir l’avait déjà recouverte elle, par avance.
M.G

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